Une contradiction forte marque la période actuelle. Le premier tour de l’élection présidentielle a révélé la victoire culturelle des idées souverainistes. Le second tour a entériné leur défaite. Les causes de cette défaite sont multiples. Cette défaite est due à la persistance de mécanismes idéologiques de diabolisation à l’égard du Front national.
Mais, ces mécanismes ont aussi été réactivés par l’incapacité, notoire dans les retournements de la dernière semaine, d’articuler de manière claire un projet cohérent, et surtout par l’incapacité de porter ce projet de manière digne dans le débat télévisé. Cette défaite entérine tout autant les limites de la candidate, que ces limites soient idéologiques, politiques ou organisationnelles, que la division du courant souverainiste.
Rappelons les faits : les souverainistes ont explicitement réalisé plus de 47 % des voix au premier tour si l’on additionne les suffrages qui se sont portés sur l’ensemble des candidats défendant des positions ou des thèses souverainistes. On peut penser, de plus, qu’il existait une réserve d’électeurs souverainistes dans la partie de l’électorat de François Fillon. Un certain nombre de ses soutiens, y compris au sein des députés, ne faisaient pas mystère de leur adhésion aux thèses souverainistes. Il est donc clair qu’implicitement, le souverainisme a été majoritaire au premier tour. Il l’a été sans céder quoi que ce soit sur ses positions, et en particulier sur l’euro. Mais, il a été défait politiquement au second tour. L’opposition entre ces deux faits tout aussi indiscutables met en lumière à la fois la diversité des positions souverainistes et les difficultés de les réunir toutes ensembles.
L’unité impossible ?
Michel Wieviorka vient de publier un texte intéressant sur le site The Conversation ou il argumente que cet échec est dû à la coupure du mouvement souverainiste en deux parties irréconciliables [1]. De fait, cette analyse a l’apparence de l’évidence. Il y eut très peu de transferts de voix entre l’électorat de Jean-Luc Mélenchon et Marine le Pen. Mais, les causes de ce faible transfert sont elles structurelles, et c’est la thèse de Wieviorka qui pense qu’il existe une culture politique française rendant impossible la fusion des électorats, ou ne seraient-elles pas plus à chercher dans la conjoncture particulière de cette élection ?
Cette interrogation en rejoint une autre : le souverainisme est-il dual, comme le sous-entend Wieviorka, mais aussi d’autres analystes, et en particulier Alexandre Devecchio qui s’est exprimée ainsi dans l’émission que nous avons réalisé avec Jacques Nikonoff et lui sur Radio-Sputnik [2], ou bien la question est-elle plus complexe ? En fait, on peut tout autant douter de la binarité des courants souverainistes que l’on peut douter de leur incarnation politique parfaite dans des courants politiques précis. On comprend l’importance de ce sujet. Car, si Michel Wieviorka a raison, une alliance est impossible. Si, par contre, les mauvais report s’expliquent bien plus par le contexte idéologique dans lequel s’est déroulée cette élection, alors la conciliation entre les différents courants souverainistes apparaît bien plus possible. Surtout, peut-on penser une séparation radicale de ces courants ou, au contraire, n’ont-ils pas tous des aspects en communs ? Cela implique de revenir sur la différence entre les incarnations politiques et sur les courants souverainistes.
C’est cette analyse que l’on va ici développer. Je reprends ici une partie de la terminologie d’Alexandre Devecchio, en particulier celle concernant le souverainisme social et le souverainisme identitaire. Mais je suis le seul responsable de l’interprétation que je donne à ces termes.