Bernard Kouchner joue du clairon et André Glucksmann se prend pour le général Bigeard. Après la brillante équipée américaine en Irak, ils préparent la guerre en Iran ; guerre qu’évidemment, tous réformés ou objecteurs de conscience, ils ne feront pas. Au nom de quoi, et pourquoi ?
Cette génération de turlurons, celle qui s’enorgueillit de sa petite révolution au rabais, celle de mai 68, aura décidément été grotesque de bout en bout. Déjà, ce sont tous des gosses de bourgeois. La spécificité de l’engagement marxiste de leurs jeunes années en témoigne : le stalinisme, l’URSS, c’est juste bon pour les ouvriers et les prolos. Eux seront trotskistes et/ou maoïstes, c’est-à-dire un communisme de “business class” plutôt que de “classe éco”. On ne se mélange pas. On est à la Sorbonne, et pas sur la chaîne, à Boulogne-Billancourt. Ils sont d’ailleurs plus Boulogne que Billancourt. Et les “Stals”, c’est russe. Ça pue donc un peu. Il n’y a guère de soleil à Moscou, contrairement à La Havane, à Cuba. C’est surtout moins exotique que les chapeaux pointus des Chinois. Le Che est glamour : ils en feront des tee-shirts et des pin’s. Alors que le pauvre Nikita Kroutchev, avec ses souliers en carton, ses costumes en Tergal et sa bouille de moujik aviné, il ne passerait même pas la porte de chez Castel…
Leur haine pathologique de la Russie explique d’ailleurs nombre de choses. C’est un peuple fier, mais présumé raciste, voire antisémite. L’athéisme est d’État, mais il a conservé en lui quelque chose de religieux qui fait horreur. Et c’est surtout Joseph Staline qui a fait assassiner Léon Trotski ; fait d’armes dont, par ailleurs, on ne saurait que trop le féliciter. À l’instar du PCF de 1978, quand la mairie communiste de Vitry fit raser un foyer Sonacotra et que Georges Marchais manqua de prendre un virage populiste qui aurait pu conduire son parti à devenir une sorte de Front national de gauche. Marchais comme Staline, à leur manière et avec tous les guillemets que cela suppose, étaient des patriotes. C’était insupportable, tant ces gens haïssent les nations et les peuples. Et si leur haine est sans frontières, c’est justement parce qu’ils haïssent ces frontières sans lesquelles il n’existe pas de nations viables. D’où cet aimable paradoxe : dans les années soixante, jusqu’à l’attentat des Jeux olympiques de Munich, en 1972, si tous les Juifs français n’étaient pas gauchistes, les instances dirigeantes du gauchisme français étaient juives et… antisionistes. Chez Trotski, ils chérissaient la figure du Juif forcément apatride, mais vomissaient un Ariel Sharon, patriote israélien. Ils défendaient l’OLP, parce qu’alors, il ne s’agissait que d’une simple boîte postale palestinienne. Mais, du jour où la Palestine est devenue – disons-le vite –, une entité territoriale et physique, ils n’ont pas tarder à lui cracher dessus.
Pareillement, ils étaient pour le Vietminh ou le FLN, tant que ce n’était que des mouvements de libération nationale. Aujourd’hui que ces deux pays sont, justement, devenus de véritables nations indépendantes, ils n’en ont plus que faire. Les valises, c’est en fait pour eux seuls, qu’ils les portaient. Pis, quand, dans les années quatre-vingt-dix, Bernard-Henri Levy défend la Bosnie contre la Serbie, ce n’est même pas par amour du peuple bosniaque – après tout, pourquoi, les Bosniaques ont aussi le droit d’avoir des amis –, mais milite seulement pour la seule idée du « cosmopolitisme européen ». CQFD. Au bout du compte, ces Glucksmann, ces Bruckner, ces BHL, ces Kouchner, aux nations, préfèrent les empires. Ils ont adoré l’URSS ; la Russie leur fait horreur. Ont révéré Mao ; la Chine les effraie parce qu’ils ne la comprennent pas. Aujourd’hui, ils sont Américains. Pourtant, ce n’est pas l’Amérique qu’ils aiment ; seulement le dernier empire. Dans son livre consacré au Nouveau monde, Bernard-Henri Levy n’a pas un mot sur l’Amérique charnelle. Ce sentiment d’immensité, hautement spirituel qui vous étreint le cœur, dans le Grand canyon du Colorado. La beauté des déserts du Nevada, des pierres rouges de l’Arizona. La spiritualité pré-chrétienne des Indiens Navajos. La simplicité des petites gens des campagnes, l’affabilité des Noirs du ghetto de Washington, la fierté des Mexicains de Los Angeles. Il a tout vu et n’a rien ressenti. Il s’en fout. Il a préféré détailler par le menu un dîner que l’actrice Sharon Stone a bien voulu lui accorder. L’Amérique dont il chante les louanges est celle des idées et de l’argent. Lui et les autres se sont mis à son service. En bon petit soldat de l’Empire idéologique ; nuance de taille, histoire de ne pas insulter les grands et authentiques empires que furent ceux des Romains, des Carolingiens, des Omeyyades, des Abbassides, des Ottomans, des Austro-Hongrois et encore devons-nous en oublier.
Le ralliement de ces anciens gauchistes au néo-conservatisme ne doit donc rien au simple air du temps, sachant, justement, que la majorité de ces néo-conservateurs vient du trotskisme américain, de longue date lié à la CIA, lutte contre le “stalinisme” oblige. Ils étaient d’autant plus faits pour s’entendre qu’à l’Amérique, ces “néo-cons” continuent d’opter pour l’idée qu’ils s’en font, la preuve en est le sort parfaitement ignoble des rescapés de l’ouragan Katrina en Louisiane, le cynisme consistant à envoyer des milliers d’Américains se faire trouer la peau en Irak, en attendant le tour de l’Iran. Et pendant ce temps, Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner font du jogging à New York, avec encore plus de gardes du corps que Madonna. Et le film Persepolis, évoqué la semaine dernière par Nicolas Gauthier, en intérim dans cette rubrique, vient d’être choisi par des Français pour représenter la France à la cérémonie des Oscars. La Môme, superbe film consacré par Éric Dahan à la vie d’Édith Piaf, aura donc été écarté au profit d’un film, même pas français dont le seul but est de diaboliser le peuple perse. Détestation de soi, haine des autres, comme toujours. Et ce au profit d’une tierce personne, l’empire états-unien. Cité par Alain Peyreffite, le général de Gaulle le disait déjà, à l’époque des affaires algériennes : « Les gens de l’OAS me haïssent parce qu’ils sont aveuglés par leur amour de la France. Mais si ceux qui soutiennent le FLN me haïssent tout autant, c’est parce qu’eux, sont aveuglés par leur haine de la France. » Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner aiment-ils la France ? Non. Ils la détestent au moins autant que l’Amérique.
Béatrice PÉREIRE
Cette génération de turlurons, celle qui s’enorgueillit de sa petite révolution au rabais, celle de mai 68, aura décidément été grotesque de bout en bout. Déjà, ce sont tous des gosses de bourgeois. La spécificité de l’engagement marxiste de leurs jeunes années en témoigne : le stalinisme, l’URSS, c’est juste bon pour les ouvriers et les prolos. Eux seront trotskistes et/ou maoïstes, c’est-à-dire un communisme de “business class” plutôt que de “classe éco”. On ne se mélange pas. On est à la Sorbonne, et pas sur la chaîne, à Boulogne-Billancourt. Ils sont d’ailleurs plus Boulogne que Billancourt. Et les “Stals”, c’est russe. Ça pue donc un peu. Il n’y a guère de soleil à Moscou, contrairement à La Havane, à Cuba. C’est surtout moins exotique que les chapeaux pointus des Chinois. Le Che est glamour : ils en feront des tee-shirts et des pin’s. Alors que le pauvre Nikita Kroutchev, avec ses souliers en carton, ses costumes en Tergal et sa bouille de moujik aviné, il ne passerait même pas la porte de chez Castel…
Leur haine pathologique de la Russie explique d’ailleurs nombre de choses. C’est un peuple fier, mais présumé raciste, voire antisémite. L’athéisme est d’État, mais il a conservé en lui quelque chose de religieux qui fait horreur. Et c’est surtout Joseph Staline qui a fait assassiner Léon Trotski ; fait d’armes dont, par ailleurs, on ne saurait que trop le féliciter. À l’instar du PCF de 1978, quand la mairie communiste de Vitry fit raser un foyer Sonacotra et que Georges Marchais manqua de prendre un virage populiste qui aurait pu conduire son parti à devenir une sorte de Front national de gauche. Marchais comme Staline, à leur manière et avec tous les guillemets que cela suppose, étaient des patriotes. C’était insupportable, tant ces gens haïssent les nations et les peuples. Et si leur haine est sans frontières, c’est justement parce qu’ils haïssent ces frontières sans lesquelles il n’existe pas de nations viables. D’où cet aimable paradoxe : dans les années soixante, jusqu’à l’attentat des Jeux olympiques de Munich, en 1972, si tous les Juifs français n’étaient pas gauchistes, les instances dirigeantes du gauchisme français étaient juives et… antisionistes. Chez Trotski, ils chérissaient la figure du Juif forcément apatride, mais vomissaient un Ariel Sharon, patriote israélien. Ils défendaient l’OLP, parce qu’alors, il ne s’agissait que d’une simple boîte postale palestinienne. Mais, du jour où la Palestine est devenue – disons-le vite –, une entité territoriale et physique, ils n’ont pas tarder à lui cracher dessus.
Pareillement, ils étaient pour le Vietminh ou le FLN, tant que ce n’était que des mouvements de libération nationale. Aujourd’hui que ces deux pays sont, justement, devenus de véritables nations indépendantes, ils n’en ont plus que faire. Les valises, c’est en fait pour eux seuls, qu’ils les portaient. Pis, quand, dans les années quatre-vingt-dix, Bernard-Henri Levy défend la Bosnie contre la Serbie, ce n’est même pas par amour du peuple bosniaque – après tout, pourquoi, les Bosniaques ont aussi le droit d’avoir des amis –, mais milite seulement pour la seule idée du « cosmopolitisme européen ». CQFD. Au bout du compte, ces Glucksmann, ces Bruckner, ces BHL, ces Kouchner, aux nations, préfèrent les empires. Ils ont adoré l’URSS ; la Russie leur fait horreur. Ont révéré Mao ; la Chine les effraie parce qu’ils ne la comprennent pas. Aujourd’hui, ils sont Américains. Pourtant, ce n’est pas l’Amérique qu’ils aiment ; seulement le dernier empire. Dans son livre consacré au Nouveau monde, Bernard-Henri Levy n’a pas un mot sur l’Amérique charnelle. Ce sentiment d’immensité, hautement spirituel qui vous étreint le cœur, dans le Grand canyon du Colorado. La beauté des déserts du Nevada, des pierres rouges de l’Arizona. La spiritualité pré-chrétienne des Indiens Navajos. La simplicité des petites gens des campagnes, l’affabilité des Noirs du ghetto de Washington, la fierté des Mexicains de Los Angeles. Il a tout vu et n’a rien ressenti. Il s’en fout. Il a préféré détailler par le menu un dîner que l’actrice Sharon Stone a bien voulu lui accorder. L’Amérique dont il chante les louanges est celle des idées et de l’argent. Lui et les autres se sont mis à son service. En bon petit soldat de l’Empire idéologique ; nuance de taille, histoire de ne pas insulter les grands et authentiques empires que furent ceux des Romains, des Carolingiens, des Omeyyades, des Abbassides, des Ottomans, des Austro-Hongrois et encore devons-nous en oublier.
Le ralliement de ces anciens gauchistes au néo-conservatisme ne doit donc rien au simple air du temps, sachant, justement, que la majorité de ces néo-conservateurs vient du trotskisme américain, de longue date lié à la CIA, lutte contre le “stalinisme” oblige. Ils étaient d’autant plus faits pour s’entendre qu’à l’Amérique, ces “néo-cons” continuent d’opter pour l’idée qu’ils s’en font, la preuve en est le sort parfaitement ignoble des rescapés de l’ouragan Katrina en Louisiane, le cynisme consistant à envoyer des milliers d’Américains se faire trouer la peau en Irak, en attendant le tour de l’Iran. Et pendant ce temps, Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner font du jogging à New York, avec encore plus de gardes du corps que Madonna. Et le film Persepolis, évoqué la semaine dernière par Nicolas Gauthier, en intérim dans cette rubrique, vient d’être choisi par des Français pour représenter la France à la cérémonie des Oscars. La Môme, superbe film consacré par Éric Dahan à la vie d’Édith Piaf, aura donc été écarté au profit d’un film, même pas français dont le seul but est de diaboliser le peuple perse. Détestation de soi, haine des autres, comme toujours. Et ce au profit d’une tierce personne, l’empire états-unien. Cité par Alain Peyreffite, le général de Gaulle le disait déjà, à l’époque des affaires algériennes : « Les gens de l’OAS me haïssent parce qu’ils sont aveuglés par leur amour de la France. Mais si ceux qui soutiennent le FLN me haïssent tout autant, c’est parce qu’eux, sont aveuglés par leur haine de la France. » Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner aiment-ils la France ? Non. Ils la détestent au moins autant que l’Amérique.
Béatrice PÉREIRE