Le maire de Béziers, Robert Ménard, a l’art et la manière de faire parler de lui en suscitant des polémiques. Ainsi, il entend donner le nom du commandant Hélie Denoix de Saint-Marc à une rue de sa ville. Mais pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de celle du « 19 mars 1962 », date des accords d’Évian.
Les dépêches de presse ne retiennent du commandant Denoix de Saint-Marc que son passé putschiste. En effet, commandant en second du 1er Régiment Étranger de Parachutistes (REP), il participa au putsch des généraux à Alger, en avril 1961. « J’ai préféré le crime de l’illégalité au crime de l’inhumanité », expliquera-t-il dans ses mémoires.
Seulement, le commandant, décédé en août 2013 à l’âge de 91 ans, n’était pas qu’un putschiste. Résistant, déporté à Buchenwald (il fut l’un des 30 survivants d’un convoi de 1.000 prisonniers) et saint-cyrien, il fut marqué par son expérience en Indochine, où il reçut l’ordre d’abandonner un village, le livrant ainsi aux représailles du Vietminh. Cet épisode expliquera beaucoup de choses lors de l’affaire algérienne. Plus qu’un putschiste donc… Hélie Denoix de Saint-Marc incarnait la grandeur et la servitude du militaire. Un thème exploré par le cinéaste Pierre Schoendoerffer (voir le « Crabe-Tambour », inspiré de la vie du commandant Pierre Guillaume)
« Nous nous souvenions des villages abandonnés par nous et dont les habitants avaient été massacrés. Nous nous souvenions des milliers de Tonkinois se jetant à la mer pour rejoindre les bateaux français. Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d’Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse. Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages et mechtas d’Algérie : “L’Armée nous protégera, l’armée restera.” Nous pensions à notre honneur perdu », plaida-t-il devant le haut tribunal militaire, le 5 juin 1961.
Condamné à 10 ans de prison, grâcié au bout de 5 ans de détention, le commandant Denoix de Saint-Marc avait fini par être réhabilité en 1978 par le président Giscard d’Estaing, puis élevé à la dignité de Grand Croix de la Légion d’Honneur en 2011. Et, lors de son décès, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avait publié un communiqué pour lui rendre hommage. Certes en pesant bien ses mots.
« De sa complexité, il faut retenir aujourd’hui la force de son engagement d’officier et la générosité de son dévouement aux hommes dont il était responsable », avait-il écrit, avant d’ajouter : « Par ailleurs, il a su garder à travers les péripéties de l’Histoire [ndlr, donc le putsch d’Alger], un esprit curieux et novateur, notamment dans le dialogue avec l’ancien ennemi allemand, en publiant avec le colonel August Von Kageneck le livre commun Notre histoire, 1922-45. »
Pour autant, la décision de l’actuel maire de Béziers, pour qui ce sera « rendre hommage à un héros », fait polémique. Pour certains, notamment les milieux gaullistes, il est impensable de donner le nom d’un « putschiste » à une rue. L’opposition municipale est elle aussi vent debout contre ce projet.
« Juridiquement, il a le droit de faire ça. Mais il s’agit d’une faute politique et morale. Le rôle du maire n’est pas de dresser les uns contre les autres. Il ne faut pas réécrire l’histoire au profit de la frange la plus radicale des partisans de l’Algérie française », a déploré, dans les colonnes de Libération, Jean-Michel du Plaa, président du groupe PS au conseil municipal. « Il ne peut pas effacer le souvenir des appelés pour qui cette date est importante, car elle signe la fin des hostilités, le moment où ils pouvaient rentrer chez eux », a-t-il ajouté.
Quant à la Fédération nationale des anciens combattant d’Algérie, Maroc, Tunisie (Fnaca), la « couleuvre » a du mal à passer, comme l’a affirmé Jean-Pierre Labeur, le président de son comité biterrois, au Midi Libre.
Visiblement, ce n’est pas le choix du nom du commandant Denoix de Saint-Marc qui est remis en cause par la FNACA mais la rue qui doit être rebaptisée. Pour cette fédération (qui s’oppose à d’autres associations de vétérans sur ce sujet), il est en effet impensable de toucher au « 19 mars 1962 », devenue « journée nationale du souvenir à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc » en novembre 2012.
Mais là encore, cette date suscite bien des commentaires… Pour Robert Ménard, « dire que cela marque la fin de la guerre d’Algérie, c’est un pur mensonge historique ! Une pure fiction ! Il n’y a jamais eu autant de victimes de pieds-noirs et de harkis après. C’est du révisionnisme historique ». Une position qu’il n’est pas le seul à partager. Car la journée d’hommage aux combattants de l’AFN avait été précédemment fixée au 5 décembre par le président Chirac, suite aux recommandations de la commission Favier. Et, officiellement, les opérations ont pris fin le 2 juillet 1962.