D’anciens hauts gradés norvégiens pestent contre l’erreur qu’a commise le pays en cédant une base sous-marine secrète dans l’Arctique, d’autant plus qu’elle accueille aujourd’hui... des navires russes.
Terrain de chasse des sous-marins soviétiques et de l’OTAN au temps de la guerre froide, les eaux de l’Arctique ont regagné une importance stratégique à l’aune des dernières tensions entre la Russie et l’Alliance atlantique, jamais vues depuis la chute de l’Union soviétique.
Faute d’avoir anticipé la remontée en puissance du géant russe qui déploie en mer de Barents son imposante flotte du Nord, la Norvège a décidé en 2008, dans un contexte régional alors apaisé, de se séparer de la base d’Olavsvern, près du port de Tromsø.
En renonçant à cet énorme complexe logistique logé dans les entrailles d’une montagne protectrice, le pays scandinave a privé ses sous-marins d’un point d’appui crucial dans le Grand Nord, les obligeant à parcourir des centaines de milles supplémentaires pour rallier ce qui constitue leur principal théâtre d’opérations.
Sept ans plus tard, la décision du pouvoir politique nourrit toujours les rancoeurs, notamment parmi les officiers supérieurs à la retraite, plus prompts à s’exprimer que leurs collègues d’active.
"On a vendu la seule base digne de ce nom qu’on avait là-haut. C’est de la pure folie", fulmine l’ex-vice-amiral Einar Skorgen, ancien commandant de la Marine dans le Nord de la Norvège.
"Nous sommes les seuls avec la Russie à opérer en permanence en mer de Barents, où nous avons une frontière commune. Il est évident que notre Marine doit y être stationnée, y compris nos sous-marins", déplore-t-il. "Si les bateaux ne sont pas là où on en a besoin, autant les mettre au rancart".
La potion est d’autant plus amère qu’après avoir été mise en vente sur un site d’annonces en ligne sans trouver acquéreur, la base qui a coûté près de 4 milliards de couronnes (environ 500 millions d’euros) financés par l’OTAN a été bradée moins de 40 millions à un homme d’affaires.
Ce dernier loue maintenant les quais à des navires russes de recherche ou de collecte de données sismiques. Trois d’entre eux ont ainsi passé l’hiver dans ce qui était il y a peu un site jalousement gardé.
"Il n’y a plus rien de secret autour de cette base", se défend le nouveau propriétaire, Gunnar Wilhelmsen. "Plus depuis que l’armée et l’Otan ont convenu de la mettre en vente sur internet, photographiée dans ses moindres recoins", explique-t-il à l’AFP.
Gaffe historique
Le hic, c’est que l’on prête aux navires russes des capacités utiles aux militaires comme, par exemple, l’étude des fonds marins ou du littoral avec, au besoin, des sous-marins de poche.
"La Russie est un pays où l’État a un droit de regard dans toutes les activités commerciales ou semi-publiques. C’est clair : il y a peu de gens qui savent ce qui se passe à partir de ces bateaux", souligne l’ex-vice-amiral Jan Reksten, ancien numéro deux de l’armée norvégienne.
Olavsvern, "c’est une double perte pour notre pays : la défense norvégienne a perdu une base importante et maintenant ce sont des bâtiments russes qui viennent y mouiller", regrette-t-il.
Ironie du sort, la décision de fermer a été prise par le gouvernement de Jens Stoltenberg, devenu depuis secrétaire général de l’OTAN, un poste d’où il exhorte aujourd’hui les pays membres de l’Alliance à ne pas baisser la garde.
Pour Kjell-Ola Kleiven, blogueur sur les questions de sécurité, l’épisode est "la plus grosse gaffe de l’Histoire récente" dans un pays riche en pétrole, qui dispose du plus gros fonds souverain de la planète.
"Avec 7 000 milliards de couronnes de côté, on aurait cru que la nation norvégienne avait les moyens et assez de jugeote pour conserver la propriété de la base d’Olavsvern, mais la vente qui n’a rapporté que 35 millions de couronnes pourrait être beaucoup plus qu’un fiasco financier", a-t-il écrit.
La majorité politique en Norvège a beau avoir changé, l’actuel gouvernement reste sourd aux protestations des militaires.
"Il n’est pas question de réinstaller des activités militaires à Olavsvern", a affirmé Audun Halvorsen, conseiller politique au ministère de la Défense, dans un courriel à l’AFP. "Le propriétaire du site en dispose comme il l’entend et la défense n’a pas autorité à imposer des restrictions ni mandat pour contrôler les navires civils qui y mouillent".