Quand l’armée d’un pays avec lequel on a été en conflit est invitée à défiler sur les Champs Élysées le 14 juillet, cela provoque immanquablement des réactions négatives parmi les anciens combattants et les victimes de guerre.
L’on se souvient ainsi de l’émotion de l’ex-président de la République Valéry Giscard d’Estaing, pourtant très européen, à l’idée de voir des troupes allemandes descendre la « plus belle avenue du monde » le 14 juillet 1994, année du cinquantenaire de la Libération de la France.
Certains n’hésitent pas à jouer avec ces sentiments. Ainsi, depuis plusieurs années maintenant, à mesure que la date de la fête nationale approche, une rumeur selon laquelle l’armée algérienne serait invitée à défiler sur les Champs Élysées circule . À chaque fois, les réseaux sociaux s’enflamment… pour rien. Et pour cause : les allégations alors avancées n’étaient pas fondées.
Mais cette fois, c’est une petite phrase prononcée par le secrétaire d’État aux Anciens combattants, Kader Arif, lors d’un déplacement à Alger, le 23 février dernier, qui a relancé la rumeur. « Faire vivre et rappeler cette mémoire pour passer à une nouvelle étape des relations franco-algériennes, c’est précisément ce à quoi nous invite 2014. Cette année nous offre une occasion unique d’accueillir sur notre sol nos partenaires étrangers, amis et alliés d’hier, afin de leur dire la reconnaissance et la gratitude de la France », a-t-il dit.
Il n’en fallait pas plus pour déchaîner les passions et rouvrir des blessures mal cicatrisées chez les associations de Pieds Noirs et ceux ayant combattu en Algérie, pays avec lequel la France a des accords de défense. Et cela d’autant plus que la très officielle brochure diffusée par la Mission du Centenaire 1914-1918 indique que « les forces armées de soixante-douze pays belligérants de la Première Guerre mondiale sont associées au défilé militaire du 14 juillet 2014 dédié au centenaire de la Grande Guerre. Des jeunes venant des pays invités par la France seront également associés au défilé ».
Aussi, une association, le Comité « Véritas » a donc écrit à M. Arif pour lui dire qu’il « serait mal venu et mal ressenti par la communauté rapatriée que cette nouvelle s’avère exacte car elle irait à contresens de l’Histoire : en effet, les soldats d’Algérie qui, depuis 1845, ont fait la gloire de l’Armée d’Afrique dans toutes les guerres, étaient tous des nationaux français, et non des indigènes comme on voudrait nous le faire accroire ». Et de rappeler, à ce sujet, que « le Senatus Consulte du 14 juillet 1845 (sic ! c’est celui du 14 juillet 1865) indiquait que l’indigène musulman est français ». En clair, l’Algérie ne pouvait pas être une puissance belligérante en 1914 et en 1940 puisqu’elle était française.
Là-dessus, le Front national s’est emparé du sujet. Trois de ses élus, à savoir Louis Alliot, député européen, l’avocat Gilbert Collard, député apparenté FN et Mohammed Bellebou, conseiller municipal de Perpignan et président de l’association France Harkis, ont lancé le collectif « Non au défilé des troupes algériennes le 14 juillet 2014 » devant rassembler, du moins l’espèrent-ils, « des organisations patriotiques, d’anciens combattants, de harkis et de rapatriés afin d’organiser la contestation face à cette infamie ».
Car selon eux, « cette présence militaire (ndlr, algérienne) honteuse sur le sol français est une provocation indigne et le signe d’un très grand mépris pour tous les morts, disparus ou suppliciés victimes de cette armée » et elle « un problème politique et un problème moral grave ».
En fait, il ne s’agit pas de faire défiler sur les Champs Élysées des troupes algériennes. Seulement, mais c’est quand même une première depuis 1962, trois militaires algériens représenteront leur pays aux cérémonies du 14 juillet et prendront part à une animation sur la place de la Concorde.
Mais même s’il n’est donc pas question de défilé, cette participation symbolique n’est pas acceptable pour certains. Comme pour Hervé Caesta, le président du collectif « non au 19 mars 1962 ». « Trois militaires c’est déjà trop, car il y aura leur drapeau. (…). « Ces gens présents au défilé sont des ennemis de la France », a-t-il dénoncé.
En revanche, des représentants d’associations de Harkis voient cette participation d’un bon oeil. « C’est une grande fierté que les Algériens défilent le 14 juillet, pour la France et pour les harkis », a ainsi affirmé Mohamed Otsmani, délégué de la liaison nationale des harkis pour la région PACA, dont les propos ont été rapportés par l’AFP. Précisons encore qu’il n’est pas question d’un quelconque défilé… « Je ne suis pas d’accord avec ce qu’il (M. Collard) fait, on est dans un souci d’apaisement entre la France et l’Algérie », a-t-il aussi ajouté.
Au ministère de la Défense, l’on se « réjouit » de la présence de ces 3 militaires algériens lors du prochain 14 juillet. « C’est une preuve que nous sommes rentrés dans une phase pacifiée avec l’Algérie », a-t-on fait valoir dans l’entourage de Jean-Yves Le Drian. C’est lors d’un déplacement à Alger, le 20 mai, que ce dernier a obtenu la confirmation des autorités algériennes de « leur volonté historique d’y participer ».
En février, Kader Arif, fils de harki, rappelait, lors de son discours à Alger, que « l’engagement de l’Algérie dans les deux guerres mondiales est le fruit d’une longue histoire commune entre nos deux pays et d’une fraternité entre nos peuples qui s’est exprimée, scellée et renforcée sur les champs de bataille français ».
Et son entourage insiste sur ce point alors que la polémique prend de l’ampleur. « 173 000 combattants qui habitaient l’Algérie sans distinction de confession sont venus combattre (pendant la guerre 14-18), 23 000 ont été tués (…) la France reconnaît le sacrifice de leurs pères et de leurs grands-pères », a-t-il expliqué, en soulignant qu’il « ne faut pas mélanger les conflits, il ne s’agit pas de la guerre d’Algérie ».