Être d’origine maghrébine en France et revendiquer le droit à une réflexion méta-ethnique n’est pas si évident. Une récente anecdote personnelle illustre parfaitement cet état de fait. La scène se déroule un samedi matin, durant le marché, dans ma ville.
Mon caddie une fois rempli je pris la direction de chez moi. Je fus bientôt interpellé par un militant d’un parti ou peut-être d’un syndicat d’extrême-gauche qui me tendit un tract. Geste agrémenté du slogan« pour le droit de vote des étrangers ».
Je ne pus m’empêcher de signifier mon désaccord au ’’camarade" et celui-ci voulut engager la discussion. S’en suivit une litanie d’arguments servis systématiquement par ceux qui prônent cette idée d’après moi bien singulière.
Parmi lesquels :
« les immigrés travaillent et paient des impôts comme les autres, pourquoi leur interdit-on le droit de vote alors qu’il contribuent au développement du pays ? »
A cela je lui répondis par exemple que la moindre des choses pour un immigré est bien de contribuer au développement de la France ou de payer des impôts puisqu’en contrepartie on lui accorde l’opportunité de résider dans ce pays et d’offrir à sa famille ainsi qu’à lui-même une meilleure perspective d’avenir.
La sécurité sociale, les études (quasi) gratuites, la police, l’armée etc., et l’ensemble des services et des organes nationaux censés garantir l’épanouissement global et la sécurité des individus sont payés par les impôts de ces mêmes individus. Ce serait bien le comble que les nationaux durent en payer tandis que les étrangers en auraient été exonérés. La discussion s’envenima peu à peu. Le militant finit par m’accuser de reprendre les idées du Front National et de renier mes origines. Nous nous quittâmes sur ces paroles pour le moins significatives et illustrant précisément ce que je m’évertue à dénoncer.
Un autre fait, tout aussi significatif est que pour avoir exprimé une pensée libre et objective sur les banlieues, au cours de ma première et dernière réunion au sein de l’association du bondy blog, "l’équipe d’encadrement" composé de pseudo-journalistes dégoulinant de bien-pensance reconvertis en animateurs d’une MJC de quartier m’a clairement dit que ma présence n’était plus désirée au sein de l’association. Il y a certes une part d’affect dans toute réflexion mais quelle est cette étrange idée que la pensée doit être exclusivement conditionnée par notre appartenance ethnique et/ou culturelle. Et parmi les nombreuses idées reçues découlant de ce principe :
Arabe = sous-culture de banlieue (rap, etc...), SOS-Racisme, Parti socialiste, etc.
Le reproche n’est pas uniquement adressé aux Français de souche ou de souche européenne mais aussi et surtout aux jeunes issus de l’immigration afro-maghrébine que j’ai bien souvent du mal à convaincre que je suis effectivement algérien, musulman, croyant, pratiquant (et même assez conservateur) à cause du fait que mon attitude ne reflète en rien une enfance passée dans une « cité » de banlieue auprès de parents issus de la classe ouvrière.
Et pour cause, je n’ai pas grandi en banlieue (et n’ai absolument rien à voir avec son univers) et mes parents ne sont pas ouvriers. Savoir manier la concordance des temps et le subjonctif avec aisance ainsi qu’une enfance « bourgeoise » (père enseignant/chercheur au CNRS, mère issue de la bourgeoisie algérienne) ont eu pour effet de me discréditer auprès de la plupart des autres franco-maghrébins :
« quand on te voit et quand on t’écoute on a du mal à croire que tu sois arabe ».
Cette phrase, qu’à de nombreuses reprises j’ai dû encaisser, dénote tristement le manque d’amour propre de ma communauté.
Et pourtant, je suis né en Algérie et n’ai pris la nationalité française qu’à l’âge de 16 ans, 9 ans après être arrivé dans ce pays mais quand je dois juger une affaire engageant ma part française et/ou ma part étrangère, je m’arrache préalablement à mes déterminismes culturels et quitte le monde séculaire pour rejoindre le monde des Idées, bien que - les vertus de l’immigration et de l’intégration ayant leurs limites - je dois avouer n’avoir aucun sentiment patriotique vis-à-vis de la France mais plutôt vis-à-vis de l’Algérie, ce qui ne m’empêche en rien de tenir un discours vrai et objectif.
Je peux donc, selon les cas, tenir un discours que l’on peut entendre dans la bouche de Nicolas Sarkozy, voire même de Jean-Marie ou de Marine Le Pen (sur la question de la double nationalité par exemple je crois en effet qu’il et elle ont raison bien que cela n’arrange pas mes affaires).
En revanche, dans mon attitude, mon apparence, ma manière de m’exprimer, je me fais un devoir de paraître aussi français que les Français de souche. Ce qui donne le sentiment à certains parmi ces derniers que je renie totalement mon héritage culturel ainsi que ma foi.
Autrement dit, on s’attend à ce que je prône des idées libérales sur le plan des moeurs et que je tienne un discours de laïc, voire de laïciste, emprunt d’athéisme ou d’islamophobie. Combien de fois donc des gens y sont allés de leurs confidences islamophobes ou arabophobes en ma présence, pensant que j’acquiescerais.
N’ai-je d’autre choix que d’être une « caillera », un guignol de banlieue ou un « beur » à la Malek Boutih ?
Je crois au contraire que mon refus de me résigner à un tel choix m’a permis de me sentir bien plus à l’aise que mes compatriotes de la même origine que moi aussi bien en France qu’en Algérie tandis qu’eux ne sont malheureusement respectés nulle part.