Le week-end a été sanglant en Syrie, notamment pour les forces de l’ordre. Sana a rendu compte samedi 9 juin des obsèques de 57 « martyrs » : un colonel, un lieutenant-colonel, un commandant, deux capitaines, trois lieutenants, deux sous-lieutenants, six adjudants-chefs, deux adjudants, quatre sergents-chefs, sept sergents, quatre caporaux, 21 conscrits, trois policiers.
Pics de pertes
À ce chiffre record s’ajoutent, dimanche 10 juin, 22 autres victimes du devoir : un sous-lieutenant, cinq sergents, un caporal, quatorze soldats, et un civil. Ces hommes – 78 militaires et policiers – sont tombés, vendredi, samedi, voire dimanche matin à Lattaquié, Alep, Idleb, Deir Ezzor, et dans la banlieue de Damas. Une partie notable, comme de coutume, dans des embuscades et des attaques ciblées, les autres dans des opérations de guerre « classiques ». L’OSDH pour sa part parle d’au moins 111 personnes tuées samedi,dont 83 civils et 28 soldats. Étant entendu que l’officine d’opposition de Rami Abdel Rahmane a pris l’habitude de comptabiliser comme « civils » les rebelles tués au combat.
Et pour dimanche, l’OSDH donne le chiffre de 63 personnes tuées, dont 38 « civils », 19 soldats et 6 rebelles tombés dans des combats à Deraa , à Homs et dans une attaque contre un convoi militaire à Deir Ezzor. Dans la ville de Homs, les troupes gouvernementales bombardaient violemment Khaldeeye, Jourat al-Chayah et d’autres quartiers rebelles, tuant trois « civils ». La zone était parallèlement survolée par des avions de surveillance. À Talbissé, située à 10 kilomètres de la frontière avec le Liban, et pilonnée en permanence depuis plusieurs jours par les troupes gouvernementales qui tentent d’en reprendre le contrôle, trois civils auraient été tués par les bombardements.
Pour les premières heures du lundi 11 juin, l’OSDH signal des combats à Rastan (à mi-chemin de Homs et de Hama) avec interventions d »hélicoptères de combat, à al-Achara (province de Deir Ezzor), et des attaques de positions et de patrouille de l’armée à Idleb et al-Qusayr (entre Homs et la frontière libanaise) : ces violences auraient causé, selon l’OSDH, une dizaine de morts parmi les forces de l’ordre.
La « grande explication » a-t-elle commencé ?
Les bilans de l’OSDH sont invérifiables, truqués (les pertes rebelles étant souvent affectées à la colonne « pertes civiles ») et exagérés, mais il est évident que ce pic de pertes correspond à une intensification des combats, le pouvoir, d’une part, ayant, par la voix de Bachar al-Assad, annoncé, sa volonté de lutter sans merci contre les groupes armés – et l’ultimatum adressé à ceux-ci de déposer les armes ayant expiré -, et l’ASL, d’autre part, ayant proclamé qu’elle ne se sentait plus concernée par un cessez-le-feu qu’elle n’a jamais respecté depuis le 12 avril.
Et les insurgés, apparemment mieux armés par les multiples trafics, ont monté des opérations – enfin, une ou deux - plus ambitieuses : c’était notamment le cas à Houla fin mai, les autorités syriennes ayant décrit une attaque de plusieurs centaines d’insurgés contre des positions de l’armée dans le secteur, information confirmée par des témoins proches de l’opposition et cités par l’AFP et Reuters. Ca a encore été le cas, le 6 juin, avec une ampleur moindre, à Mazraat al-Koubeir, des rebelles, après avoir massacré neuf membres d’une famille, engageant le combat avec les militaires..
Les combats les plus durs ont cependant eu lieu, ces derniers jours, dans le secteur de Heffa (ou al Haffah, à une grosse vingtaine de kilomètres à l’est de du grand port de Lattaquié) : plusieurs centaines de rebelles sont concentrés dans ce secteur nord-ouest du pays, traditionnellement acquis au régime. Près de 60 soldats auraient péri depuis le 5 juin dans les combats dans cette ville, qui est aussi située à une cinquantaine de kilomètres de la frontière turque. Au moins 46 civils et rebelles y ont été tués également. La ville et les villages environnants étaient bombardés dimanche par l’armée pour le sixième jour consécutif, et des troupes supplémentaires sont arrivées sur place.
Avec les violences à Heffa , « le littoral n’est plus une zone sûre et tout le pays est désormais impliqué dans la contestation », claironne l’OSDH. Mais avec l’attitude offensive de l’armée, la zone risque surtout de plus être sûre pour l’ASL. Car c’est une chose que de tendre des embuscades ou faire sauter des bombes au passage de convois, c’en est une autre de se battre en rase campagne , ou même en milieu urbain, contre une armée moderne et nombreuse.
On peut tuer un général au sortir de son domicile avec deux ou trois hommes, on peut poser et déclencher à distance des explosifs avec deux ou trois hommes. On peut tendre une embuscade efficace avec une dizaine d’hommes bien armés. On peut tenir un quartier ou un bout de quartier avec un cinquantaine de types. Mais pour affronter une offensive militaire en bonne et due forme, c’est autre chanson. Or il semble bien que cette armée soit passée à une offensive générale contre les principaux points d’appuis, les principales concentrations de l’ennemi. Sans désormais se soucier du « qu’en dira-t-on » onusien.
Reprise de contrôle d’un nouveau quartier de Homs
Et dans cette contre-offensive générale, l’armée a déjà obtenu un premier succès symbolique : on a appris la reprise de contrôle totale d’un des « bastions de repli » de l’ASL à Homs, le quartier d’al-Qussour (ou al Kussur), au nord-ouest de la ville. À ceux qui s’étonneront de la lenteur des opérations – plus de trois mois écoulés entre la reprise, le 1er mars, de Bab Amr et celle d’al-Qussour – on rappellera que la reprise totale d’un quartier densément urbanisé, de plusieurs centaines de mètres carrés de superficie qui abritait peut-être 40 000 habitants, où chaque fenêtre peut abriter un sniper, et dont les pâtés de maisons ont certainement été reliés par les rebelles, comme ils l’ont fait à Bab Amr, par des passages souterrains, oui la pacification totale et définitive d’un tel quartier n’est pas chose aisée surtout si l’on a choisi de ne pas raser le quartier sous les bombes et les obus.
Reste à s’occuper du secteur, jadis chrétien, d’al-Hameediye, dans le centre de la ville, et d’al-Khaldiyeh un peu plus au nord, où sont les dernières troupes du chef ASL Abdel Razzak Tlass, lequel se vantait naguère devant des casques bleus de contrôler entièrement ce secteur, qui représente peut-être un cinquième de la grande ville. Les choses devraient avancer à leur rythme lent, mais sûr. Car, une fois que l’armée a nettoyé la place, les mauvaises herbes insurgées n’y repoussent pas facilement : malgré toute sa « tchatche » et son imagination propagandistes, l’OSDH n’a plus jamais parlé de Bab Amr !