L’affaire remonte à 2011. Deux jeunes genevois avaient publié, sur le site « Genève non-conforme », une affiche représentant une figurine ornée du drapeau israélien, d’une kippa et de papillotes dont la tête était transpercée par une flèche. La Cicad et la Licra avaient porté plainte et le Ministère public avait condamné le duo à une peine de travail d’intérêt général en 2012 en s’appuyant sur l’article 261bis du Code pénal Suisse, norme pénale contre la discrimination raciale. Les prévenus avaient immédiatement fait opposition.
Peu avant la date du procès, les deux jeunes avaient reçu le soutien du musicien de jazz et essayiste britannique né en Israël Gilad Atzmon. Voici ce qu’il déclarait publiquement le 1er juin dernier sur le site Égalité & Réconciliation :
« Les caricaturistes devraient faire face aux autorités en suggérant que l’humour n’est pas juste un message, c’est LE message. En soi, la tentative d’ingérence dans l’humour par la censure est en fait un crime contre l’humanité et un crime contre l’esprit humain. »
Ce mercredi 11 juin, la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève examinait donc le recours de Kevin E. et de Thomas [1]. La salle d’audience était pratiquement vide mais à en juger par la présence du procureur Olivier Lutz, il ne s’agit pas d’une affaire mineure. Thomas est le premier à être interrogé par la présidente de la Chambre, Madame Verena Pedrazzini Rizzi. Il paraît plutôt calme et détendu. Une grande partie du débat porte sur les conversations sur Facebook entre Thomas et Kevin E. qui se déroulent suite à la publication de l’affiche litigieuse.
Me Darbre, représentant de Kevin E., insiste sur le fait que son client, qui a des origines juives, n’est pas du tout antisémite. Son client n’aurait pas réalisé l’affiche mais uniquement participé à sa modification. L’affiche avait été en effet quelque peu édulcorée dans un deuxième temps. La kippa et les papillotes avaient disparu du dessin.
Me Junod, avocat de Thomas, estime que le débat est politique. Pour appuyer sa démonstration, il cite le cas du caricaturiste Chapatte qui avait fait une caricature représentant un juif à propos des fonds en déshérence ainsi que les propos de l’ancien Conseiller fédéral Delamuraz qui avait parlé de rançon et de chantage dans cette même affaire. Me Junod n’a pas souvenir qu’on ait attaqué Chapatte ou Delamuraz pour antisémitisme. « Le débat a été d’une teneur émotionnelle et passionnelle alors que le rôle du Ministère public est justement de dépassionner le débat », poursuit Me Junod. Ce dernier admet que le dessin puisse être maladroit et de mauvais goût mais qu’il ne fait pas partie d’une problématique pénale. Selon l’avocat, à travers ce dessin, on s’attaque aux sionistes religieux et pas au juif en tant que tel. « On a détourné le débat en disant qu’on s’attaquait à la communauté juive dans son ensemble, il y a un mensonge sémantique », souligne Pascal Junod. Il demande l’acquittement pur et simple de son client.
Dans son réquisitoire, le procureur Olivier Lutz estime que les prévenus agissent sous le masque de l’antisionisme. Le Ministère public est convaincu que Kevin a participé à la conception de l’affiche et que Thomas n’aurait pas agi seul. Selon le procureur, ce dernier aurait voulu visiblement éviter une condamnation à son ami. « Les sites comme Genève non-conforme, consultés par des personnes diverses, ne comportent aucun message d’avertissement », déplore Olivier Lutz pour qui l’interprétation littérale du dessin est la suivante : Éliminez les juifs ! Le Procureur Olivier Lutz dénonce « une absence totale de prise de conscience des prévenus ». Le Ministère public demande au Tribunal de confirmer le jugement et de rejeter les demandes d’indemnisation des prévenus.
Le dernier mot est accordé à la défense. Thomas insiste sur le fait que le dessin représente une figure extrémiste sioniste israélienne et que le personnage est clairement identifié par son drapeau israélien. « Si j’avais représenté un barbu islamiste, on n’aurait pas pu m’accuser de viser l’ensemble des musulmans », conclut-il. Kevin E. affirme de son côté vouloir prendre ses distances avec la politique : « Je n’ai plus d’activité avec Genève non-conforme, je souhaite me ranger et mettre sur pied une startup », insiste-t-il.
Le verdict devrait être rendu dans le courant du mois de juin. Si les prévenus n’obtiennent pas gain de cause ils sont prêts à aller jusqu’au Tribunal fédéral.
Alimuddin Usmani, le 12 juin 2014