Au lendemain de la formation du nouveau gouvernement italien, Le Figaro s’est entretenu avec Diego Fusaro, « le théoricien qui a inspiré la campagne du Mouvement cinq étoiles ». Si cette définition exagère probablement son influence, il est vrai que l’essayiste italien a souvent profité du blog de Beppe Grillo comme d’une tribune pour diffuser ses idées contre l’Euro, la dictature financière, la théorie du genre ou l’immigration de masse.
Mais c’est surtout la télévision qui a donné à Fusaro une forte visibilité, en l’investissant du rôle atypique du jeune philosophe qui, avec ses citations de Marx et son registre de langue soutenu, voire pompeux, professe des opinions dont la moitié suffirait à détruire sa réputation en France. Dans un article récent publié sur le Corriere della Sera, la philosophe Donatella di Cesare, spécialiste de la pensée de Martin Heidegger, a dénoncé la xénophobie et l’antisémitisme de ce « philosophe de téléréalité ».
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Fusaro a réussi efficacement à remplir un vide dans le camp idéologique, en interceptant une réelle demande politique et en proposant des remèdes aux problèmes anciens qui tourmentent l’opinion publique italienne. Proche de la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist, Diego Fusaro est néanmoins souvent présenté par les médias italiens comme « marxiste ». De son côté, il préfère se décrire comme un « disciple indépendant » du penseur allemand, et il semble sincèrement convaincu que ses idées sont de gauche. Nous l’avons rencontré pour mieux comprendre des idées qui risquent aujourd’hui de devenir hégémoniques partout en Europe.
Groupe d’études géopolitiques – Que pensez-vous du nouveau gouvernement italien ?
Diego Fusaro – Le 4 mars en Italie ce n’est ni la droite ni la gauche qui ont gagné, mais le Peuple unique et tout entier qui montre que les catégories de droite et de gauche sont dépassées. L’Italie est un laboratoire unique en ce moment, car elle a réussi là où les autres peuples ont échoué : elle est devenue l’avant-garde des peuples d’Europe. La « masse nationale », selon l’expression de Gramsci, des exclus de la mondialisation s’est exprimée contre celle-ci. Ce résultat est positif puisqu’il a indigné les maîtres de la finance internationale, comme George Soros. La réaction des marchés est le signe que l’Italie a fait quelque chose de révolutionnaire.
Vous parlez souvent de Soros, pourquoi ?
L’activité de Soros est incessante ! À travers son Open Society Foundation il a agi pour abattre l’URSS, puis il a orchestré les privatisations du patrimoine national italien. Aujourd’hui il est déchaîné, car le conflit de classe a atteint son apogée. L’élite financière attaque les États souverains et l’éthique des peuples : c’est un moment décisif. Le 10 juin, justement, Soros a écrit sur Twitter qu’il était furieux contre l’Italie et le populisme et qu’il redoublerait ses efforts, en agissant contre l’Italie. C’est ce qu’il a écrit, littéralement ! Voici la situation où nous sommes, et qui prouve que l’Italie est en train de bien faire.
Vous approuvez donc la campagne d’Orban contre Soros ?
On dit souvent qu’il s’agit d’une campagne antisémite, mais il ne s’agit pas de combattre Soros parce qu’il est juif : ceci serait évidemment très mal. Il faut combattre Soros en tant qu’ultracapitaliste qui achète les pays et déstabilise les gouvernements avec ses « révolutions colorées ». D’ailleurs Soros n’a pas été chassé de la Hongrie, il a juste subi une augmentation des impôts. Voilà la vérité. Je pense que chaque peuple doit se libérer de ces personnages cyniques et déracinés qui soutiennent le système financier.
L’idée de déracinement est souvent présente dans vos écrits et vos interventions. Pour expliquer la crise, par exemple, vous parlez d’une « aristocratie financière déracinée ».
Dans mon dernier livre je propose une nouvelle géographie du conflit de classe : il y a en haut la classe financière déracinée des grands seigneurs de la spéculation, comme Soros justement, et en bas les nouveaux « esclaves », pour citer Hegel, les masses nationales populaires. Dans cette classe opprimée, convergent l’ancien prolétariat décrit par Marx ainsi que la bourgeoisie. Aujourd’hui le capitalisme, c’est l’aristocratie financière, qui vit de ses rentes spéculatives et de ses fraudes légalisées comme celle des subprimes aux États-Unis.
« La gauche des mœurs légitime ce que la droite de l’argent lui demande »
Pourquoi dites-vous que le clivage entre droite et gauche est dépassé ?
Le capitalisme mondialisé est un aigle à deux ailes : la première aile, c’est la droite de l’argent, qui détruit l’État, favorise l’immigration de masse et travaille à la destruction de toute dimension éthique au sens hégélien ; la seconde aile, c’est la gauche des mœurs qui au lieu de faire obstacle à ces tendances les légitime à travers ses « superstructures », pour reprendre Gramsci à nouveau. Et donc elle nous dit que l’État doit être abattu car il est fasciste, que la Famille doit être détruite car homophobe, qu’il nous faut importer toujours de nouveaux migrants. En somme, la gauche des mœurs légitime ce que la droite de l’argent lui demande. Il nous faut réagir. Je propose une synthèse entre des idées de gauche et des valeurs de droite au nom de l’Intérêt National ; c’est du reste le nom de mon association.
Quelles sont pour vous ces valeurs de gauche ?
Travail, Solidarité, Défense des plus faibles, Communauté au sens de Costanzo Preve.
Et les valeurs de droite ?
Famille, Patrie, État, Honneur.
À propos de ces valeurs de droite, vous avez souvent dénoncé la théorie du genre, pourriez-vous restituer à nos lecteur votre analyse ?
La théorie du genre incarne le projet du Nouvel Ordre Mondial sur le plan des mœurs sexuelles. Son but est de détruire la Famille, cette « cellule génétique » sur laquelle selon Hegel repose la société entière. Hegel nous dit que les citoyens sont une famille universelle dans l’État. Donc le projet des mondialistes est de détruire la Famille et l’État, la Famille comme cellule génétique et l’État comme « accomplissement de l’Éthique ».
Pour faire cela, ils détruisent la base même de la Famille, c’est-à-dire la différence sexuelle, à travers l’idéologie du postmodernisme sexuel qui annule les identités. De la même façon que le libéral détruit l’État, le libertin genderfluid attaque la Famille. Ainsi il ne reste que des atomes dans un contexte de libre échange érotique sans plus de liens. La Famille est dissoute et il ne reste plus qu’un système atomisé d’individus jouissants, sans aucune valeur éthique ni liens stables.
Vous parlez aussi de « féminisation » ou de « dévirilisation ». Comment la lecture de Marx et Hegel, dont vous vous réclamez, vous a amené à ces conclusions ?
Ces auteurs sont précisément le remède contre la dévirilisation en cours ! Car la dévirilisation se fonde sur une destruction de l’homme, qui comme le disait Aristote est un animal politique : donc l’homme n’existe pas en tant que simple atome mais dans son rapport à la communauté. La dévirilisation procède de l’atomisation de la société, c’est-à-dire le contraire de la « communauté » dont nous parlent Aristote, Hegel et Marx.
Aujourd’hui il n’y a plus que l’individu tout-puissant atomisé, animé par une volonté de puissance consumériste illimitée dont la conséquence est la « fluidité du genre », cette idée que chacun peut tout simplement décider s’il est un homme, une femme transgenre ou je ne sais pas quoi ! On nous présente ça comme une forme d’émancipation, mais au contraire il s’agit de l’acmé du capitalisme : nous devenons de purs consommateurs asexués et sans identité.
Quelles sont les forces politiques en Italie qui convergent sur cette défense des valeurs traditionnelles ?
J’évite d’utiliser ce mot de « valeurs traditionnelles ». Ce qui compte avant tout pour moi ce sont les racines solides et communautaires de la société, ce que Hegel appelait les « racines éthiques » : la Famille bien sûr mais aussi les syndicats, l’école, la santé et surtout l’État Souverain et National. Donc il faut dénoncer le capitalisme comme le faisait Marx et revendiquer l’éthicité avec Hegel. Ces thématiques ont été reprises par la Lega et le Movimento Cinque Stelle, qui ont compris que le capitalisme mondialiste est un mal, qu’il faut donc réagir. Mais en Italie ce camp est encore trop fragmenté : il y a le Peuple de la Famille, les souverainistes, mais il nous faut une vision unitaire pour guider cette révolte contre la société mondialisée. Il faut partir de Hegel, pour défendre les communautés.
Vos idées, qui encore il y a quelques années auraient pu être considérées extrémistes, sont-elles aujourd’hui devenues hégémoniques en Italie ?
Ce sont les idées que défendait mon maître Costanzo Preve, et qui sont défendues en France par Alain de Benoist : ce sont des idées de gauche avec des valeurs de droite, et elles sont en train en effet de devenir hégémoniques. Pour moi il s’agit, selon la technique gramscienne, d’« hégémoniser » le débat public, c’est-à-dire de créer patiemment un horizon partagé de lutte contre le capitalisme, en faisant converger des individus qui viennent d’horizons politiques très différents pour créer une contre-culture qui deviendrait peu à peu consensuelle, en utilisant les espaces laissés par la télévision, la presse, et l’édition pour renverser cette Pensée Unique qui nous domine. Nous sommes en train d’y parvenir, regardez Salvini et Di Maio : ils ont métabolisé certaines de nos idées.
Voyez-vous d’autres convergences avec des intellectuels français ?
J’ai de l’estime pour Serge Latouche, avec lequel je suis en contact. Je ne suis pas véritablement acquis à la cause de la décroissance, mais j’apprécie qu’il ait compris le besoin de mettre des limites au capitalisme triomphant. J’étais en contact avec feu André Tosel. Et j’estime beaucoup Jean-Claude Michéa. Mais le penseur qui m’est le plus proche est, sans aucun doute, Alain De Benoist.
Dans un article publié en ligne l’année dernière, vous avez dénoncé un projet de remplacement de la population européenne qui aurait été conçu en 1953 par le comte Kalergi, une théorie du complot qui a eu un certain succès sur le web italien…
Je ne dis pas qu’il y a un véritable complot derrière ce remplacement ! Mais le comte Kalergi a mis noir sur blanc dans son « Idéalisme pratique » la logique des dominants : c’est bien sûr de faire baisser le prix du travail à travers les délocalisations et l’immigration de masse. L’immigration est donc évidemment une arme dans les mains de cette classe dominante : il s’agit d’une déportation de masse pour faire arriver en Europe des millions d’esclaves africains.
Vous dénoncez souvent le rôle des ONG qui opèrent dans la Méditerranée…
Les ONG sont des instruments de déportation de masse : elles nous font croire qu’elles agissent au nom de la société civile, mais en vérité elles sont à la solde des intérêts privés des seigneurs du mondialisme qui veulent toujours plus d’immigration.