Le souverainisme gagne les esprits dans notre pays à une vitesse terrifiante
Régis Debray, vous l’imaginez bien, n’est pas punk. C’est même un anti-punk, tant il déteste l’individualisme anarchiste. Son livre, Madame H., c’est pourtant « no future » (écrivons-le en français : « pas d’avenir ») puisque le vieux – 75 ans – maréchal est une figure du patriotisme tricolore. Voilà l’ouvrage attendu de tous les souverainistes (éditions Gallimard). Celui qui montre une bonne fois pour toute que le monde tel qu’il va, globalisation, technologie, médiatisation, court à sa perte. La disparition des frontières aboutit à la perte du sens. Voilà tout. La cloche a sonné en cet automne 2015, voici « la fin de l’humanité en marche », la fin de tout, de tous les espoirs, des messianismes, la fin des haricots.
Comme hélas, le souverainisme gagne les esprits dans notre pays à une vitesse terrifiante, il faut le lire. Faire le tri et, très modestement, chercher à répondre. Debray, grand désillusioniste, a du talent, du feu dans la plume, des luminescences vraies mais il sert une cause plus petite que lui, celle du populisme ; aussi faut-il y regarder à deux fois.
Le penseur-combattant-conseiller-écrivain allume un grand lustre vénitien, d’éclats, de perles et de déclins. Venise, notons-le au passage, la cité-empire devenue, aux yeux du nostalgique, la plus symptomatiquement atroce des destinations touristiques. La Sérénissime alourdie par les cars chinois, finit ensevelie dans la lagune… Venise, c’est nous, c’est la civilisation.
Baroque ouvrage, plein de percées brillantissimes. Des lumières de tout en haut du plafond, de l’Histoire, comme lorsque Debray souligne qu’en 1945, l’ONU ne comptait pas 50 Etats, et que nous en sommes à 193. « La mondialisation techno-économique fomente une balkanisation politico-culturelle ». Bien vu au moment où, après l’Ecosse, la Catalogne se veut un Etat indépendant. Jugement du philosophe : « Les frontières modernes s’effacent, on remonte de l’Etat à l’ethnie ». Le Catalan, une ethnie qui croit pouvoir affronter le « no future » avec son bel orgueil...
Souverainistes, accrochez-vous au sacré national. « L’utopie libérale espérait que la carte bleue gomme les cartes d’identité, en réalité elle les fait sortir au grand jour (…). La pacification par le doux commerce, l’OMC, cela reste le doigt dans l’œil ». Et pour achever le dernier espoir : « Le sacré européen fait faux bond. Les politiques n’ont plus rien en surplomb au-dessus de leur tête, sinon des poncifs qui font rigoler ».
Méchanceté donnée au Point par l’auteur, à propos de Hollande : « Une colonne vertébrale, cela ne tombe pas du ciel et les petites circonstances ne font jamais un grand caractère ». Et plus largement ce jugement contre ses anciens camarades : « La gauche préfère tellement le pouvoir sans idées aux idées sans pouvoir, qu’elle fait le caméléon ».