Révélation du Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale (SNPDEN, syndicat de chefs d’établissements affilié à l’UNSA et lié au PS) en cette fin d’année scolaire : le bac coûte un milliard et demi d’euros en cours non-assurés – les professeurs étant occupés à surveiller les épreuves, puis à corriger les copies. Le SPNDEN n’a pas encore calculé ce que coûtent les élèves qui doivent redoubler leur terminale. Ce sera pour une prochaine fois…
Cette offensive est copieusement relayée par les grands médias, qui commentent favorablement la proposition du SNPDEN : alléger l’examen terminal au profit du contrôle en cours de formation (CCF pour les intimes).
Fait intéressant, ce ne sont pas les proviseurs qui ont ouvert le feu. En septembre 2012 déjà, un communiqué commun de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), de l’Union nationale des lycéens (UNL) et de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), tous les trois proches du PS aussi (eh, oui ! rappelez-vous : l’UNEF-SE, proche du PCF, s’est réunifiée avec l’UNEF-ID « socialiste » en 2001…) pondaient un communiqué commun demandant le développement du CCF, au motif que le bac actuel « n’évalue qu’une restitution scolaire de connaissances à un moment donné », ce qui est une double idiotie :
d’abord parce que les candidats doivent maîtriser toutes les connaissances acquises en terminale (voire avant, selon les disciplines) ;
ensuite parce que le bac n’a jamais demandé « une simple restitution de connaissances » : on demande quand même aussi aux candidats de réfléchir un peu !
Ce communiqué caricature donc grossièrement l’examen terminal (qui veut noyer son chien déclare qu’il a la rage…).
Plus intéressant encore, les trois syndicats roses reprochent au bac d’ « ignore[r] totalement les compétences [souligné par nous] des élèves » issues du « socle commun ».
Que cache cette offensive ?
Le cheval de Troie est déjà dans la place : l’éducation physique et sportive, les travaux personnels encadrés (TPE, importés des États-Unis par Claude Allègre), et depuis cette année, les langues vivantes, sont évaluées en cours d’année par les professeurs de l’établissement, voire par les professeurs que le candidat a en cours (chaque proviseur fait sa cuisine comme il l’entend). Si cette pratique se généralise, c’est à terme la fin du bac national.
En effet, rien n’est plus facile que de gonfler les pourcentages de réussite à l’examen en surnotant les CCF. Cela fait des années que les recteurs et les inspecteurs font pression sur les correcteurs pour qu’ils surnotent les copies de bac (le gag du barème sur 24 points pour les épreuves de français de l’académie d’Orléans-Tours vient de nous le rappeler). Le CCF permet aux proviseurs d’arriver en renfort dans cette manœuvre, ce qui n’est pas rien : leurs moyens de pression sur les professeurs sont plus directs (note administrative, répartition des classes, confection de l’emploi du temps… : un protal qui vous a dans le nez peut vous pourrir la vie au bahut !).
D’autant que les techniques de « management » imitées du privé prolifèrent dans l’Éducation nationale depuis dix ans : le lycée est vu comme une entreprise, et les parents d’élèves comme des clients qu’il faut satisfaire (notamment en permettant aux élèves d’avoir le bac). Dans cette logique, autant être très généreux lors des CCF… Il suffit de regarder les résultats obtenus actuellement aux TPE : ils sont tellement mirobolants que les élèves eux-mêmes en plaisantent !
Puis, quand le taux de réussite au bac atteindra 95 %, y compris dans les classes où les élèves sèchent la moitié des cours (ça existe !), la deuxième phase de l’offensive démarrera, sur le mode : « Le bac ne vaut plus rien, tout le monde l’a, et il coûte encore X millions, autant le supprimer carrément. »
Supprimer le bac : quel intérêt, et pour qui ?
Actuellement, les conventions collectives sont liées au diplôme. Elles fixent par exemple, par branche d’activité, un salaire minimum sous lequel l’employeur n’a pas le droit de descendre si vous avez, par exemple, le bac, bac + 1, etc. Faire sauter le bac, qui est la clé de voûte de l’édifice, ferait effondrer toute l’architecture des conventions collectives… pour le plus grand bonheur du patronat, qui déteste ces « rigidités »… parce qu’elles protègent les salariés !
Il sera alors temps de passer à la dernière phase du plan : la mise en place du contrôle continu permanent par le patronat lui-même. Dans leur livre Tableau noir paru en 1998 chez EPO, Gérard de Sélys et Nico Hirtt citaient (p. 51) un rapport du cercle patronal European Round Table (ERT) intitulé Investir dans la connaissance - l’intégration de la technologie dans l’éducation européenne (Bruxelles, février 1997). On pouvait notamment y lire ceci : « L’usage approprié des TIC [technologies de l’information et de la communication] dans le processus éducatif va imposer d’importants investissements en termes financiers et humains. Ils généreront des bénéfices à la mesure des enjeux. » Déjà en 1995, la Commission européenne écrivait dans un Livre blanc qui se référait explicitement aux travaux de l’ERT : « L’individu doit pouvoir faire valider des compétences indépendamment du fait qu’il passe ou non par une formation diplômante » (op. cit., p. 40). On retrouve ici le terme de « compétences », introduit dans le vocabulaire de l’éducation à la demande du patronat européen (et repris avec enthousiasme par la FCPE, l’UNL et l’UNEF !). L’année suivante, une table ronde de l’OCDE concluait que « la technologie crée, ce qui est une première, un marché mondial de la formation » (souligné par nous). Ces idées sont à l’origine de la dévastatrice loi LRU sur l’autonomie des universités, mise en place par l’UMP, et jamais remise en cause par le PS…
Mais, me direz-vous, et les lycéens pauvres qui n’auront pas accès aux services (forcément payants !) de ce « marché mondial de la formation » ? L’OCDE a tout prévu : ce sera aux États d’ « assurer l’accès à l’apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l’exclusion de la société en général s’accentuera à mesure que d’autres vont continuer de progresser » (op. cit., p. 42). En clair : les profs du public devront assurer la garde des élèves qui n’ont pas les moyens d’entrer dans le système patronal d’acquisition et d’évaluation de compétences. C’est ce qui ce passe déjà aux États-Unis, qui servent de modèle en la matière… et où le système scolaire est le plus coûteux et le plus inefficace de tous les pays riches !
Et voilà pourquoi le bac « coûte trop cher » ! À propos, la contribution de la France au budget de l’Europe s’est montée cette année à 23 milliards d’euros. Mais ça, bien sûr, c’est donné…
Didas Kalos