« Jean Tirole est l’un des économistes les plus influents de notre époque. Il est l’auteur de contributions théoriques importantes dans un grand nombre de domaines, mais a surtout clarifié la manière de comprendre et réguler les secteurs comptant quelques entreprises puissantes », a annoncé le communiqué de l’académie de Suède qui a remis le prix Nobel à l’économiste français.
Né à Troyes en 1953, ce polytechnicien, titulaire d’un doctorat d’économie aux États-Unis obtenu au Massachusetts Institute of Technology (MIT), est l’un des fondateurs, en 1991, de l’Institut d’économie industrielle, berceau de ce qu’on appelle aujourd’hui l’« école de Toulouse » en économie. Il est président de la Fondation Jean-Jacques Laffont – Toulouse School of economics (TSE), considérée comme l’une des plus grandes écoles d’économie française. Médaille d’or du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) en 2007, il est également membre du Conseil d’analyse économique, une instance chargée d’aiguillonner la politique économique du gouvernement...
Une fois passé la lecture d’un CV rutilant et la légitime fierté patriotique, une question se pose : en pleine crise économique, quelles solutions propose Jean Tirole ?
Théoricien de la nouvelle économie industrielle
Récompensé aujourd’hui pour ses travaux sur la régulation des marchés, Jean Tirole, théoricien de la nouvelle économie industrielle, ne préconise une régulation par l’État que pour rendre possible les conditions de la concurrence « pure et parfaite ». Ainsi s’inscrit-il dans la continuité de Léon Walras, un des fondateurs de la théorie néoclassique, qui évoque un « tâtonnement progressif », qui nuance la « main invisible » chère à Adam Smith. Bref, la nouvelle économie industrielle voit l’État comme un garant de l’économie de marché, chargé de veiller à son bon fonctionnement. Dans le même ordre d’idée, il est l’un des promoteurs de l’écologie de marché, qui consiste, pour sauver l’environnement, à créer de nouveaux marchés : marché des « droits à polluer » ou « droits d’émission négociables », « taxe carbone », etc.
Pour Jean Tirole, le financement et la gouvernance d’entreprise sont envisagés sous l’angle de la shareholder value, la valeur actionnariale. Dans son livre de référence publié en 2006, The Theory of Corporate Finance, il explique que la gouvernance d’entreprise relève des « voies par lesquelles les investisseurs [suppliers of finance corporations] s’assurent de leur retour sur investissement […]. Les économistes, et du coup, le cadre et les acteurs réglementaires, ont toujours affirmé que, sur la base de prix reflétant la rareté des ressources, le management doit avoir pour objectif de maximiser la richesse des actionnaires. » C’est-à-dire la financiarisation des entreprises par la priorité donné aux actionnaires, soit le passage du pouvoir des patrons d’entreprise au pouvoir des actionnaires, le patron n’étant plus qu’un tampon entre un actionnariat prédateur et hors-sol et des ouvriers enracinés et pressurés. Apôtre de l’introduction de la concurrence dans les secteurs administrés par des monopoles publics, Jean Tirole partage avec les théoriciens de l’école de Chicago, (Milton Friedman, Gary Becker, etc.) la méthodologie de la théorie néoclassique.
On ne s’étonnera donc pas des louanges qui lui sont tressées par Emmanuel Macron, Jacques Attali et les milieux financiers en général…
La finance dans l’enseignement universitaire
Jean Tirole est l’un des principaux artisans en France de la tentative d’intrusion et de lobbying des milieux financiers sur l’enseignement et la recherche économique de pointe à l’Université, comme l’explique Laurent Mauduit, qui l’épingle dans Les Imposteurs de l’économie. Enquête sur ces experts médiatiques au service de la finance (2012).
Ce dernier décrit aujourd’hui sur Mediapart l’École d’économie de Toulouse comme « la tête de pont au sein de l’Université française des courants de pensée libéraux ou ultralibéraux en économie. Plus que cela ! C’est lui, effectivement, qui a joué les précurseurs pour inviter le monde de la finance à sponsoriser la recherche économique. »
Son école est en effet gérée par la Fondation Jean-Jacques Laffont, un organisme qu’il préside, créé par le CNRS, l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et l’université Toulouse 1 (c’est-à-dire l’État tant décrié), et alimenté par des entreprises telles qu’AXA, BNP Paribas, le Crédit Agricole, Total, etc. Bref, des multinationales et des banques qui ne sponsoriseraient certainement pas des travaux dont les conclusions iraient contre leurs intérêts…