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Qu’est-ce qu’un ange ?

Le présent article est un mini-traité sur les anges. Il est à destination de tous ceux qui souhaitent approfondir la question de la nature des anges.

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Le mot ange vient du grec ἄγγελος, messager ; mais ange est aussi l’anagramme du mot agen, « celui qui fait les affaires d’autrui, qui est chargé d’une fonction, d’une mission publique ou privée » (Littré). (Le -t dans agent ne sert qu’à former les dérivés verbaux ; il faudrait le supprimer pour la forme nominale.)

 

Dans sa signification la plus ample, l’ange désigne un être du domaine intermédiaire, le domaine intermédiaire étant l’espace qui se trouve entre Dieu et l’homme. (Il ne s’agit pas d’une distance physique, évidemment, mais existentielle.) Si l’ange est généralement décrit comme messager, c’est parce que le monde a été crée par la Parole, qui est l’activité créatrice de Dieu ou l’acte par lequel Il construit les mondes, cette construction n’étant pas un acte momentané, mais un renouvellement permanent (d’ailleurs, le mot nature vient de la même racine que naître, car la nature est le lieu du changement, qui consiste dans des naissances continuelles). C’est à chaque instant que la Parole maintient et ordonne le monde en reproduisant ici-bas le « Plan » dont le modèle est contenu dans l’Intellect divin.

On peut concevoir la Parole de manière synthétique ; elle sera cette force qui crée le monde en s’appuyant sur les Idées-Archétypes contenues dans le divin Intellect. Mais on peut aussi la concevoir de manière séparative ; elle sera alors les anges, qui sont chacun la manifestation d’une parole ou d’un aspect de la Parole. Il ne s’agit plus de la Parole dans toute sa plénitude (c’est-à-dire l’Activité créatrice universelle), mais d’un acte créateur limité à un domaine spécifique de la Création.

Dans son Opuscule sur les substances séparées (par quoi on entend les anges, dont le corps est immatériel ou séparé de la matière), saint Thomas d’Aquin résume la pensée de Platon sur les anges.

...il [Platon] regardait la première idée de l’unité, ce qu’il appelait un-en-soi et bon-en-soi comme le premier principe des choses [c’est-à-dire la Cause première de toutes choses] et qu’il nommait Dieu. Et, sous cette unité, [qu’il identifiait à Dieu,] il établissait plusieurs ordres de principes [c’est-à-dire plusieurs catégories de causes, qui sont des causes secondes dérivant de la Cause première] et de conséquences (de créateurs et de créatures [ce qui signifie que les anges, qui sont les créateurs et créatures dont il est ici question, ne sont que des agents ou des "extensions" de la Divinité Elle- même]), dans les substances séparées de la matière [c’est-à-dire les anges], qu’il appelait des dieux [ou êtres divins] de second ordre [émanés directement de Dieu], comme des unités secondaires [émanées] à [partir de] la première unité [qui est Dieu].

[...]

On voit donc, d’après cela, qu’ils [les Platoniciens] mettaient entre Dieu et nous quatre ordres [ou quatre catégories d’anges], c’est-à-dire 1) les dieux de second ordre [qui sont émanés directement de la Cause première et qui ont probablement un rapport avec les planètes du Système solaire, comme Zeus/Jupiter ou Chronos/Saturne, qui représentent chacune une « sphère d’influence » définie] ; 2) les intelligences séparées[qui sont probablement les Idées-Archétypes ou « structures intelligibles »] ; 3) les âmes célestes et 4) les bons et mauvais démons [qui sont la manifestation de nos états émotionnels]. Que s’ils disaient vrai, tous ces ordres intermédiaires seraient ce que nous appelons les anges, car l’Écriture sainte donne le nom d’ange aux démons. Il faut encore compter parmi les anges les âmes des corps célestes, s’ils sont animés, comme le dit saint Augustin dans son Enchiridion.

Il fut un temps où il existait, en Europe, des sciences traditionnelles – nous pensons spécifiquement à l’astrologie et l’alchimie. L’idée que les corps célestes auraient des « âmes » peut paraître étrange pour un moderne, mais il faut savoir que les anciens (que ce soit les Grecs ou les scolastiques) ont toujours vu les corps physiques comme un composé d’« acte » et de « puissance », ou d’« esprit » et de « matière ». L’âme (du latin anima) désigne « ce qui anime » ou impulse le mouvement (c’est donc le côté acte ou esprit : l’âme est esprit car, en tant que médiateur, elle transmet le mouvement de l’esprit au corps), alors que les corps célestes ne sont que des boules qui se laissent agir par leurs âmes – elles sont donc « en puissance » par rapport à leurs âmes respectives. Voila pourquoi les anciens parlaient des âmes des corps célestes, alors que l’idée de chercher un principe moteur (une âme) derrière les phénomènes visibles ne vient même pas à l’esprit des modernes. Et il faut se rappeler ce que dit la Bible : que Dieu créa « des luminaires pour distinguer le jour de la nuit, et pour qu’ils marquent les saisons, les jours et les années. Que, dans l’étendue du ciel, ils servent de luminaires pour illuminer la terre » (Genèse 1:14-15), car pour les religieux, ce sont ces versets qui viennent immédiatement à l’esprit, et c’est ici qu’on peut penser à l’astrologie et à la manière dont les âmes des corps célestes déterminent le cours des événements en donnant aux périodes (printemps, été, automne et hiver) une qualité particulière, en fonction des qualités qu’on attribue à telle ou telle planète ou signe du zodiaque. Il n’est pas bien difficile de retrouver ces idées dans l’étymologie des jours de la semaine (lundi, jour de la lune ; mardi, jour de mars, et ainsi de suite) et même dans les mois de l’année, comme janvier, qui signifie porte, car ce mois ouvre l’année ; et nous noterons qu’il existe un rapport, visible dans l’étymologie du mot, entre le mois de janvier et le symbolisme de Janus bi-front, sur lequel Guénon a publié plusieurs articles (v. Symboles fondamentaux de la science sacrée).

Pour ce qui est de l’interaction entre les hommes et les anges, nous citerons le rabbin Adin Steinsaltz. Pour comprendre l’activité des anges, il faut comprendre les notions suivantes :

- la demeure ou sphère d’activité : c’est la sphère au sein de laquelle se déroulent les opérations angéliques ;
- le temps ou rapport de causalité : ce sont les liens de cause à effet qui déterminent les opérations ;
- l’âme ou ensemble organique : c’est l’interaction entre les anges existant au sein d’une même demeure.

....ce qui est analogue à l’espace dans le monde de l’action physique est appelé « demeure ». C’est l’ensemble[, une sphère d’activité] au sein duquel une variété de formes et d’êtres convergent et se relient [les uns aux autres]. .. toutes les unités [composant la demeure] sont reliées d’une manière définie aux autres parties et à l’ensemble... un système pareil d’existence inter-reliées constituent un "lieu" dans l’abstrait – une "demeure" dans les mondes supérieurs.

Le temps a aussi une signification différente dans les autre mondes. Dans notre domaine d’expérience [physique], le temps est mesuré par le mouvement des objets physiques dans l’espace [v. Aristote, Physique]. L’« année », comme on l’appelle de manière abstraite [ou, plutôt, de manière analogique], constitue [ici] le processus-même du changement ; c’est le passage d’une chose à une autre, d’une forme à une autre, et elle inclut aussi en elle-même le concept de causalité [c’est-à-dire] comme ce qui gardent toute transition d’une forme à une autre dans le cadre de la loi [c’est-à-dire que le concept de causalité est l’expression du concept de "loi" au sens le plus large]. [...]

Finalement, ce que nous appelons « âme » est, dans le monde physique, la totalité des créatures vivantes fonctionnant dans le temps et l’espace ... dans ce monde.... elles sont distinguées ... par leur conscience-d’elles-même et leur connaissance de ce monde. De manière similaire, dans le[s] monde[s] supérieur[s], les âmes sont des essences conscientes-d’elles-même agissant au sein de la demeure [sphère d’activité] et l’année [les lois de causalité régissant la demeure] de leur monde. [...] [L’ "âme" est un "ensemble organique" composé de différentes entités participant d’une même sphère d’activité ou "demeure".]

L’ange est une réalité spirituelle ayant son propre contenu, ses qualités et son caractère. Ce qui distingue un ange d’un autre [ce] n’est pas la... séparation dans l’espace mais une différence de niveau – un être étant supérieur ou inférieur à un autre – en ce qui concerne [les lois] de causalité élémentaire[s].... comme nous l’avons dit, les anges sont des êtres dans le monde qui est le domaine de l’émotion et du ressenti [– ici, les anges sont décrits en adéquation avec l’idée qu’on s’en fait habituellement de nos jours, où ils s’opposent aux "démons" qui sont leur contrepartie négative] ; et puisque cela est le cas [=puisque l’ange est une réalité limitée à une sphère d’activité spécifique], la qualité substantielle d’un ange peut être [décrite] comme une impulsion ou une inclinaison – disons, une inclinaison en direction de l’amour ou [à être sous l’emprise] d’une peur, ou [d’un sentiment de] pitié, ou quelque chose de similaire. Afin d’exprimer une plus grande unité d’être, [ou] quelque chose de plus englobant, on peut parler d’un "groupe d’anges". Dans le groupe général de l’amour, par exemple, il y a beaucoup de subdivisions [c’est-à-dire des variétés d’anges pour exprimer la variété des nuances d’amour]... Il n’existe pas deux amours qui soient [complètement] similaires... Ainsi, n’importe quelle inclinaison ou impulsion générale est [=inclut] tout un groupe, peut être même [qu’elle inclut toute] une demeure [une sphère d’activité dans sa totalité, composée d’une multiplicité d’anges]... La nature de l’ange est d’être, à un degré, comme son nom le signifie en Hébreux, un messager, de constituer un point de contact entre notre monde de l’action et des mondes supérieurs.
La véritable différence est entre l’âme humaine et [celle] de l’ange. L’âme de l’homme est complexe et inclut [en elle] tout un monde d’éléments existentiels différents de toutes sortes, alors que l’ange est un être d’une seule essence et par conséquent [il est] en un sens uni-dimensionnel [car son âme, ou le principe de son activité, porte sur la réalisation d’un dessein ou d’une mission particulière]. [...] (Adin Steinsaltz, The thirteen petaled rose, Worlds.)

Qu’est-ce qu’un ange gardien ?

Dans un précédent article, nous avions parlé de l’ange gardien ou du démon personnel (deux noms qui désignent une même réalité, le premier étant le terme catholique, alors que le second est celui des Platoniciens et Néoplatoniciens). Nous noterons, sans nous y étendre, que l’ange gardien a un rapport avec le signe astrologique de l’individu. Jamblique a tout un chapitre là-dessus dans son livre Sur les mystères de l’Égypte (v. l’édition des Belles Lettres). Pour reprendre les propos de commentateurs, qui commentent les propos de Jamblique : « Le daemon est la personnification de la somme totale des influences astrales et planétaires sur nous. » (IX. 6-7). Il devient aisé, avec ce commentaire, de comprendre comment l’ange gardien peut impacter notre vie, puisqu’il est intimement lié à notre structure psychophysique, qui est elle-même déterminée par la manière dont les astres nous influencent durant notre vie, en fonction de la configuration astrale du moment, et la manière dont celle-ci affectent notre configuration de naissance. Si nous ajoutons cette note sur les anges gardiens, c’est parce qu’il y a des notions (notamment celle de demeure) dans le texte de Steinsaltz qui rappellent des notions d’astrologie (comme lorsque les astrologues parlent de maison). Par là on voit que ces connaissances sont susceptibles d’être appliquées à des domaines multiples, dans le cadre des « sciences traditionnelles ». Car dès lors qu’on a quelques connaissances opératives dans ces sciences, beaucoup de choses s’éclaircissent, comme toutes ces notions qui paraissent obscures pour les modernes, telles que les anges, les démons et les anges gardiens.

Voila donc comment il convient d’envisager les anges, qui sont de véritables entités avec leur propre état de conscience, leur mission spécifique, la sphère d’activité au sein de laquelle ils agissent, ainsi que la manière dont cette sphère est liée à une autre sphère et à l’ensemble des sphères, ce qui signifie que rien ne peut affecter l’une sans affecter, d’abord la sphère à proximité, puis l’ensemble. Pour ce qui est de la « conscience de soi » des anges, cette conscience est toujours reliée à leur activité ; on peut donc dire que tout l’être de l’ange est entièrement concentré autour d’une activité qui constitue sa mission. En cela, les anges ne diffèrent pas des hommes, à cette différence que la sphère d’activité des hommes (la terre) est beaucoup plus large et, par conséquent, la conscience humaine est bien plus complexe, puisque plus notre sphère d’activité est large, plus nous avons la possibilité de prendre conscience d’une multitude de choses différentes. Mais il convient de ne pas faire l’erreur de croire que les anges (ou « démons ») seraient des personnes, comme quelqu’un nous l’a rétorqué une fois lorsque nous parlions des démons, mais nous aurons à revenir là-dessus prochainement lorsque nous parlerons des démons et des sept péchés (ou vices) capitaux, en nous servant encore des œuvres de saint Thomas d’Aquin, entre autres.

Aaron

 

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8 Commentaires

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  • #3537949
    Le 2 juin à 08:42 par Z
    Qu’est-ce qu’un ange ?

    Bel article !

     

    Répondre à ce message

  • #3537975
    Le 2 juin à 09:55 par KHS
    Qu’est-ce qu’un ange ?

    Excellente présentation de ce que l’on pourrait appeler christianisme roman ou provençal.
    Il n’y a pas besoin de passer par Guénon ni par le symbolisme de la croix : c’est la spiritualité urbaine "normale" du moyen-âge, le vrai christianisme sous occupation romaine sans rapport avec l’Israël des sionistes. J’avoue pour ma part que l’ange au sourire de Reims est ma sculpture préférée.

     

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    • #3538157
      Le 2 juin à 14:34 par CLPRESS
      Qu’est-ce qu’un ange ?

      Il a le poing levé comme Xavier Moreau. "Courage, Poutine arrive !"

       
    • #3538436
      Le 3 juin à 00:58 par KHS
      Qu’est-ce qu’un ange ?

      Je rappelle au passage que Thomas d’Aquin était un admirateur de Maïmonide, dont il s’est très abondamment inspiré, notamment pour rationaliser la prostitution ecclésiastique dans les monastères.

       
  • #3538132
    Le 2 juin à 14:03 par Louise
    Qu’est-ce qu’un ange ?

    Les animaux n’ont aucune espèce de calendrier , de cosmogonie,
    cosmologie ou astrologie ...ni aucun système transmission
    ou de tradition.

    Et pourtant !
    ils savent exactement quoi faire, et quand le faire.

    Il y a surement des "etats intermédiaires", mais nous sommes bien
    loin de pouvoir les expliciter.
    "Nous sommes agis" comme disait l’autre, mais par quoi ?

    A priori l’ADN (qui est une machine !)
    fait 99% du boulot.

     

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    • #3538432
      Le 3 juin à 00:30 par Rectificateur
      Qu’est-ce qu’un ange ?

      L’adn est un langage, c’est du codage, autre preuve du créateur.

       
    • #3538434
      Le 3 juin à 00:39 par KHS
      Qu’est-ce qu’un ange ?

      L’homme n’est ni ange ni bête ni logiciel.
      L’Église catholique a causé de graves dégâts en béatifiant des geeks.

       
    • #3538584
      Le 3 juin à 08:19 par Aide
      Qu’est-ce qu’un ange ?

      « "Nous sommes agis" comme disait l’autre, mais par quoi ? »

      Par notre libre-arbitre, cadeau céleste. Lisez du Chazaud pendant que ça cuit...