Terre rebelle de tradition catholique, l’Irlande est soumise depuis 20 ans par son élite à la politique ultra-libérale inspirée de son ennemi héréditaire : l’Angleterre. Aujourd’hui, c’est une démocratie endettée et sous tutelle de la finance mondialisée.
L’ouvrage d’Alain Soral « Comprendre l’Empire » est un outil intellectuel puissant pour appréhender les mécanismes économiques d’aujourd’hui. À l’instar de K.Marx, qui est avant tout un philosophe de l’histoire, l’auteur utilise la pensée dialectique pour expliquer les origines de la domination financière. Il croise à la fois un regard matérialiste et religieux. La pensée du président d’Égalité et Réconciliation nous donne les clés pour expliquer par exemple, l’histoire économique et politique récente de l’Irlande.
Un ultra libéralisme radical et contre-nature
85 milliards d’euros, c’est l’aide apportée par le FMI et l’UE à l’Irlande en 2010. Comment expliquer que le tigre celtique présenté naguère comme le meilleur élève de l’UE, en soit réduit à quémander l’aide internationale ? Depuis le début des années 90, l’Irlande a fait le choix avec les travaillistes sous la présidence de Mary Robinson d’une politique libérale sans précédents. L’exemple le plus significatif est la baisse du taux d’impôts sur les sociétés à 12,5% quand il était à 33% en France. Ce dumping fiscal, n’a jamais choqué l’union européenne qui a même laissé faire. Pourtant, ce pays a profité des subventions de ses partenaires pour développer son économie.
Le résultat ne s’est pas fait attendre, les investissements étrangers ont afflué vers ce petit pays. Des milliers d’entreprises, notamment américaines y ont installé leurs activités tournées principalement vers la pharmacie, les nouvelles technologies et la finance. La transition économique a été brutale, car l’Irlande avait fondé son développement sur l’agriculture avant de connaître un essor spectaculaire du secteur tertiaire. Depuis 2008, elle est durement frappée par la crise car son économie est internationalisée et soumise à la spéculation financière et immobilière.
Pourtant, son histoire est celle d’un pays qui a forgé son identité en s’opposant à la couronne d’Angleterre. L’indépendance obtenue en 1922, elle devient une nation souveraine catholique libérée du joug britannique. Seule la partie du Nord (Ulster) restera un territoire dépendant de la couronne. Cette petite région est à dominante protestante, riche et industrielle alors que le reste du pays est catholique rural et pauvre. L’île s’est surtout fait connaître pour son conflit religieux qui a fait 3 500 morts en 40 ans.
L’opposition entre le monde protestant et la résistance catholique est surtout un combat entre classes sociales. Le gouvernement mixte pseudo-autonome d’aujourd’hui est encore instable. Le conflit était l’épine dans le pied qui ternissait l’image de l’île et son attractivité pour les investisseurs étrangers. Il fallait instaurer une paix de façade au yeux du monde. Bill Clinton en personne et Tony Blair se sont engagés dans les accords de paix en 1998. La méthode est simple : prendre les deux leaders inconnus mais modérés de chaque camp pour conclure un accord avec à la clé le prix Nobel de la paix pour chacun, matraquer l’opinion publique sur l’importance historique du moment afin qu’elle valide l’accord par référendum.
Une volonté populaire méprisée et résignée
Il faut souvent se méfier lorsqu’un pouvoir politique met en avant des questions sociétales. Il s’agit souvent de masquer des choix économiques déterminants. Dans les années 90, l’opinion publique irlandaise est divisée sur la question de l’avortement. À l’ombre des questions sociétales, des choix ultralibéraux qui engagent le pays aujourd’hui ont été décidés pendant cette période. Comme ailleurs, ces mesures économiques technocratiques n’ont jamais fait l’objet d’un débat.
Quand le peuple irlandais a eu l’occasion de se prononcer sur les choix politiques qui engageaient le pays, il a parfois été remis en cause dans la mesure où sa volonté n’était pas conforme aux intérêts du libéralisme et des marchés financiers. Le traité de Lisbonne a été rejeté par référendum en 2008. Le gouvernement sous la pression de l’Europe et de la finance a soumis une nouvelle fois le traité en 2009 jusqu’à obtenir son approbation. Voter pour le « oui » était présenté à l’électeur comme la seule solution possible pour sortir le pays de la crise financière.
Aujourd’hui, le matraquage médiatique continue, car les électeurs ont été appelés une nouvelle fois à se prononcer sur le pacte budgétaire européen. En échange des aides de l’Union et du FMI, le pays doit mener une politique d’austérité pour redresser ses comptes. Le gouvernement irlandais a mis tout son poids dans la balance pour que le « oui » l’emporte en pointant le risque de ne plus se voir attribuer d’aides. L’opposition a aussi milité en faveur de l’adoption du traité. Avec un taux de chômage à 15% et un endettement public qui s’élève à 100% du PIB, il est facile de forcer la main aux électeurs par la peur.
Rendons hommage à L’œuvre d’Alain Soral, car on comprend pourquoi le monde protestant a réussi une domination économique et idéologique sur l’île quand il a échoué un siècle plus tôt avec les armes.