Plus un livre ne paraît sur Friedrich Nietzsche sans qu’on nous présente l’apôtre du Surhomme comme un être exquis qui, dans la vie, savait prendre le thé avec les vieilles dames ; sans qu’on nous rappelle que le chantre de "la superbe brute blonde rôdant en quête de proie et de carnage" se déclarait farouche adversaire de la peine de mort ; sans qu’on célèbre, derrière le penseur prônant la volonté de puissance, l’amateur délicat du tuberculeux Chopin.
Il est loin le temps où le marxiste juif hongrois d’expression allemande Georg Lukács écrivait : "Il n’est pas exagéré de dire que, s’ils ne l’avaient trouvée chez Nietzsche, les SS, troupes d’assaut d’Hitler et centre nerveux de tout le mouvement, n’auraient pas eu la source d’inspiration intellectuelle qui leur a permis de mener un programme de génocide dans l’Europe orientale" !
Le travestissement du philosophe est tel qu’on en vient presque à regretter ces insanités ! Si la pensée laissait à désirer, au moins le trait était-il net et la vision tranchante, laissant place au débat et à la franche discorde. Malgré la mauvaise foi, une tentative de compréhension sourdait. On ne perdait pas de vue, par exemple, que durant un discours à la Chambre des députés de Rome, le 26 mai 1934, Benito Mussolini s’était présenté comme "le disciple le plus fidèle de Nietzsche", ce qui fit dire à Martin Heidegger, deux ans plus tard : "Mussolini et Hitler, les deux hommes qui ont initié un contre-mouvement par rapport au nihilisme, ont tous deux été les disciples de Nietzsche, même si c’est de façon bien différente".
Depuis, Nietzsche est à l’encan. Entamée bien avant 1968 par Georges Bataille ("fascisme et nietzschéisme s’excluent avec violence"), la découpe du philosophe ne fait que s’accélérer. C’est à qui le dépecera avec le plus de dextérité macabre pour le présenter à l’opinion sous l’aspect le moins polémique, le plus à gauche, pré-soixante-huitard si possible.
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