En évoquant, au nom de la République, la « double ration de frites » qu’il conviendrait de servir dans les cantines scolaires aux enfants ne mangeant pas de jambon, Nicolas Sarkozy relance la machine identitaire à détruire par la droite le vote Juppé à la Primaire LR. Un jeu dangereux.
Dès qu’il s’agit de Sarkozy, il convient d’éviter le piège de l’indignation. S’indigner, par exemple, de la dernière sortie du candidat à la Primaire Les Républicains, c’est tomber dans le piège tendu par l’ancien président. Déplorer, dénoncer qu’il ait pu déclarer, en substance, que « La République, c’est double ration de frites » à l’école, c’est passer à côté de l’essentiel, la déconstruction nécessaire du propos, ce pourquoi il a été pensé et prononcé. Parce qu’au fond, Nicolas Sarkozy s’en moque de la nourriture des cantines scolaires, il n’en parle que dans la mesure où cela peut servir l’objectif du moment : renverser une tendance qui ne le donne pas vainqueur de la Primaire LR.
On reprend. En meeting à Neuilly-sur-Seine, Nicolas Sarkozy a repris l’un de ses couplets favoris, la réduction de la république laïque à une identité politique mono-culturelle. « Je n’accepte pas dans nos écoles qu’il y ait des tables de juifs et des tables de musulmans », a-t-il décrété, précisant que si un élève vient d’une famille où on ne mange pas de porc : « Eh bien le jour à la cantine où il y a des frites et une tranche de jambon, le petit ne prend pas de tranche de jambon et prendra une double ration de frites », avant de conclure : « C’est la République. La même règle et le même menu pour tout le monde ».
La nourriture de l’esprit
Bien évidemment, tout cela est stupide. Il n’existe pas de tables de juifs et de musulmans assignées dans les cantines scolaires, l’enseignement dispensé par l’école laïque et gratuite est indépendant de ce que les enfants peuvent avoir mangé, ou pas, lors du repas de midi, la nourriture physique n’est pas la question de l’Education nationale, qui a pour seul devoir la nourriture de l’esprit par l’émancipation laïque, l’obligation laïque n’incombe qu’à l’État et ses services publics, ses fonctionnaires et agents liés à l’exécution du service public… Bref, tout ce que dit Nicolas Sarkozy, au regard de l’édifice politique et juridique associé à la République laïque est faux et archi-faux.
C’est ici qu’il convient de ne pas céder à la tentation de l’indignation incantatoire, ce que recherche d’abord et avant tout le vaincu de 2012. Il est même plus que probable qu’il sache lui-même qu’il raconte n’importe quoi, mais ce n’est pas son sujet. Comme d’habitude, il fait de la politique à courte vue, cherchant à créer un effet d’aubaine immédiat. D’où la nécessité de comprendre les raisons qui le mènent aujourd’hui à verser dans le laïcisme identitaire.
D’abord la Primaire. Qu’il n’a pas encore perdu, quand bien même il est encore loin de la victoire.
En l’état de l’opinion, tout indique aujourd’hui que le centre de la gravité de la droite française se situe au bord de l’extrême droite. C’est un fait. S’il n’était Nicolas Sarkozy, à savoir un ancien président déchu et vaincu, dont la personnalité indispose une large majorité de Français, le candidat qui raconte aujourd’hui à l’électorat de la droite l’histoire qu’il a envie d’entendre serait sans nul doute invincible, et la victoire à la Primaire lui serait acquise. Y compris contre l’avatar de candidature UDF à l’ancienne qu’incarne Alain Juppé. Mais Sarkozy a pour handicap d’être Sarkozy.