21 octobre 2011.
Blackout. Si les circonstances de la mort de Mouammar Kadhafi suscitent des interrogations, la plupart des médias occidentaux ont d’ores et déjà édulcoré la brutalité de sa capture. Oumma vous propose de découvrir ces autres images qui contredisent l’image héroïque -vue de France- des « révolutionnaires » libyens.
Saddam Hussein avait disparu à temps : quelques minutes après sa pendaison, un seul témoin de la scène fut en possession d’une caméra de téléphone portable. Cinq ans plus tard, la généralisation de cette technologie a facilité le foisonnement des images illustrant la capture et la mort de Mouammar Kadhafi.
Jeudi soir, les chaînes de télévision ont diffusé les extraits de certaines vidéos exposant la dépouille de l’ex-dirigeant libyen. Une séquence n’a pourtant pas bénéficié de l’attention médiatique : d’une durée de 2minutes et 28 secondes, cette vidéo, capturée par l’un des insurgés, révèle la barbarie des hommes qui détenaient le leader déchu. Le visage ensanglanté, Mouammar Kadhafi, recevant des coups de poing, semble implorer - d’un geste de la main- une clémence illusoire.
Une autre séquence, à peine dévoilée, témoigne également de la violence de la capture. Un site américain basé à Boston, The Global Post, a obtenu en exclusivité les premières images de la détention de Mouammar Kadhafi.
Si la plupart des dirigeants impliqués dans la coalition de l’OTAN se sont gardés d’exprimer publiquement toute forme de triomphalisme, une exception fait déjà parler d’elle sur Internet : surprise par la nouvelle, Hillary Clinton, secrétaire d’Etat américaine, a été enregistrée –visiblement à son insu- en train de se réjouir de la mort de Kadhafi. Paraphrasant approximativement Jules César, elle s’extasie : « Nous sommes venus, nous avons vu, il mourut ! »
Si la responsable de la diplomatie américaine voulait (maladroitement) confirmer la thèse d’une hyperpuissance qui s’envisage comme le nouvel Empire romain, elle ne pourrait guère faire mieux. L’idée connexe selon laquelle les Etats-Unis « impérialistes » n’hésiteraient pas également à renier ses partenaires les moins dociles en les qualifiant soudainement de « barbares » n’aurait pas déplu à Mouammar Kadhafi. En 2008, lors du sommet de la Ligue arabe, le chef d’Etat libyen avait mis en garde ses homologues du Maghreb et du Proche-Orient contre une menace future : la trahison américaine. Après avoir évoqué la question palestinienne ainsi que le sort de Saddam Hussein –cet ex-allié des Etats-Unis qui devint leur meilleur ennemi, Mouammar Kadhafi lança une prédiction sous le regard amusé de Bachar al-Assad et Abdelaziz Bouteflika : « Comment un président arabe, un membre de la Ligue arabe a-t-il pu être ainsi pendu ?... N’importe lequel d’entre vous pourrait être le suivant. Tout à fait !...Un jour, l’Amérique pourrait nous pendre ! ».
Finalement, Kadhafi n’aura pas été pendu mais exécuté dans des circonstances qui restent à élucider. Le tireur mériterait les félicitations des chancelleries occidentales : en disparaissant brutalement- et sans le simulacre d’un procès, l’ex-dirigeant libyen emporte dans la tombe 42 ans de secrets d’Etat. Les détails -par exemple- de sa collaboration avec les groupes pétroliers anglo-saxons ou de son engagement contraint dans la prétendue « guerre contre le terrorisme » resteront opaques. L’homme que le président Nasser considérait comme l’héritier du panarabisme ne pourra plus révéler ce qu’il a vu et compris, durant près d’un demi-siècle, en termes de géopolitique. Quant au symbolisme de son élimination, certains veulent déjà l’utiliser pour intimider les autres voisins de la région. Un puissant et influent think-tank américain, le Council on Foreign Relations, n’a pas tardé à faire connaître sa position, très suivie d’ordinaire auprès des élites transatlantiques : « Il est vital que la communauté internationale continue désormais à jouer un rôle de soutien en Libye. Cela produira une démonstration positive, particulièrement dans des pays comme la Syrie et le Yémen ».
A qui le tour ? Après la marginalisation de Yasser Arafat, la pendaison de Saddam Hussein, l’éviction du duo Ben Ali /Moubarak et la « liquidation » de Ben Laden, la décennie écoulée marque une fracture dans la mythologie des dirigeants arabes. Ceux-ci ont toujours constitué, depuis Nasser, un vivier de choix pour fabriquer dans l’imaginaire occidental la figure quasi-hitlérienne de l’ennemi à abattre. Dans ce but, il arrive que la culture populaire véhicule intentionnellement ou non- la propagande élaborée dans les centres de pouvoir. Un instrument de prédilection s’avère efficace pour conditionner les esprits : le cinéma. A titre d’exemple, Kadhafi a souvent été utilisé par Hollywood pour incarner le personnage du « bad guy » à l’échelle planétaire. En 1991, un célèbre film réalisé par le trio composé de Jim Abrahams et des frères Zucker illustrait cette caricature. La scène d’introduction de la comédie « Y a-t-il un flic pour sauver la Reine ? » en disait plus long que toute conférence universitaire sur le sujet. Kadhafi, Arafat, Gorbatchev, Khomeini : sous prétexte d’humour, tous avaient également droit à leurs quinze secondes de diabolisation.
Pour se prémunir de la caricature politique et de la désinformation, il est plus que jamais nécessaire d’écouter d’autres voix en contre-point. Hier soir, Christian Graeff, ancien ambassadeur de France à Tripoli, a ainsi déploré (à 21’20) sur France Culture un « assassinat politique » ainsi que les « mensonges » et la « sophistication » de la guerre menée par l’OTAN. Sans langue de bois, il dénonça la « sinistre farce » et le « minable simulacre » du recours à des alliés arabes comme le Qatar avant de conclure sur une interrogation : « Qui trompe qui dans cette histoire ? ».
Autre point de vue, à la fois dissonant et dissident : celui de la journaliste britannique Lizzie Phelan. Le 4 octobre, lors d’une conférence anti-guerre organisée à Oxford, la correspondante de guerre, de retour de Libye, a tenu un cinglant réquisitoire contre ses confrères des grands médias, coupables -à ses yeux- de s’être totalement alignés sur la propagande et l’occultation des gouvernants occidentaux.
A la fois rigoureuse et empreinte d’émotion, son intervention constitue probablement le meilleur antidote à la légende déjà tissée par un Bernard-Henri Lévy qui n’a pas tardé à parader sur les plateaux de télévision, hier soir, pour dorer son image et célébrer la « grandeur » des « révolutionnaires » . Ce matin encore, sur France Inter, le va-t-en-guerre à géométrie variable a même soupçonné (à 1’40) le journaliste Patrick Cohen d’entrer dans la « théorie du complot » en raison de son questionnement- pourtant élémentaire- sur l’élimination commode de Kadhafi.
Bernard-Henri Lévy par franceinter
Quelques jours avant la sortie opportune d’un ouvrage consacré à son rôle déterminant en Libye, BHL continue de promouvoir sa guerre de « libération ». Un philosophe au service de l’OTAN ? Pourquoi pas. Il est des romans narcissiques qui s’écrivent en lettres de sang.