Le changement s’accélère à Libération. Devant la chute irrémédiable des ventes du quotidien, celui-ci devrait bientôt céder sa place à une version purement numérique.
Pierre Fraidenraich, le nouveau patron depuis mars 2014, entend bien créer un « big bang » à l’issue duquel la version papier « disparaîtra purement et simplement de la presse française ». Reste à savoir si la portée numérique de Libé est assez forte. Au vu des 4 millions de visiteurs uniques sur liberation.fr, cela semble le cas. « Encore faut-il donner à de nouveaux lecteurs le désir de la rallier », explique M. Fraidenraich.
Un changement radical par rapport à l’ère Demorand, où le papier avait encore, pensait-on, un potentiel et où le chic était au programme. Mais le risque était trop grand.
Désormais, les 18 millions d’euros injectés par Patrick Drahi et Bruno Ledoux vont servir à la mutation de Libération. Très bientôt, les équipes web et papier vont être fondues en une seule et unique rédaction avec, pour les diriger, un tandem Joffrin-Hufnagel dont l’un connaît bien le journal, pour l’avoir dirigé par le passé, et l’autre le numérique (fondateur de Slate.fr).
« Libération n’a pas d’autre choix que d’inverser l’ordre des facteurs. Et si nous réussissons à maintenir la diffusion papier, tout en développant un modèle lucratif sur Internet, il n’y a aucune raison que ce quotidien ne réussisse pas à retrouver son équilibre économique. Ce que j’étais parvenu à obtenir en dix-huit mois, il y a cinq ans de cela », explique Laurent Joffrin.
Du côté de Johan Hufnagel, le discours est plus direct et assumé : « Libération est à l’aube d’une révolution presque copernicienne. Et si ce titre doit totalement se réinventer, c’est parce que je reste convaincu qu’il manque dans l’univers de la presse française, sur Internet, où tout le monde se copie et se duplique, un vrai journal d’explications et de commentaires. Or la force de frappe des équipes de Libé permet d’imaginer qu’un tel projet est possible. »
Un nouveau Libé devrait paraître dès 2015. Mais d’ici-là, les changements vont être majeurs, à commencer par la refonte totale de l’immeuble de la rédaction et, surtout, par la réduction de la masse salariale. D’ailleurs, Fraidenraich a tranché la question sans sourciller : « Trop de personnes ont une productivité trop faible dans cette maison. Cela, nous ne pouvons plus nous le permettre. »
Depuis juillet, il a ouvert une clause de cession permettant aux journalistes qui le souhaitaient de quitter le journal. « C’est toute la complexité du projet dans lequel Laurent Joffrin et moi nous sommes engagés : nous n’avons aucune visibilité à court terme, ne sachant pas combien de personnes quitteront ce journal d’ici à la fin de l’année », confesse-t-il.
Quant à Joffrin, même s’il fait le pari que « la raison devra l’emporter », il admet un « climat difficile ». Toujours plus direct, Fraidenraich conclut : « Que ceux qui n’adhèrent pas à notre projet n’aient pas de remords : nous les invitons vivement à quitter Libé. » On ne peut être plus clair.