Le parti anti-élites et des listes citoyennes ont généré un immense espoir après les élections municipales de fin mai, où ils ont remporté plusieurs villes importantes, dont Madrid et Barcelone. Le nouveau maire de la ville d’Andalousie, José Maria Gonzalez (photo ci-contre), fera forcément des déçus.
José Maria Gonzalez, bientôt 40 ans et allure décontractée, se décrit comme « un simple citoyen ». Élu le 24 mai maire, sous les couleurs de Podemos, de la ville de Cadix, en Andalousie, il a mis fin à vingt ans d’hégémonie de la conservatrice Teofila Martinez. Ce fils d’un soudeur et d’une femme de ménage n’est pas près d’oublier le 13 juin, lors de sa prise de possession. Ce jour-là, « Kichi » – son surnom depuis tout gosse – apparaît au balcon municipal comme un leader providentiel. La place San Juan de Dios est en liesse, pleine à craquer. « On n’avait pas vu autant de monde depuis 1934, en pleine Deuxième République. J’en ai pleuré », dit-il, encore ému. Sa rivale Teofila Martinez en a aussi sangloté, mais de dépit. Un monde a chassé l’autre.
Les élections municipales espagnoles de la fin mai ont en effet porté une petite révolution. Autour des Indignés anti-austérité de Podemos, des listes citoyennes ont percé, s’emparant de mairies aussi cruciales que Madrid, Barcelone ou Saragosse. Brocardant la corruption, militant en faveur de mesures sociales et se réclamant de l’« Indignation » née au printemps 2011, des gens n’ayant jamais appartenu au sérail politique ont ravi des bastions, conservateurs ou socialistes, et annoncé des mesures chocs. Ailleurs en Europe, l’extrême droite menace l’establishment ; ici, c’est la gauche radicale.
Cadix est devenue un des principaux laboratoires de ce spectaculaire changement. C’est ici que le parti Podemos, le Syriza espagnol, a réalisé son meilleur score et fait que les projecteurs médiatiques se tournent vers cette cité qui d’ordinaire n’intéresse que pour son carnaval et ses records de chômage.
L’arrivée de Kichi aux commandes n’est pas passée inaperçue. Les dix nouveaux élus – des fonctionnaires, des professeurs et un agent de nettoyage – se sont réservé un salaire très inférieur à celui de leurs prédécesseurs, plafonné à trois fois le revenu minimum fixé à 648 euros. Le maire, lui, a renoncé aux juteux émoluments qui lui étaient réservés pour ne toucher que l’équivalent de ce qu’il gagnait comme enseignant, soit 1880 euros, trois fois moins que ce qu’empochait Teofila Martinez. Cet engagement a été consigné devant notaire.
« Le peuple ne se sent plus représenté par ses élus, c’est un danger pour la démocratie. Alors, pour récupérer cette confiance, il faut prêcher par l’exemple et vivre comme lui », confie José Maria Gonzalez dans ce bureau qu’il dit être plus grand que son propre appartement. Pas de cumul des mandats, huit ans maximum sur le trône municipal, il l’a promis. Fini aussi les gardes du corps de sa prédécesseur, les voitures officielles pour aller au travail. Chaque matin, il se rend à la mairie à pied.
Ce discours de rupture a généré un fol espoir. Chaque matin, devant la municipalité, des familles viennent réclamer leur part de rêve, un emploi, un meilleur logement, des aides sociales. Impossible pour Kichi de sortir en ville sans se faire applaudir, prendre à partie, objet d’embrassades ou de selfies : il sort alors un carnet blanc où il note avec applications les noms, les requêtes, les doléances.
Pour ces nouveaux arrivants, les résistances sont nombreuses. Teofila Martinez, maire pendant vingt ans, ne comprend toujours pas comment elle a pu être écartée par ces « va-nu-pieds » ; la presse locale qui, se voyant supprimer de juteuses subventions municipales, tire chaque jour à boulets rouges sur « des démagogues idéalistes » ; plus largement, des milliers de Gaditans fidèles à Teofila Martinez et craignant que cet « aventurisme » ne mène nulle part.
Une certitude : l’intrusion de ces alter anti-élites a coupé la ville en deux camps. Car, en face, il y a aussi une armée de partisans convaincus, des classes moyennes et surtout populaires, dans cette ville de 120 000 habitants sinistrée par des chantiers navals en berne, rongée par un chômage à 42% et une pauvreté record – 20% sont au bord de l’exclusion sociale, avec 338 euros par mois.
Kichi et les siens sont, il est vrai, très ambitieux. Ils parlent d’un plan choc pour l’emploi et le logement qui « vont redynamiser Cadix » et la « rendre plus juste ». « C’est très joli tout cela, rétorque Juan Manuel Perez, avocat de 45 ans et membre d’une formation de centre droit. Le maire nous promet monts et merveilles, un parc éolien, la reprise des chantiers navals, un parc agrandi de logements sociaux. Mais il n’a ni l’argent ni les prérogatives pour le faire ! »
D’immenses frustrations en perspective à la mesure des espérances suscitées ? C’est ce que craint David Navarro, 43 ans, élu chargé par le nouveau maire des Finances et de l’audit de la dette. « J’ai hérité d’une dette de 250 millions d’euros, ce qui pour Cadix nous place au bord de la banqueroute. Pourquoi ? Parce que, sous le règne de Teofila Martinez, on dépensait à gogo pour contenter les réseaux clientélistes. »
La tâche de David Navarro est une gageure. D’ici à 2016, il va devoir serrer la vis budgétaire, honorer 80 millions d’euros à des fournisseurs au bord de l’asphyxie. « Et, en même temps, il faudra bien que l’on aide les populations démunies, que l’on agrandisse le parc des logements sociaux. Or, on va devoir faire plus avec moins d’argent ! J’ai bien peur qu’il y ait beaucoup de déçus ! »