La Une du JDD le 11 octobre dernier, appuyée sur le sondage selon lequel un tiers des électeurs serait prêt à voter Marine Le Pen, n’a pas fait que fâcher contre le directeur du JDD Jérôme Bellay son patron Lagardère. Elle a aussi des répercussions sur la place du groupe au sein de France télévisions et sur le climat social à l’intérieur du journal.
Le 16 octobre, la société des journalistes du JDD a voté – à 40 voix pour, 3 contre et 7 absentions – une motion de défiance envers sa direction pour cette Une accusée d’être trop empathique pour le chef de file du FN. Les journalistes pointent des « dysfonctionnements au sein du journal, des errements managériaux, de l’absence de vision et de stratégie » et accusent « un choix d’événements en urgence alors que certains pourraient être lancés en amont et mieux traités, comme pour les trois pages de dimanche sur le Front national, un recours abusif aux sondages, une absence de souffle et de vision ».
C’est donc une affaire qui tend la situation sociale du JDD, mais aussi de tout le groupe Lagardère Active, dont les salariés avaient eux aussi voté le 13 octobre une motion de défiance contre leurs dirigeants et la vente prévue du mensuel Parents, qui devrait être adossé à une maison d’édition. Le groupe Lagardère, qui s’estime « en panne » sur la presse magazine, envisage en effet de tout vendre, sauf le JDD, Paris-Match et Elle.
Par ailleurs, Jérôme Bellay, directeur du JDD, donne également du grain à moudre à Delphine Ernotte, la nouvelle patronne de France Télévisions, qui essaie de réduire le poids de Lagardère dans les émissions du groupe.
À peine arrivée (et déjà contestée) Delphine Ernotte a en effet découvert les liens très étroits entre France Télévisions et les 21 sociétés de production de chez Lagardère Entertainment [Rappel : l’actionnaire principal du groupe Lagardère est un fonds souverain du Qatar. (NDLR)]. À la fin de l’ère Pflimlin, les commandes du groupe audiovisuel public à ces sociétés avaient atteint la somme rondelette de 70 millions d’euros. Plus étrange encore : toutes les émissions ont été reconduites, même celles qui ne marchent pas comme Du côté de chez Dave (Carson Prod), qui atteignait jadis 9 voire 10% d’audience et se trouve aujourd’hui autour de 5% voire en-dessous.
C’est que les liens entre le producteur privé et le groupe public sont tissés par des personnes. Ainsi, l’un de ceux qui commandaient le plus d’émissions à Lagardère, l’ex-patron de France 3 Thierry Langlois, a été embauché par ce dernier après un bref passage par Canal+. Sa nouvelle activité ? Diriger la branche de production d’émissions qui représente 60% du CA du groupe et en vendre le maximum à France Télévisions, où il a encore gardé bien des amis. Ce qui ressemble beaucoup au capitalisme de connivence, un mal français bien connu.
Or, il se trouve que Jérôme Bellay est lui aussi producteur – via sa société Maximal Production, qui fait partie de Lagardère Entertainment – de l’émission C Politique sur France 5. Et justement le dimanche 11 octobre Marine Le Pen en était l’invitée pour commenter ledit sondage ! La Une polémique et le dossier aux petits soins pour le FN n’étaient ainsi qu’un coup marketing pour l’émission du soir sur le service public. Ce qui a provoqué logiquement la colère de Dephine Ernotte, qui s’est sentie « instrumentalisée », à en croire Le Canard Enchaîné. Pour revenir en grâce, Lagardère devra sans doute lâcher du lest. Ou sacrifier quelqu’un…