Essayiste, romancier, philosophie, réalisateur, dramaturge, Bernard-Henri Lévy, 65 ans, répond comme on dicte une lettre. Imprimant un rythme singulier et précis à sa pensée, il s’est prêté au jeu de nos questions. Lundi, il est l’accusateur, sur la scène du Grand Théâtre de Genève sur le thème : « La responsabilité de Richard Wagner dans l’idéologie de Hitler ». À la défense, on retrouve Me Marc Bonnant et le comédien Alain Carré qui incarne le compositeur.
Wagner, coupable ou non coupable ? « Ma thèse, lundi, et c’est ce que je pense, c’est que Richard Wagner, l’homme mais aussi le musicien, l’homme mais aussi l’artiste, a une vraie responsabilité dans la fabrication de l’idéologie nazie. »
Bernard-Henri Lévy, qui êtes-vous ?
Un sartrien conséquent. C’est-à-dire quelqu’un qui est tout entier dans ce qu’il fait. Je veux dire, dans ce qu’il fait en ce moment même. Peu de souvenirs. Pas de nostalgie. Pas de définition de moi-même.
Vous faisiez, dans un article paru en 2004 dans le Nouvel Obs, le parallèle entre « Lévy » et « les vies ». Celles, parallèles que vous menez, parce que vous êtes multiple.
Oui, parallèles et successives. Je crois que l’idéal en ce monde, est de naître plusieurs fois dans une même vie. Je crois cela profondément.
Votre tout premier souvenir ?
Je n’ai guère de souvenirs d’enfance. C’est comme une préhistoire et une préhistoire sans archives. C’est cela mon enfance.
Où êtes-vous né ?
Je suis né dans une petite ville d’Algérie, Béni-Saf, dont je n’ai pas eu d’image, ni de représentation, avant l’âge de 40 ans. Mais je savais que j’étais né rue Karl Marx n.1 dans ce village.
Êtiez-vous un enfant sage ?
Je ne crois pas. Méritant oui, sage non. J’en sais ce que m’en a dit le récit familial. J’étais, je pense, un enfant turbulent, pour ne pas dire plus.
Enfant, de quoi aviez-vous peur ?
Je ne sais pas. L’éloignement de ma mère, je suppose.
Dans l’enfance, quel fut votre plus grand choc ?
Ça, je le sais. Une maladie grave, une typhoïde. Ce genre de maladie, dont à l’époque, on ne se remettait pas. Mais, si on s’en sortait, alors on était invulnérable, on était assez invulnérable pour la vie.
Votre mère vous disait-elle « je t’aime » ?
Il ne me semble pas.
Que faisait votre père ?
Mon père était un brillant chef d’entreprise. Un self-made-man. Dans les métiers du bois.
Comment avez-vous gagné votre premier argent ?
Au Bangladesh, en 1972. J’étais vacataire au Ministère de l’économie de cet Etat en train de se créer. Je gagnais 25 dollars par mois.
Ce voyage, cette aventure-là, ont beaucoup compté dans votre vie ?
Oui, bien sûr. Une sorte de deuxième baptême.
Que vouliez-vous devenir ?
Pas de plan, pas de projet. Mais il me semble que le plus enviable des destins était pour moi, en ce temps-là, celui de l’aventurier : Lawrence d’Arabie, Byron, le jeune Malraux.
L’amour pour la première fois. C’était quand et avec qui ?
Sans blaguer, je l’ai oublié.
Elle ne va pas être contente…
Un mélange de visages, de situations. Je ne sais plus…
Pour vous, c’est quoi, le vrai bonheur ?
Une phrase bien cadencée. A l’écrit, comme à l’oral. Dans mon prochain livre, comme au Grand Théâtre de Genève avec mon ami Marc Bonnant.
Quelle est la plus belle de vos qualités ?
La force qui m’a fait écrire mes trente et quelques livres. L’énergie qui me fera, après-demain, à Genève, plaider avec passion la culpabilité de Richard Wagner.
Votre plus grand regret ?
N’avoir pas fait assez de musique. Ou plus exactement de m’être arrêté d’en faire, soudain, il y a trop longtemps.
Vous avez fait beaucoup de piano et avez été l’élève d’Alfred Cortot. Et, disiez-vous, la littérature a remplacé la musique.
Exact.
L’envie ne vous a jamais repris ?
Souvent, oui. Peut-être même en ce moment. D’où ma réponse.
Avez-vous déjà volé ?
Oui.
Vous souvenez-vous du moment, de ce que c’était ?
Adolescent, oui. Une petite chose. Mais je n’en parlerai pas. Pour ne pas donner de mauvais exemple à mes enfants.
Avez-vous déjà tué ?
Par la plume, peut-être. En tout cas, j’ai essayé.
Si vous aviez le permis de tuer quelqu’un, qui serait-ce ?
Je ne le ferais pas. Une fois, je me suis trouvé dans cette situation. C’était pendant la guerre de Bosnie. J’étais avec des combattants bosniaques dans une tranchée. Soudain, dans la tranchée d’en face est apparue une tête. Mon voisin m’a, sans faire de bruit, passé son fusil. J’ai vu dans la lunette le moindre détail du grain de la peau de cet homme, qui avait peut-être le matin même, ou la veille, snipé un enfant innocent et que j’avais donc à ma merci. Mais je n’ai pas tiré. Au grand dam de mes amis d’alors, qui n’ont, à ce jour, toujours pas compris.
Vous écrivez en parlant, à haute voix, n’est-ce pas ?
Oui. J’écris comme saint Jérôme disait qu’il fallait lire. C’est-à-dire en parlant oui, mais silencieusement.
Avez-vous payé pour l’amour ?
Pas depuis un demi-siècle.
Avez-vous déjà menti à la personne qui partage votre vie ?
Forcément.
Monica Lewinsky refait parler d’elle ces jours. Vous aviez dit alors que les présidents devaient avoir le droit de mentir sur leur vie privée. Vous le pensez toujours ?
Je pense qu’il manque, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, un droit : le droit au secret ; l’imprescriptible droit, pour chacun, à sa part d’ombre.
Avec qui aimeriez-vous passer une agréable soirée ?
La Sanseverina. Parce qu’elle est l’incarnation même, à mes yeux, de la séduction.
Qui trouvez-vous sexy ?
Mathilde de la Mole. L’autre grande héroïne de Stendhal. Le désir incarné.
Pour qui était votre dernier baiser ?
Ma femme, tout à l’heure (ndlr : Arielle Dombasle).
Pourquoi avez-vous pleuré la dernière fois ?
Il y a 18 mois, quand mon frère cadet a eu un terrible accident.
De quoi souffrez-vous ?
De n’avoir peut-être plus assez de temps pour écrire tous les livres que j’ai en projet.
Avez-vous déjà frôlé la mort ?
En reportage, oui.
Un souvenir ?
Il y en a trop.
Croyez-vous en Dieu ?
Comme Hemingway, la nuit, parfois.
Quel est votre péché mignon ?
Un péché n’est jamais mignon.
Mais encore.
Le risotto aux asperges de l’Hôtel Richemond, à Genève.
Trois objets culturels à emmener sur une île déserte ?
« L’Iliade » d’Homère, « La règle du jeu » de Renoir et « La sonate au clair de lune » de Beethoven.
Combien gagnez-vous par an ?
J’ai la chance de ne pas le savoir précisément. Cette liberté-là, qui est une chance, vous a souvent été reprochée.
Reprocher à un homme sa liberté : dans quel temps vivons-nous ?
Qui sont vos vrais amis ?
Je suis trop paranoïaque pour les nommer.
Que souhaitez-vous à vos pires ennemis ?
De ne plus me nuire. Comprenne qui pourra, comprenne qui voudra.
Vous qui dormez quelques heures seulement, ronflez-vous la nuit ?
(Rires.) Je ne crois pas.
Qui aimeriez-vous voir répondre à ce questionnaire ?
Marcel Proust.
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