Le cinéma contemporain ne propose à ses spectateurs que du spectacle selon l’expression chère à Guy Debord. De l’entertainment ou du tittytainment, concept inventé par le maléfique Brzezinski, pour endormir les masses. Il est tout à fait légitime de regarder un film ou de lire un livre pour se détendre. Mais il est théoriquement possible d’allier divertissement et réflexion.
Hollywood et ses suiveurs occidentaux ont évidemment préféré exclure la réflexion de ce diptyque. Ou alors, l’empire américain offre des films ouvertement propagandistes comme 300 ou, plus récemment, The Dictator. Cet aphorisme de Georg Lukacs, philosophe marxiste hongrois, résume tout : « L’art est un guide ou un serviteur. »
Toujours se souvenir que l’art peut avoir une dimension subversive mais aussi permettre à l’oligarchie de détourner son peuple des luttes réelles, à savoir de sa compréhension des antagonismes de classe et de l’origine du pouvoir. La « nouvelle vague » incarne typiquement un cinéma d’une classe pour une classe, conçu par des bourgeois pour des bourgeois, ce qui les rend incroyablement narcissiques et vaniteux. Ses cinéastes se sont éloignés de toute dimension universelle.
François Truffaut, réalisateur de la bouse niaiseuse Jules et Jim, parlait ainsi du grand Michel Audiard, auquel le fils ferait un peu mieux de se référer : « Les dialogues de Michel Audiard dépassent en vulgarité ce qu’on peut écrire de plus bas dans le genre. »
Audiard a vite répondu au petit crétin : « Submergés par leur propre clapotis, les nouveaux petits maîtres ont déjà de l’eau jusqu’au menton… » Audiard était l’incarnation type du cinéma populaire, drôle, intelligent et surtout réaliste.
Autre chose que le soi-disant cinéma populaire actuel et son grotesque et méprisant Bienvenue chez les Ch’tis où l’on ne voit que des types du nord bourrés, naïfs et un peu bébêtes. Leur région a pourtant massivement été touchée par la désindustrialisation et toutes les conséquences sociales que cela implique. Mais ça, le comique pas drôle Dany Boon a préféré éviter d’en parler.
Avant Audiard, on pouvait aussi trouver Marcel Carné connu pour l’anthologique Drôle de drame. Son film sorti en 1939, Le jour se lève, est un chef-d’œuvre du cinéma réaliste français. Avec des dialogues très cyniques de Jacques Prévert, il met en scène Jean Gabin qui joue un personnage ayant tué un autre et qui, assiégé la nuit par la police, va se remémorer toute la chronologie de son crime. L’assassin est un jeune ouvrier, François, qui tombe amoureux d’une jeune femme qui est hélas attirée par un dresseur de chiens itinérant. C’est un peu le combat de l’homme de bien enraciné contre le nomade parasite qui va jusqu’à faire croire au premier qu’il est le père de la jeune fille convoitée. À la fin, le dresseur de chiens rend visite à l’ouvrier avec une arme. Des deux protagonistes, vous avez deviné qui a eu le courage de tirer.
Ce film dramatique a aussi une dimension sociale. Dans une scène, François travaille à l’usine et s’éloigne à un moment pour parler avec la jeune femme, dont il tombera plus tard amoureux, qui a dans les mains un bouquet de fleurs. Au bout de cinq minutes, toutes les fleurs se fanent. Le personnage principal lui dit alors : « J’te l’avais dit, c’est tout ce qu’il y a de plus sain ici. »
Pour les amateurs de technique, Le jour se lève est le premier film parlant à utiliser le flash-back, procédé qui sera repris un an plus tard dans le fantastique Citizen Kane d’Orson Welles.