L’Ojim a visionné et analysé pour vous les deux premières semaines de la saison de cette émission quotidienne, qui est aussi l’émission phare de la chaîne cryptée. Un modèle de propagande dernière génération.
Il y a quelques mois, nous évoquions le cas Canal, les difficultés que rencontrait actuellement la chaîne, ses origines et ses évolutions, lesquelles avaient fini par aboutir à un mélange inquiétant de dérision et de fanatisme. Le visionnage attentif de son émission-vitrine en cette rentrée médiatique allait être l’occasion de détailler les procédés très particuliers que celle-ci emploie et qui lui permettent d’assener une espèce de matraquage idéologique indolore et pourtant permanent. Le temps de la propagande « à la papa » telle qu’usitée par Goebbels ou Staline est bien définitivement révolu. Plus de slogans manifestes, plus de foi affirmée avec éclat, plus de mythologie en toc orchestrée de manière pompeuse, plus de dénigrement littéral du déviant. Non, au Grand Journal, on est modernes, on fait dans le bourrage de crâne high-tech, on formate tout en finesse, on agresse à la Sun Tzu (le grand stratège chinois), c’est-à-dire systématiquement par un biais indirect. On est pourtant bel et bien en présence d’une véritable machine de guerre idéologique, très construite, très offensive, bien que peut-être de moins en moins efficace…
Rappelons que cette émission, qui prit la suite de Nulle part ailleurs, avait d’abord était élaborée afin de répondre au problème que posait la création, par la gauche au pouvoir, d’une chaîne cryptée inaccessible aux pauvres, en proposant au moins quelques programmes en clair. Cette nécessité avait alors été transformée en moyen de racoler des CSP+, cœur de cible de la chaîne, et attirer ainsi de nouveaux abonnés. Qu’en est-il donc du Grand Journal au début de la saison 2014-2015, alors que la chaîne a subi de nombreuses attaques et qu’elle a, l’année dernière, rappelé Antoine de Caunes, figure de l’antique Nulle part ailleurs, pour tenter de renouer avec son souffle originel en le mettant à la tête de son programme phare ?
Le règne des chroniqueurs
Ce qui frappe d’emblée lorsqu’on observe le montage général, la mise en scène et les gimmicks de l’émission, c’est à quel point les chroniqueurs qui y participent sont ici « starifiés ». Bien sûr, ce phénomène tient à une tendance générale qui s’est développée au cours des vingt dernières années, mais il atteint dans le Grand Journal un degré incomparable. Le générique est toujours précédé d’un sketch mettant en scène certains des chroniqueurs. Avant chacune des parties qui composent le programme, ce n’est pas l’invité ou le thème qui est introduit, mais les visages et les noms de ces héros qui se succèdent dans un montage éloquent et une image idéale. Enfin, régulièrement, ceux-ci sont intégrés comme figures dans les différents sketchs, dans les vidéos parodiques, dans les scènes des Guignols. Ce qui produit deux effets concomitants : premièrement, traités sur le même plan que les politiques, les sportifs ou les artistes célèbres, ils y gagnent un statut symbolique comparable. Deuxièmement, cela participe à fonder un facteur déterminant du discours implicite : l’esprit de connivence. On peut également remarquer que ces « stars » à la place des « stars » semblent toutes – hormis le disgracieux Jean-Michel Aphatie –, issus d’un casting photo drastique. Que l’on préfère passer à l’écran des gens au physique avenant est tout à fait compréhensible, mais encore une fois, par son côté systématique, le Grand Journal atteint sur ce point un niveau objectivement caricatural. Et ce, toujours pour la même raison : faire des chroniqueurs les vraies vedettes, les vecteurs essentiels du désir et de l’identification, à la place des invités. Quant à ces derniers, en raison de la brièveté des séquences, de leur enchaînement tambour battant, de la multiplicité des chroniqueurs qui les entourent et s’en nourrissent comme prétexte à leurs gags, ils en ressortent, à quelques exceptions près, à l’état de simple carburant d’une machine qui ne fabrique que sa propre gloire.