L’osmose entre le Conseil national de transition libyen (CNT) et le Conseil national syrien (CNS) est devenue telle que c’est carrément depuis Tripoli, capitale d’une Libye bombardée, déstabilisée et dans une large mesure re-colonisée par l’OTAN, que l’opposition exilée et radicale syrienne a agité la menace d’une intervention militaire de la communauté internationale contre son pays.
Vous avez parlé de « zones » ?
« Si le régime continue à être irresponsable (…) dans ce cas, notre principal objectif est d’appeler à protéger les civils » a expliqué Najib Ghadbian, un des pontes du CNS en visite en Libye « normalisée » (quoique pas tout à fait encore), le seul pays, soit dit en passant, à avoir reconnu le CNS comme seul représentant légitime du peuple syrien – même les Etats-Unis n’en sont pas (encore) là ! Et Ghabdian d’expliquer que cette protection pourrait prendre la forme d’une zone-tampon ou d’une zone d’exclusion aérienne, sur le modèle de celle décrétée par les Nations-Unies en Libye.
L’invité syrien du CNT a cru devoir se fendre d’un distingo : « Ce n’est pas la même chose que d’appeler à une intervention militaire menée par des forces étrangères« . Najib Ghabdian joue – assez puérilement pour le coup – sur les mots. Les « zones tampon » ou d’ »exclusion aérienne« , les Nations-Unies, c’est-à-dire, sur le terrain, les Etats-Unis, en ont décrétées en Irak, pour soit-disant protéger les Kurdes de la répression de Saddam Hussein. On connait la suite sanglante.
Une zone tampon, les Occidentaux ont essayé un moment, par Turcs et rebelles interposés, d’en créer une dans le nord du pays, du côté de Jisr al-choughour, premier terrain d’action d’envergure des activistes armés. Ce « territoire libéré » aurait servi de base, non seulement logistique mais diplomatique, à l’opposition radicale armée, qui aurait pu se prévaloir ainsi d’une représentativité après laquelle elle court encore aujourd’hui.
Qui (d’honnête) ne voit que la décision d’établir de telles « zones » ne serait qu’une première étape sur l’agenda des faucons néo-conservateurs de la Maison Blanche qui n’ont toujours pas renoncé, malgré les fiascos d’Irak et d’Afghanistan, à remodeler le monde arabe selon leurs intérêts et ceux de l’indéfectible allié israélien ?
Chahuté ces derniers temps en Egypte, le « Nouveau Proche (ou Moyen)-Orient », cher hier à Bush Jr et apparemment repris aujourd’hui par le malheureux Obama, essaie de refaire surface en Libye. Si les Américains et leurs obligés européens pouvaient renverser Bachar à Damas, cela les consolerait de leurs incertitudes égyptiennes. Et dans ce projet à peine maquillé par des déclarations humanitaires, force est de constater que le CNS commence à jouer un rôle peu reluisant.
Mais redonnons la parole à Najib Ghabdian pour un nouvel exercice de tartufferie politique : « Il y a une pression grandissante depuis l’intérieur de la Syrie, venant principalement du régime, qui pousse le mouvement de protestation à prendre les armes » explique-t-il. Tiens donc ! Depuis le début des troubles, la frange radicale de l’opposition, depuis Antalya en Turquie avec les « politiques » dominés par les Frères musulmans, ou en Syrie-même avec les aspirant-djihadistes, est dans une logique maximaliste de confrontation : pas de négociation, le régime doit disparaître et Bachar abandonner le pouvoir en attendant d’être jugé et exécuté comme un Saddam Hussein.
Et, sur le terrain, les activistes armés – bien avant le phénomène des « déserteurs remilitarisés » – ont attaqué et décimé les forces de police et les unités militaires – l’attaque sanglante de Jisr al-Choughour, il faut le rappeler, remonte au 6 juin. Dans ces conditions de début de guerre civile, le régime a agi en état de légitime défense. De sa personne morale comme des populations civiles prises en otage par les dissidents armés.
Qu’on se rassure, M. Ghabdian a beau agiter le spectre des avions de l’OTAN et de l’insurrection intérieure armée, il demeure un responsable… responsable : « Nous pensons, et c’est une question de principe, que conserver le caractère pacifique de la révolution est la meilleure façon de faire tomber ce régime. » A en juger par la chronique quotidienne de la violence – dont l’Etat n’a vraiment plus le monopole – en Syrie, les propos de Najib Ghabdian sont quelque peu dépassés. A moins qu’il s’agisse là encore d’hypocrisie communicante (pas impossible…)