Le Système devient grandiose. Je vais finir par l’aimer tellement il est laid, bête et méchant. Un peu comme on s’attache à un clébard moche et vaguement barjot, parce qu’on se dit : avec lui, pas moyen de s’ennuyer – il est tellement imparfait que son imperfection confine à la perfection, il est si imprévisible que la surprise qu’il cause est parfaitement prévisible, etc.
Bergson a écrit là-dessus, dans son traité sur le rire. Je ne me souviens plus vraiment de ce qu’il disait, mais quant à moi, je trouve que rien n’est plus drôle qu’une continuité sous la discontinuité, une sorte de reproduction tantôt de l’identique, tantôt de l’inversé, mais toujours avec un schéma sous-jacent, presque invisible mais pas tout à fait, comme un clin d’œil du réel à l’observateur, comme une petite voix qui dénoncerait l’empirisme et proclamerait définitivement la supériorité du réalisme.
Eh bien voilà, le Système va finir par se faire aimer de moi, justement parce qu’il ose, maintenant, nous adresser ce clin d’œil cynique qui dit : mais si, mais si, il y a un enchaînement de causalité derrière l’imprévisible.
Le Système devient grandiose, disais-je, quand on lit par exemple ceci dans le dernier baromètre politique BVA/Orange/L’Express/France Inter :
« La situation politique post-affaire DSK ne profite ni à Nicolas Sarkozy, ni à Marine le Pen, Martine Aubry et François Hollande prenant pour le moment sans difficulté la place de DSK dans le cœur des électeurs. »
Fantastiques électeurs français, qui jugeaient DSK irremplaçable avant que l’impétrant ne sorte de la course à la présidence pour les raisons qu’on sait (ou plutôt : qu’on ne sait pas), et qui maintenant, du même pas égal, s’aperçoivent que finalement, Martine Aubry, François Hollande, c’est aussi bien.
Merveilleux corps électoral qui pousse la servilité jusqu’à mettre à égalité deux poulains que l’oligarchie n’a pas encore départagés. Pour employer une image typiquement strauss-kahnienne, voici la complaisance adorable de la putain respectueuse, qui ouvre la bouche en écartant les cuisses, faute de savoir quelle fantaisie traverse le cerveau de son client.
Prodigieux corps électoral encore, qui a instinctivement deviné qu’une fois DSK hors jeu, Marine Le Pen retrouvait le statut ordinaire du candidat nationaliste, soit à peu près le rôle du méchant dans un combat de catch truqué.
Où l’on lit en effet que :
« Si le premier tour de l’élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, le candidat socialiste arriverait en tête devant Nicolas Sarkozy. Marine le Pen ne serait plus, comme il y a deux mois, capable de réaliser un "21 avril à l’envers" en éliminant le Président sortant. En la devançant de 5 points dans l’hypothèse "Aubry" et de 4 points dans l’hypothèse "Hollande" le Président retrouve une marge de sécurité, preuve sans doute que l’évolution de son positionnement politique - de l’immigration et l’insécurité à la défense de son bilan économique - était la bonne stratégie à suivre. »
Fabuleux pays, décidemment, que la douce France. Ainsi, aux yeux de nos compatriotes, le possible viol d’une femme de ménage africaine dans un hôtel américain aiderait à la relativisation des échecs récurrents et coûteux de notre président, un chef d’Etat si ridicule qu’un quelconque lieutenant-colonel sud-américain pourrait le putscher sans qu’on s’en offusque. Nous sommes ici dans le monde de Hume : nous constatons la succession des faits, et n’établissons pas de lien de causalité…
Mais nous pouvons aisément deviner, derrière l’illogique enchaînement des faits, l’action souterraine d’une volonté propagandiste certes plus ou moins unifiée, mais en tout cas très perceptible – où l’on passe, sans transition, de Hume à notre ami Alain Soral, lequel nous répétait depuis six mois que l’étrange cooptation/répulsion de Marine Le Pen par le système médiatique s’expliquait principalement par la volonté de promouvoir DSK.
Bien vu.
La confiscation de la vie politique française par le Système est désormais, selon le point de vue adopté, ou bien grandiose au point qu’on n’ose la chroniquer, ou bien si grotesque qu’on s’abaisserait à en faire la critique.
A telle enseigne, d’ailleurs, que je ne suis même plus très sûr de vouloir en parler. A quoi bon ? Franchement, si quelqu’un n’a pas encore compris de quoi il retourne, c’est que ce quelqu’un ne veut pas comprendre.
C’est décidé : j’arrête de parler politique.
Je vais répondre à Alain Soral sur le marcionisme, tiens, puisqu’il en a parlé dans une vidéo récente, après que je l’ai attaqué sur ce point. Bien sûr, c’est le genre de controverse philosophico-religieuse dont tout le monde se fout. Mais c’est quand même beaucoup moins prévisible qu’une précampagne présidentielle en France…