En reconnaissant « l’État de Palestine », la Suède pourrait bien nuire aux Palestiniens.
L’Autorité palestinienne à Ramallah était en extase le week-end dernier après que le Premier ministre centre-gauche de la Suède ait annoncé dans son discours inaugural au Parlement ce qui semblait être une rupture avec l’orthodoxie occidentale : son pays allait reconnaître « l’État de Palestine ».
« Nous saluons l’annonce faite par le Premier ministre suédois » chanta Saeb Erekat, le supposé « négociateur en chef » de l’Autorité palestinienne.
Bien que des dizaines de pays reconnaissent déjà « l’État de Palestine », dont plusieurs en Europe, les fervents partisans d’Israël - les États-Unis, le Canada, l’Australie et la plupart des pays de l’Union européenne - ne l’ont pas fait.
Pour l’Autorité palestinienne, sans succès à afficher - et plutôt de nombreux échecs - depuis plus de deux décennies de « processus de paix », la reconnaissance diplomatique est un prix convoité qui donne une fausse impression de progrès.
Mais les objections américaines et la fureur israélienne ont rapidement incité les Suédois à tenter de refroidir les attentes.
Le vendredi, le porte-parole du département d’État des États-Unis, Jennifer Psaki, a critiqué le mouvement suédois comme « prématuré ».
L’ambassadeur de Suède à Tel Aviv a été convoqué au ministère des Affaires étrangères israélien pour une réprimande lundi - mais le gouvernement suédois n’a pas voulu révéler le contenu de la discussion avec les responsables israéliens.
Puis le Premier ministre suédois a été soumis aux insultes habituelles du ministre israélien des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, qui a suggéré que Löfven ne comprenait pas la région.
« En ce qui concerne le premier ministre de la Suède dans son discours inaugural est la situation au Moyen-Orient, il ferait mieux de se concentrer sur les problèmes les plus urgents de la région, tels que l’assassinat en masse qui se déroule quotidiennement en Syrie, en Irak et ailleurs dans le région », a éructé Lieberman.
Publiquement, les Suédois ont fait de leur mieux pour apaiser la colère d’Israël.
Le Premier ministre Löfven a discuté avec chef de l’opposition israélienne, Isaac Herzog, président du Parti travailliste israélien, un « parti frère » pour les sociaux-démocrates suédois.
Herzog a déclaré à Haaretz que Löfven avait souligné que la Suède « n’allait pas reconnaître un État palestinien demain matin » et « qu’il veut d’abord parler avec toutes les parties concernées, y compris Israël, les Palestiniens, les États-Unis et d’autres pays de l’UE. »
Voilà ce qu’il est du scoop !...
Déclaration vague
Dimanche également, le ministère suédois des Affaires étrangères a tweeté les mots exacts employés par Löfven, apparemment pour souligner le soutien de la Suède au « processus de paix » stérile et à la « solution à deux États. »
Et cette déclaration a été publiée sur le site Internet de l’ambassade de Suède à Tel-Aviv :
Le texte qui suit est une citation extraite de la déclaration au Parlement le 3 octobre du Premier ministre Stefan Löfven, sur la politique du gouvernement.
« Le conflit entre Israël et la Palestine ne peut être résolu que par une solution à deux États, négociée conformément aux principes du droit international. Elle doit garantir les exigences légitimes des Palestiniens et des Israéliens à l’autodétermination et à la sécurité nationale. Une solution à deux États exige la reconnaissance mutuelle et une volonté de coexister pacifiquement. Par conséquent, la Suède reconnaîtra l’État de Palestine. »
L’engagement de Löfven est sans date précise, en laissant, au mieux, de la confusion sur les intentions réelles de son gouvernement.
Le nouveau ministre des Affaires étrangères de la Suède, Margot Wallström, a ajouté à la confusion, générale avec un tweet énigmatique : « Reconnaître la Palestine : Une étape importante vers une solution à deux États. Les deux parties doivent être respectés. »
Par « deux côtés », elle entend probablement l’occupant et colonisateur d’une part, et ses victimes, de l’autre...
Motifs mal inspirés de la Suède
Wallström a développé un peu sur les intentions de la Suède, dans des commentaires au journal Dagens Nyheter le dimanche.
La ministre a dit que la réaction israélienne était fort surprenante : « Ce que je peux comprendre et respecter, même si je ne le partage pas. »
Elle a dit qu’elle ne pensait pas que l’initiative prévue « aurait un impact grave sur les relations entre la Suède et Israël » soulignant : « Nous avons de bonnes relations. »
Elle a rejeté les critiques que l’initiative arrivait trop tôt : « Je dirais que le risque est plutôt qu’il ne soit trop tard. »
Mais pourquoi alors maintenir cet projet ? « Il est important que nous prenions une initiative qui, nous l’espérons inspirera d’autres pays », a déclaré Mme Wallström.
Wallström a raison : il est trop tard. Il est trop tard pour ressusciter le déjà mort « processus de paix » et il est inutile de continuer de parler d’une « solution à deux États ». Elle a raison de dire que les choses ne peuvent pas continuer comme elles sont et que quelque chose doit être fait.
Mais passer d’une complicité tranquille avec Israël à une reconnaissance symbolique d’un État palestinien - tout en maintenant de « bonnes relations » - ne fera absolument rien pour changer la réalité palestinienne, même si d’autres pays suivent l’exemple de la Suède (si jamais ce dernier confirme ses intentions).
Un « État » qui nuit aux Palestiniens
Comme je l’ai expliqué dans mon livre La bataille pour la justice en Palestine et dans un article sur le site Al-Shabaka, la reconnaissance d’un « État » palestinien sur une fraction de la Palestine nie effectivement les droits de la plupart des Palestiniens et s’oppose au droit des Palestiniens à l’auto-détermination.
Tout en reconnaissant que la notion d ’« État de Palestine » excite et plaît à beaucoup de ceux qui soutiennent la cause palestinienne, les gens ne devraient pas se laisser gruger par l’esthétique de ce concept « d’État », pour ce qui équivaudrait à un bantoustan.
Au lieu de cela, je l’ai dit, ces personnes devraient se concentrer sur les conséquences négatives pour le droit au retour et les droits des citoyens palestiniens d’Israël.
Donc, de mon point de vue, je ne vois pas la reconnaissance d’un « État » palestinien dans le cadre de la soi-disant « solution à deux États » comme quelque chose dont il faut se féliciter. En effet, cela pourrait bien être nocif pour les Palestiniens sur le long terme.
Quelques recommandations à la Suède :
Mais je félicite la Suède pour sa volonté de faire preuve d’initiative et de vouloir rompre avec un consensus étouffant. Alors, voici quelques idées pour le nouveau gouvernement de la Suède sur ce qu’il pourrait réellement faire :
Mener une campagne pour la fin immédiate et sans condition du siège illégal de Gaza par Israël, véritable « punition collective ».
Stopper les achats d’armes de la Suède en provenance d’Israël et appeler tous les pays à imposer un embargo sur les armes.
Cesser la collaboration militaire de la Suède avec Israël.
Arrêtez le soutien financier suédois et de l’UE à l’occupation israélienne.
Arrêtez le soutien du secteur de la recherche de l’UE à l’occupation israélienne.
Soutenir les efforts pour traduire les criminels de guerre israéliens devant la justice en arrêtant des suspects de crimes de guerre qui mettent le pied en Suède et encourager les autres pays à faire de même.
Interdire l’importation en Suède de toutes les marchandises des colonies israéliennes, et encourager les pays de l’UE à faire de même.
Exhorter les pays de l’UE à suspendre l’accord d’association UE-Israël.
La Suède avait ouvert la voie entre les pays européens en s’opposant à l’apartheid en Afrique du Sud. Cela comprenait le rejet des bantoustans mis en place par le régime dans le but de préserver l’apartheid, en les déguisant sous le terme « d’indépendance » pour les Noirs.
Il est également plus que temps pour la Suède et d’autres pays d’arrêter de dissimuler leur complicité avec l’apartheid israélien derrière la soi-disant « solution à deux États » et de soutenir ouvertement les pleins droits et l’égalité de tous les Palestiniens de la Palestine historique.