La guerre contre la Russie est actuellement la problématique la plus discutée en Occident. Il ne s’agit encore que d’une suggestion et d’une possibilité. Cela peut devenir une réalité en fonction des décisions prises par les différentes parties impliquées dans le conflit ukrainien (Moscou, Washington, Kiev, Bruxelles).
Je n’entends pas discuter ici tous les aspects de ce conflit ainsi que son histoire. J’aimerais proposer à la place une analyse de ses racines idéologiques profondes. Ma vision des principaux événements s’appuie sur la Quatrième Théorie politique dont j’ai exposé les principes dans mon ouvrage du même nom (publié en français aux éditions Ars Magna). Je ne vais ainsi pas étudier la guerre de l’Occident contre la Russie en évaluant ses risques, dangers, problèmes, coûts et conséquences mais plutôt sa signification idéologique à l’échelle du monde. Je vais ainsi réfléchir sur le sens d’une telle guerre et non sur la guerre elle-même (réelle ou virtuelle).
L’essence du libéralisme
L’Occident moderne ne connaît qu’une seule et unique idéologie dominante : le libéralisme. Il en existe bien des formes aux nombreuses nuances mais l’essence demeure toujours identique. La structure interne fondamentale du libéralisme est composée des principes axiomatiques suivants :
individualisme anthropologique (l’individu est la mesure de toute chose) ;
progressisme (le monde se dirige vers un futur meilleur, le passé est toujours pire que présent) ;
technocratie (le développement technologique et sa performance effective sont perçus comme les meilleurs outils pour juger de la nature d’une société) ;
eurocentrisme (les sociétés euro-américaines sont considérées comme l’unité de mesure fondamentale pour le reste de l’humanité) ;
l’économie comme destin (l’économie basée sur le libre marché est l’unique modèle économique valable, toutes les autres alternatives sont à réformer ou à détruire) ;
la démocratie comme règne des minorités (qui se défendent contre la majorité qui serait toujours prompte à dégénérer en totalitarisme ou en « populisme ») ;
la classe moyenne est le seul acteur social existant et devient la norme universelle (indépendamment du fait que la personne ait déjà atteint ce statut ou soit sur le point de l’atteindre) ;
un monde unique, mondialisme (les êtres humains sont essentiellement identiques, il ne peut exister que des différences individuelles, le monde devrait être unifié sur une base individualiste : cosmopolitisme, citoyenneté mondiale).
Telles sont les valeurs centrales du libéralisme, qui n’est qu’une des trois tendances nées de la philosophie des Lumières, aux côtés du communisme et du fascisme, qui ont proposé des interprétations alternatives de l’esprit authentique de la Modernité. Au cours du XXème siècle, le libéralisme a vaincu ses deux rivaux et acquis, après 1991, le rôle d’unique idéologie dominante à l’échelle mondiale. Au Royaume du libéralisme, la seule liberté de choix était entre le libéralisme de gauche ou d’extrême gauche ou bien entre le libéralisme de droite ou d’extrême droite. Le libéralisme agissait ainsi comme le système opérationnel des sociétés occidentales et de toutes les sociétés placées sous l’influence de l’Occident. Le libéralisme est ainsi devenu à partir d’un certain moment le dénominateur commun à tout discours politiquement correct, le critère permettant de distinguer les discours acceptés par l’idéologie dominante de ceux rejetés dans la marginalité. La sagesse populaire est elle-même devenue libérale.
Sur un plan géopolitique, le libéralisme s’est inscrit dans un modèle américano-centré où les anglo-saxons constituaient le cœur et où l’OTAN, le partenariat atlantiste entre l’Europe et l’Amérique, représentait le noyau stratégique du système de sécurité mondiale. La sécurité du monde était assimilée à la sécurité de l’Occident et, en dernière instance, à la sécurité de l’Amérique. Le libéralisme n’est ainsi pas qu’un pouvoir idéologique mais également un pouvoir politique, militaire et stratégique. L’OTAN est profondément libéral. Il défend les sociétés libérales. Il combat pour le libéralisme.
Le libéralisme comme nihilisme
Un élément de l’idéologie libérale est responsable de sa crise actuelle. Le libéralisme est profondément nihiliste dans ses fondements mêmes. L’ensemble des valeurs défendues par le libéralisme est lié à l’idée centrale de liberté, de libération. Cependant, la liberté dans la vision libérale est essentiellement une catégorie négative : on exige d’être libre par rapport à (John Suart Mill), et non pas d’être libre pour. Cela n’est pas un point secondaire, il s’agit de l’essence même du libéralisme.
Le libéralisme est une lutte contre toute forme d’identité collective, contre tout type de valeurs, projets, stratégies, buts et fins qui s’établiraient sur une base collectiviste, ou à tout le moins non-individualiste. C’est la raison pour laquelle l’un des plus importants théoriciens du libéralisme, Karl Popper (suivant Friedrich van Hayek), affirme dans son important livre La Société ouverte et ses ennemis (considéré par George Soros comme sa bible personnelle) que les libéraux doivent combattre toute idéologie ou philosophie politique (de Platon et Aristote à Hegel et Marx) qui proposerait aux sociétés humaines un but commun, une valeur commune, un sens commun.