Voici un article du chef de bataillon Hugues Esquerre, stagiaire au Collège interarmées de défense (CID) consacré à "l’Afghanistan, la drogue et la guerre", que nous publions volontiers.
Cette année comme les années précédentes, l’héroïne et le cannabis afghans tueront à nouveau plus de jeunes Français que les combats en Afghanistan (1). Dans les deux cas, l’adversaire est pourtant le même : les mouvements insurgés afghans. Tandis que la production de pavot afghan assure aujourd’hui 93% de la consommation mondiale d’héroïne et représente l’équivalent de 70% du PIB local, cette manne alimente très largement le conflit dans lequel les pays de la coalition internationale placée sous l’égide de l’OTAN sont impliqués depuis maintenant neuf ans.
Par un effet pervers inévitable, l’intervention internationale a en effet rapproché deux mondes qui jusqu’ici se combattaient : celui des Talibans et celui des trafiquants, les premiers punissant de mort l’activité des seconds lorsqu’ils étaient au pouvoir.
A présent, une part importante de l’argent provenant du trafic de drogue alimente l’insurrection. C’est ainsi que certains insurgés se sont impliqués dans le trafic afin de financer leur combat (achat d’armes, recrutement de partisans, corruption de fonctionnaires) ou qu’ils ont initié une collaboration avec les trafiquants afin de protéger des zones ou diverses installations nécessaires à leur activité illégale.
De la même façon, des trafiquants, uniquement criminels à l’origine, sont pour leur part passés à l’insurrection pour lutter contre les forces internationales sans le départ desquelles leur activité est rendue plus compliquée.
De façon plus structurelle, les sommes que représente le trafic de drogue sont telles à l’échelle des finances et des salaires moyens afghans qu’elles créent une corruption endémique. Cette situation compromet l’établissement de conditions de gouvernance suffisantes pour envisager un transfert total de responsabilités aux autorités afghanes en vue d’un retrait ultérieur des troupes internationales.
Conscients de ces enjeux, certains pays de la coalition se sont engagés isolément dans des politiques de lutte contre la culture de l’opium. L’échec a été total. Les Etats-Unis ont ainsi pratiqué l’éradication systématique des cultures, ruinant les paysans concernés et leurs familles. Les réseaux de trafiquants n’ont pas été fragilisés mais les populations se sont en revanche éloignées des troupes alliées, assimilées à des affameurs.
Les Britanniques ont de leur côté procédé au rachat de l’opium à un prix supérieur au cours habituel, ce qui n’a fait qu’accroître la production locale. Au-delà de ces déboires, c’est surtout l’absence d’une ligne politique commune au niveau international qui est préoccupante car elle empêche le développement de la seule solution paraissant efficace dans le long terme et qui a notamment fait ses preuves en Colombie : la mise en place d’une agriculture de substitution subventionnée.
En effet, pour éliminer la culture d’opium, il faudrait parvenir à réimplanter différentes cultures vivrières sans réduire les revenus des paysans et en garantissant leur sécurité. Ce dernier point n’est pourtant pas le plus délicat tant la tâche politique est grande. S’appuyant sur des conditions qui ont jadis permis à l’agriculture afghane de prospérer au point d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, un subventionnement dans le cadre d’un plan international apparaît nécessaire. Ce plan devrait couvrir un temps raisonnablement long pour faire disparaître « l’habitude » du pavot et absorber en douceur la réduction des aides financières qui initialement garantiraient des revenus identiques aux producteurs. Un fonds international afférent au plan et un organe de gouvernance seraient donc nécessaires pour assurer la conduite à terme du projet en accompagnement du gouvernement afghan.
Pour parvenir à bâtir ce projet et ainsi envisager une sortie de crise, la communauté internationale doit faire preuve d’un engagement politique plus solide et cohérent sur cette question, tout en acceptant que ce terme soit lointain. Il faut donc vaincre les réticences et les préoccupations purement nationales pour y parvenir. Dans l’attente, les militaires ne peuvent que gagner du temps car il n’y aura de stabilisation du pays qu’avec de véritables résultats dans la lutte antidrogue à tous les niveaux. (1) La seule héroïne tue environ 300 personnes par an en France (source : www.drogues.gouv.fr).