Une remarque privée du prince Charles comparant Poutine à Hitler a pris des allures d’incident diplomatique jeudi, quand Moscou a exigé "des explications officielles" au gouvernement britannique un rien gêné, en plein épisode de refroidissement anglo-russe pour cause de crise ukrainienne.
Vingt-quatre heures après la révélation dans les médias du crime de lèse-Kremlin proféré au Canada, le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Alexandre Loukachevitch, a relevé : "Si ces propos ont réellement été tenus, il ne font naturellement pas honneur au futur monarque britannique."
"Nous considérons comme inacceptable, abject et mesquin le fait que les médias occidentaux puissent enrôler des membres de la famille royale dans leur campagne de propagande contre la Russie", a-t-il renchéri, laissant entendre que Charles avait pu être instrumentalisé.
Les points de vues de Londres et Moscou "diffèrent grandement" sur la crise ukrainienne, mais il existe "des voies appropriées" pour en discuter, a-t-il ajouté.
Alexander Kramarenko, l’adjoint à l’ambassadeur de Russie à Londres, est arrivé en milieu d’après-midi au Foreign Office pour recueillir "les explications" britanniques.
"La remarque scandaleuse du Prince Charles au Canada figurera au nombre des questions soulevées", a précisé un communiqué de l’ambassade augurant une mise au point houleuse.
De nombreux médias ont rapporté l’aparté controversée entre le prince et une réfugiée ayant fui l’invasion nazie en Pologne, lors d’une visite au musée canadien de l’immigration, à Halifax.
Selon eux, Marienne Ferguson, 78 ans, venait de confier les circonstances de sa fuite de Pologne, quand Charles a commenté : "Et maintenant Poutine est en train de faire à peu près la même chose qu’Hitler", en référence apparente au rattachement de la Crimée à la Russie en mars.
Le prince "a droit à des vues privées"
Les services princiers de Clarence House faisaient valoir jeudi que toute discussion impliquant des diplomates "relevaient exclusivement du Foreign Office".
En début d’après-midi, le ministère des Affaires étrangères était muet sur l’incident.
Mercredi, le Premier ministre conservateur David Cameron et le chef de l’opposition Ed Miliband s’étaient accordés pour estimer que le prince "avait droit à des vues privées".
Le vice-Premier ministre libéral-démocrate Nick Clegg leur avait fait écho refusant d’assimiler les membres de la famille royale "aux moines trappistes qui font vœu de silence".
Reste que les propos non-démentis du prince Charles ont relancé le débat sur le sacro-saint devoir de réserve de la famille royale "qui règne mais ne gouverne pas".
Un membre libéral-démocrate de la chambre basse, Lord Taverne, a ainsi dénoncé "l’ingérence dans les relations anglo-russes". Tandis qu’un député travailliste Mike Gapes a suggéré au prince d’abdiquer "pour se présenter aux élections" s’il est tenté par la politique et/ou la diplomatie.
La reine Elizabeth a soigneusement évité toute remarque polémique, en 61 ans de règne. Tout au plus l’entend-t-on lâcher un "vraiment ?" indéchiffrable, quand un fâcheux expose une opinion tranchée en sa présence.
Charles, au contraire, a multiplié les incursions dans le domaine politique. Pékin n’apprécierait guère son soutien appuyé au Dalaï Lama, et le gouvernement britannique bataille en justice pour éviter la divulgation d’une brassée de lettres à des ministres potentiellement embarrassantes.
L’héritier au trône mène depuis des décennies un combat pour l’environnement, les énergies renouvelables, les médecines douces, et fustige l’architecture moderne avec la même énergie qu’il emploie à venir en aide aux jeunes en difficultés.
Les historiens sont unanimes à considérer qu’il devra abandonner son franc-parler le jour ou il exercera le métier de roi auquel il se prépare depuis 65 ans. Les Britanniques ne lui en tiennent apparemment pas rigueur.
Le prince impopulaire après son divorce d’avec Diana et son remariage avec Camilla, a refait son handicap dans les sondages, alors qu’il représente de plus en plus souvent sa mère âgée de 87 ans.
Sa cote de popularité flirte aujourd’hui avec avec les 70%. Injoignable jeudi, il devait réapparaître en public samedi, pour un concert de musique sacrée.