A la veille d’une offensive majeure du régime syrien dans la ville d’Alep, la Turquie a menacé d’envahir la Syrie, utilisant comme prétexte le fait que des groupes kurdes ont pris le contrôle de territoires sur sa frontière nord.
Un tel acte pourrait entraîner Ankara directement dans une guerre avec la Syrie alors que la Turquie avait longtemps cherché à diriger les choses en contrôlant le Congrès national syrien et l’Armée syrienne libre, opposés au régime syrien.
Cela aurait lieu avec le soutien total des Etats-Unis.
Le journal Egyptien Al Ahram a cité des informations parues dans les médias turcs selon lesquelles l’ambassade des Etats-Unis à Ankara et le consulat américain à Adana, dans le sud-ouest de la Turquie, ont « préparé des opérations militaires contre le régime Baath syrien, le gouvernement turc en étant informé ».
Un grand nombre de camions militaires, chargés d’armes destinées à l’opposition syrienne, ont été vus quittant la base aérienne d’Incirlik.
Le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a averti de ce qu’un massacre allait avoir lieu à Alep, qui est proche de la frontière turque, et lança un appel à l’action. Les événements s’accompagnent d’une escalade rhétorique ayant pour thème une « menace terroriste » posée par les Kurdes.
Dans la quinzaine passée, jusqu’à cent quinze combattant kurdes on été tués dans le sud-est de la Turquie au cours d’opération militaires avec des attaques aériennes près de la ville de Semdinli. Dimanche, il y eut une contre-offensive de la part de forces kurdes qui ont attaqué trois postes militaires près de la frontière iraquienne et au cours de laquelle au moins six soldats turcs et quatorze rebelles ont été tués. Des responsables turcs ont affirmé avoir eu affaire à deux cent combattants du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).
Les Kurdes représentent 17 pour cent de la population iraquienne (31 millions d’habitants) ce qui comprend la région semi autonome du Kurdistan iraquien, 9 pour cent de la population syrienne (21 millions d’habitants) et de 7 à 10 pour cent de la population iranienne (75 millions).
20 millions de Kurdes (25 pour cent de la population) vivent en Turquie, mais celle-ci s’oppose avec véhémence à la création d’un Etat indépendant. L’armée turque s’en est pris en particulier aux forces du PKK, avec lequel elle est en conflit depuis 1984, un conflit qui a coûté 40 000 vies surtout parmi les Kurdes. L’AKP (Parti de la justice et du développement) le parti au gouvernement, a cependant fait clairement comprendre que son objectif était en fin de compte une intervention directe en Syrie.
Sans nommer personne, le premier ministre Racip Tayyip Erdogan a accusé des pays étrangers de soutenir les combattants kurdes, qui avaient lancé des attaques « ignobles » contre au moins trois bases militaires. « La Turquie a la force de remettre à leur place les nations et les cercles ennemis qui tirent les ficelles de l’organisation terroriste » dit-il menaçant.
Le vice-président de l’AKP, Omer Celik, déclara de façon plus directe « les préparatifs d’une attaque sur plusieurs fronts par le PKK excèdent ses capacités. En menant les attaques de Semdinli et Hakkari, le PKK a agi parallèlement aux massacres perpétrés par les forces d’Assad [le président syrien] à Alep. »
L’AKP s’est mis à la tête du mouvement pour déposer Assad, rompant son alliance précédente avec la Syrie. Elle fit le calcul que cela lui assurerait la direction d’une alliance avec les puissances sunnites comprenant l’Arabie Saoudite et le Qatar et que les Etats-Unis utilisent comme intermédiaires pour installer en Syrie un régime qui leur soit inféodé. Cela couperait l’Iran chiite de son principal allié régional et priverait la Russie et la Chine d’une base au Moyen-Orient.
Il a œuvré pour s’assurer le soutien des groupes kurdes actifs en Syrie et pour les intégrer dans le CNS (Conseil national syrien) qui est à présent dirigé par Abdelbaset Sayda, un kurde vivant en exil en Suède. Mais la plupart des Kurdes voient le CNS avec beaucoup de méfiance à cause du rôle dominant qu’y joue les Frères musulmans et la participation de l’Arabie Saoudite et du Qatar au financement, à l’armement et à l’entraînement des insurgés. L’affirmation régulière que le CNS ne fait pas de sectarisme a peu de poids face à l’importance grandissante prise par Al-Qaïda et les forces salafistes dans le camp anti-Assad.
Le groupe kurde ayant le plus de soutien, le PKK, et le parti qui lui est affilié au niveau local et de façon non officielle, le PYD (Parti de l’union démocratique), s’étaient à l’origine alliés avec Assad dû à leur opposition à l’insurrection sunnite et dans l’espoir de se voir récompenser avec une autonomie sous une forme ou une autre.
Ces derniers jours, le transfert d’unités syriennes en vue d’assembler une force de 20 000 soldats à Alep a laissé un vide qui a été comblé par le PYD et d’autres groupes dont on dit à présent qu’ils contrôlent cinq ou six des principales villes dans le nord de la Syrie.
Erdogan a déclaré à propos de cette menace, « C’est notre droit le plus naturel d’intervenir étant donné que ces formations terroristes dérangeraient notre paix nationale…Dans le Nord, [Assad] a déjà attribué cinq provinces aux terroristes. »
La Turquie a oeuvré afin de trouver une sorte d’arrangement avec le dirigeant de l’administration kurde autonome d’Irak, le Président Massoud Barzani, afin d’empêcher que des mouvements en Syrie, en Irak et en Turquie ne convergent. Il a envoyé Davatoglu dans la capitale Ebril le premier août pour des pourparlers. Une déclaration commune exprimait « les profondes inquiétudes à propos de l’instabilité et du chaos en Syrie » qui constituaient « une menace de la stabilité et de la sécurité régionale » et promettait de coordonner les efforts afin d’établir une Syrie démocratique et non sectaire.
Cela venait cependant à la suite d’une admission précédente faite par Barzani à Al-Jazeera que les Kurdes syriens avaient été entraînés militairement en Irak.
Toute idée d’une région autonome kurde que ce soit sous Assad ou sous un gouvernement après Assad, est un chiffon rouge pour Ankara. Mais le gouvernement turc utilise aussi la question kurde comme un moyen d’établir une tête de pont en Syrie.
Le CNS et le CNK (Conseil national Kurde) se sont mis d’accord pour établir un comité destiné à répondre aux inquiétudes turques quant à la menace de « terrorisme » à la suite d’une réunion avec Davutoglu. Abdulhakim Bashar, le dirigeant du CNK a accusé le PYD d’être un allié d’Assad et déclaré que la meilleure option pour les Kurdes syriens était de former une confédération kurde affiliée à la Turquie.
Le fait de mettre l’accent avant tout sur la menace kurde donne à Ankara le casus belli qu’il lui faut pour déclarer la guerre à la Syrie et ouvrir un second front accompagnant l’invasion d’Alep, la capitale commerciale syrienne, par des forces de l’ASL (Armée syrienne libre) et des combattants djihadistes. La Turquie a déjà envoyé 2000 soldats sur la frontière syrienne ainsi que des missiles, des hélicoptères et des chars.
La répression des Kurdes par la Turquie se fait avec le soutien total de Washington, qui voit dans la Turquie le meilleur candidat pour diriger une guerre de procuration contre la Syrie. La secrétaire d’Etat Hillary Clinton doit aller en Turquie pour des discussions cette semaine. L’administration Obama supervise l’armement et l’entraînement de l’opposition par ses alliés régionaux et a ses agents militaires et de la CIA sur place.
Cette semaine, le Daily Telegraph a rapporté que le Trésor américain avait donné au Groupe d’action sur la Syrie la permission d’envoyer des fonds à l’opposition, ce que le Groupe a décrit comme une décision qui allait « changer la donne ».
L’acte criminel de Washington consistant à provoquer délibérément une guerre sectaire en Syrie constitue le centre d’un crime bien plus grand encore. Afin de s’assurer une hégémonie sans partage de ressources pétrolières vitales, les Etats-Unis se sont alliés à des forces d’Al-Qaïda, aux Frères musulmans et aux despotes du Golfe Persique dans le but de retracer dans le sang la carte du Moyen-Orient.