Les Russes ont une attitude de plus en plus méfiante, sinon hostile, vis-à-vis de l’Ouest en général (ce que nous nommons le bloc BAO), vis-à-vis des USA, vis-à-vis des institutions du bloc BAO comme l’OTAN, selon une enquête du Centre Levada*, une institution privée.
Cette méfiance, qui va de la réserve à l’hostilité, se marque par une distance grandissante et un sentiment de repli sur la dimension nationale, du moins par rapport à l’Ouest, de cette puissance qu’est la Russie.
Russia Today, du 15 mars 2012, rend compte des résultats de la dernière enquête du Centre Levada sur l’attitude des Russes vis-à-vis de l’Ouest, en donnant des éléments de comparaison par rapport aux résultats précédents. Plus que des résultats spectaculaires mais souvent éphémères ou trop peu structurés, – comme des poussées justifiées mais émotionnelles, d’antiaméricanisme, par exemple, – cette sorte d’enquête rend compte des tendances fondamentales et souvent “conscientisées” au travers de questions très détaillées sur divers aspects du problème considéré. Le résultat est effectivement une défaveur marquée pour le bloc BAO.
La remarquable surprise de cette enquête est sans aucun doute qu’elle ne ménage aucune surprise par rapport à ce qu’on peut juger intuitivement de l’évolution du sentiment collectif russe, et de l’accord de ce sentiment avec l’évolution du sentiment de la direction politique russe que nous a révélé, dans le sens d’une confirmation, la période électorale.
Contrairement au bloc BAO, et particulièrement les USA, il y a donc une remarquable unité psychologique et de jugement politique entre le sentiment des citoyens russes et leur direction politique, notamment en matière de sécurité nationale, ce domaine étant pris dans son sens le plus large. (L’idée d’une comparaison avec les USA vient effectivement aussitôt à l’esprit. Il y a aux USA une déconnexion constante entre le sentiment populaire et la politique extérieure des USA, notamment sur des problèmes fondamentaux liés à l’aspect belliciste mécaniste de la politique US comme l’Afghanistan ou la perspective d’une attaque contre l’Iran.)
Bien entendu, les pressions du bloc BAO, les ingérences manifestes sous la forme de subventions en faveur de l’opposition pro-occidentale en Russie ou ce qui en tient lieu, d’organismes du type courroies de transmission qui figurent dans l’organisation de ce que nous avons désignée comme la “guerre nouvelle”, constituent un des évènements conjoncturels importants pour nourrir l’évolution de la tendance signalée ici.
Cet évènement conjoncturel ne peut pour autant être pris comme la seule cause, ni même la cause principale, de l’évolution tendancielle profonde du sentiment de la population russe. Il complète à notre sens, une évolution générale clairement identifiable depuis au moins la période 2006-2008, avec le tournant de la crise du Système de 2008, qui est un repli général des sentiments plutôt pro-occidentaux qui marquèrent la première période postsoviétique.
Il y a, selon nous, dans cette évolution, un jugement collectif assez général et, également et principalement, une intuition collective puissante de la substance du Système qui domine absolument l’Ouest devenu le bloc BAO. On peut en déduire que l’unité de vue entre la population et la direction générale constitue une réalité pensée et acceptée comme telle, et cela constituant par conséquent un des points forts, peut-être sans guère d’équivalent en fait d’accord collectif, de la situation politique en Russie aujourd’hui.
A cette lumière, on doit considérer comme extrêmement secondaire dans l’attitude des Russes le besoin de réforme, surtout dans le sens “démocratique“ interprété selon la partition américaniste-occidentaliste, que le Système, par l’intermédiaire de sa courroie de transmission (“l’Ouest devenu bloc BAO”), ne cesse de mettre en avant pour tenter de délégitimer la direction russe par rapport à sa population.
Cette situation fait certainement partie de ce que nous interprétons, dans l’élection due Poutine à la présidence, comme le processus de légitimation du nouveau président. On comprend alors qu’il s’agit moins d’un homme en tant que tel (Poutine), selon l’approche de l’Ouest qui fait de lui une sorte de “dictateur“ corrompu extrêmement stéréotypé, avec révélations sensationnelles régulières à son propos et à son encontre, que de l’orientation que représente cet homme par rapport au sentiment des Russes, et correspondant parfaitement à ce sentiment.
La question n’est donc certainement pas, ici, de juger de la vertu ou non de Poutine, mais de constater que la personnalité de Poutine et ses choix s’inscrivent dans un courant collectif, dans une puissante tendance populaire. (La question n’est même pas de savoir si Poutine est populaire ou s’il est aimé, mais vraiment qu’il correspond le plus précisément parmi les dirigeants politiques à ce que les Russes jugent, eux-mêmes intuitivement, de ce qui est nécessaire, dans les temps actuels, pour leur nation. Il y a, sous-jacent, la perception sans doute inconsciente du grand danger que constitue cette époque en général, et, particulièrement, les pressions déstructurantes et la volonté de destruction dissolvante du Système.
De ce point de vue, on conclura qu’il se confirme que la Russie est beaucoup moins, radicalement moins dépendante du Système en général, que ne l’est le bloc BAO bien entendu, et qu’elle évolue de plus en plus vers une position de défiance, voire d’hostilité envers ce Système.
La Russie est bien, dans ses composantes diverses et tous ses caractères, un point fondamental de la résistance au Système. Non seulement la Russie forme évidemment ce que nous désignons comme un système antiSystème, ce qui n’implique pas nécessairement une notion de conscience active ni une notion de dynamisme, mais elle forme sans aucun doute ce que nous désignerions comme “un centre de résistance antiSystème”, ce qui implique d’être à un niveau au-dessus ; un “centre de résistance antiSystème” impliquant une notion de dynamisme et quelque chose qui est proche d’une conscience de ce à quoi l’on s’oppose.
(*Le Centre Levada est une organisation de recherche sociologique non-gouvernementale et indépendante, nommée d’après le professeur de sociologie Youri Levada, qui la dirigea jusqu’à sa mort en 2006. Le Centre Levada, également connu sous les initiales VCIOM, constituée en 1987 et réformée en 2003, fait partie des groupements privés russes de recherche de l’ère postsoviétique, complètement libérés des pratiques de l’ère communiste. L’influence politique extérieure, notamment du gouvernement, doit être considérée comme réduite, assurant aux résultats des enquêtes un crédit incontestable pour rendre compte de la situation sociologique et, ajouterions-nous, psychologique, de la Russie.)