Des enregistrements secrets publiés vendredi aux États-Unis lèvent en partie le voile sur de possibles connivences entre la banque d’affaires Goldman Sachs et l’autorité chargée de la contrôler, renforçant des soupçons nés au moment de la crise financière.
Ils témoignent « de la tradition de déférence du plus grand régulateur de Wall Street vis-à-vis des banques », affirme le site de journalisme d’investigation ProPublica, l’un des médias qui a révélé l’affaire.
Ces quarante-six heures d’enregistrements ont été collectées en 2012 par Carmen Segarra, qui était alors une des employées de la Réserve fédérale (Fed) de New York responsable de la supervision de la puissante banque d’affaires Goldman Sachs.
Deux points litigieux émergent des conversations que cette ancienne avocate a captées à l’insu de ses collègues.
Le premier concerne une transaction entre Goldman Sachs et Banco Santander. En 2012, la banque espagnole, alors sommée d’augmenter son capital pour absorber un éventuel choc, veut transférer de manière purement comptable une partie de ses actifs à sa partenaire américaine afin d’atteindre plus rapidement le seuil requis par les autorités européennes.
Mais la transaction suscite des doutes au sein de la Fed de New York qui a la possibilité de la faire capoter en cas « d’objection ».
« Mon opinion personnelle est qu’on a affaire à une transaction légale, mais louche », dit Michael Silva, qui coordonne la supervision de Goldman au sein de la Fed, selon des extraits des enregistrements publiés par la radio publique NPR.
« En mettant notre doigt là-dessus, on va peut-être trouver quelque chose de plus louche », ajoute-t-il.
Ces réserves n’auraient toutefois pas été clairement formulées lors de la réunion avec Goldman Sachs consacrée à cette transaction qui a été approuvée sans réserve, la banque s’engageant simplement à répondre ultérieurement aux éventuelles questions du régulateur.
Malgré cet attentisme, un responsable de la Fed de New York craint alors de froisser la banque d’affaires. « Je pense qu’il ne faut pas décourager Goldman de dévoiler ce genre de choses », déclare-t-il, suggérant de dire à la banque : « Ne prenez pas nos demandes pour de l’inquisition et notre volonté de mieux comprendre le marché comme une critique de votre entreprise. »
Démentis
Autre point litigieux mis au jour par ces enregistrements, Mme Segarra estime alors que Goldman Sachs n’a pas de garde-fou interne visant à éviter de possibles conflits d’intérêts, contrevenant ainsi aux règles de régulation bancaire.
Cette accusation provoque l’incompréhension de ses collègues et de son cadre qui, lors d’un entretien capté sur bandes, lui conseille de « réfléchir un peu plus sur le choix de ses mots » et d’être moins « définitive » dans son jugement.
Selon Mme Segarra, son intransigeance vis-à-vis de Goldman lui vaudra finalement d’être licenciée en mai 2012, sept mois après son arrivée à la Fed de New York. Elle a, depuis, saisi les tribunaux pour obtenir réparation, mais sa demande a été rejetée en avril dernier.
Dans un communiqué publié vendredi, la Fed de New York a assuré « rejeter catégoriquement » les allégations mettant en doute « l’intégrité » de sa surveillance et a affirmé que le licenciement de Mme Segarra était « entièrement lié à ses performances ».
Ses équipes, affirme-t-elle, sont tenues d’avoir une pensée « critique », « indépendante », mais également de savoir travailler collectivement.
Contactée par l’AFP, Goldman Sachs a rejeté les « fausses » accusations de Mme Segarra en rappelant que la banque dispose d’un code de conduite sur les conflits d’intérêts accessible par une « rapide recherche Google ».
Plus sournoisement, la banque d’affaires assure également dans son communiqué que son accusatrice avait tenté, sans succès, d’être embauchée chez Goldman en 2007, 2008 et 2009.
Ces nouvelles révélations viennent toutefois étoffer les soupçons d’une certaine clémence vis-à-vis des géants de Wall Street, dont les crédits immobiliers à risque (« supbrime ») avaient échappé à l’oeil des régulateurs avant de provoquer la tempête financière de 2008-2009.
Un audit de la Fed de New York, daté de 2009 et dévoilé vendredi par ProPublica, relevait que plusieurs « problèmes potentiels » avaient été repérés avant la crise, mais « qu’aucune alarme » n’avait été actionnée.
Le document assure également que les employés de la Fed de New York étaient trop « déférents » vis-à-vis de leurs supérieurs, comme « dans une armée ».