Pour comprendre et apprécier ce qui se passe à la frontière des deux Corées, il est indispensable de replacer ces événements récents dans le contexte international des douze dernières années.
Deux grandes puissances s’affrontent, l’une sur son déclin, hargneuse, intransigeante, vitupérant parce que se sachant en odeur de fin de règne ; la seconde tempérante, affable, amène et cherchant le compromis puisque son ascension inexorable est inscrite dans les lois de l’économie politique. La Chine est déjà la première puissance économique mondiale, les États-Unis sont déjà le canard boiteux de l’Occident, l’homme malade de l’Alliance atlantique.
Première victime de l’« Axe du Bien »
Le 7 octobre 2001, les Vandales américains, dirigés par l’état-major de l’OTAN, entrent en Afghanistan, petit pays féodal parmi les plus pauvres de la planète (45 ans d’espérance de vie – 585 $ de revenu annuel moyen), n’ayant jamais attaqué ni occupé aucun pays voisin, surtout pas les États-Unis d’Amérique, hors de portée de leurs kalachnikovs et de leurs caravanes de chameliers.
Le malheur de ce pays du Moyen Âge, c’est d’avoir été le théâtre d’une guerre néocoloniale mettant aux prises le social-impérialisme soviétique sur sa fin et l’impérialisme américain – et son allié Al-Qaïda – à l’amorce de leurs déclins.
Cette campagne militaire cruelle a permis d’imposer le gouvernement fantoche d’Hamid Karzai par la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) sous commandement de l’OTAN. Le parlement de Karzai n’a que peu de légitimité et ne contrôle que le secteur de Kaboul. En 2013, ce sont environ 130 000 soldats étrangers dont 90 000 américains qui occupent ce pays strangulé et saccagé. Ces chiffres n’incluent pas les nombreux mercenaires des sociétés privées (2 000 hommes de la firme britannique Saladin, ceux de Blackwater – Academi). En janvier 2009, le think tank International Council on Security and Development a estimé dans un rapport que la résistance était active et en contrôle d’environ 72 % du territoire afghan. Le site National Priorities estime à plus de 600 milliards de dollars le coût de cette occupation par l’armée américaine [1].
Deuxième victime de l’« Axe du Bien »
En janvier 2003, le récidiviste petit homme pose fièrement devant le porte avion de l’US Navy dans son « full metal jacket » galonné et trop grand pour lui. De la hauteur qui était la sienne et à 15 000 km du front irakien où les femmes, les enfants et les vieillards mouraient par milliers, la première armée du monde moderne venait de remporter son deuxième coup fourré ; le deuxième pays de l’« Axe du Mal » et ses puits de pétrole avaient été mis à sa merci. Dix ans plus tard le successeur de W. Bush – deuxième de dynastie – devrait déchanter et avouer que ni l’un ni l’autre de ces pays n’étaient soumis, mais qu’à cela ne tienne, l’héroïne et le pétrole circulaient à plein via le golfe Persique [2].
Le petit d’homme s’enflamma et, après avoir sacrifié des milliers de femmes – dont les Femen se désintéressent, leur mandat n’étant pas pour ça – il proclama que sa soif de vengeance n’était pas étanchée et que « l’Axe du Mal » devait continuer d’expier pour l’apaiser. L’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie, la Corée du Nord et l’Iran, chacun leur tour, devrait être détruit pour que lui et ses amis puissent se réjouir. Deux démons, amis du dragon chinois, venaient d’être sacrifiés et le prochain scellerait bientôt sa destinée.
Troisième victime de l’« Axe du Bien »
Le prétexte pour agresser la petite Libye (6,6 millions d’habitants, 12 000 $ par habitant, 86 % d’urbains, 70 ans d’espérance de vie) fut imaginé au moment où le Printemps arabe faisait rage. En février 2011, une bande de royalistes déchus, actifs à Benghazi sous les auspices des services secrets américains, britanniques et français, se soulevèrent contre le Guide de la Jamahiriya – le colonel Kadhafi. S’ensuivit un bombardement en règle de l’OTAN avec l’aval du Conseil de sécurité et le silence du reste de l’humanité [3].
Après des mois d’agression armée illégale contre un pays souverain, le peuple libyen, exsangue, se résigna devant les mercenaires recrutés en Afrique du Nord, chez les Berbères et dans les pays arabes où les jeunes désœuvrés sont pressés de s’enrôler pour n’importe quelle équipée afin de gagner de quoi manger.
Le troisième pigeon de « l’Axe du Bien » venait de tomber dans l’escarcelle occidentale peu de temps après que le colonel eut été reçu à l’Élysée dans un ultime effort pour l’arracher à son nouvel allié, qui, inconscient du danger, laissait ses affidés se faire avaler sans broncher.
« Le mois dernier (mars 2013), une explosion a détruit dans la banlieue de Tripoli, un édifice et mausolée religieux Soufi du 15e siècle… Le second anniversaire de l’intervention de l’OTAN aux côtés des rebelles libyens contre Mouammar Kadhafi n’a quasiment pas été mentionné par les gouvernements et les médias étrangers qui s’inquiétaient tant pour la sécurité et les droits humains du peuple libyen en 2011. Cela ne devrait pas nous surprendre parce que la Libye actuelle est de toute évidence en train de se désagréger et que les Libyens sont devenus les proies des miliciens qui affirmaient autrefois vouloir les protéger [4] »
Quatrième victime de l’« Axe du Bien »
La proie suivante de l’« Axe du Bien américain » allait être difficile à faire tomber, car cette fois la Russie – puissance impérialiste en reconstruction avec la bénédiction de son compagnon – n’allait pas sacrifier son allié, où se trouve implantée depuis des années une base militaire en Méditerranée. Quand les impérialismes étatsuniens, français et britanniques agressifs et affamés se tournèrent vers la Syrie (quatrième démon de l’« Axe du Mal ») pour y fomenter un coup d’État, l’axe russo-chinois s’interposa et mit un holà à la complicité du Conseil de sécurité onusien.
Le 15 mars 2011, le montage bien rodé, établi après un suivi attentif des révoltes spontanées survenues dans les pays arabes limitrophes, une manifestation de l’opposition largement médiatisée en Occident donna le coup d’envoi à l’ingérence extérieure dans les affaires intérieures de la Syrie pour soutenir un mouvement de déstabilisation du gouvernement de Bachar Al-Assad [5].
Cette fois, aucun aval du Conseil de sécurité pour accomplir le carnage de la « Communauté internationale » des sept pays impérialistes en déclin (États-Unis, France, Allemagne, Royaume-Uni, Canada, Pays-Bas, Belgique) adoubés par la Turquie intégriste, l’émirat de Doha salafiste et l’Arabie wahhabite, tous larbins, aussitôt appelés en service avec leurs djihadistes pour porter le message de liberté de la Charia islamiste, un jour amis des impérialistes, le lendemain repris de justice et aujourd’hui complices des sévices assénés au peuple syrien ; c’est selon l’inspiration du moment et les besoins de la politique étrangère américaine [6].
Ces multiples agressions et occupations des puissances déclinantes visent strictement à renverser les dirigeants en place et à y substituer partout des gouvernements fantoches à la solde de l’Occident, puis, à dévier le flot du pétrole en direction des pays amis sous contrôle étatsunien, ou simplement à récupérer un marché étranger, peu importe les sacrifices imposés aux populations « libérées » de l’influence du dragon.
Au tour du cinquième de cordée de l’« Axe du Mal »
Et voici venu le tour du cinquième de cordée – juste avant l’Iran, que l’impérialisme américain croit pouvoir mettre au ban de sa communauté. Les premiers complots ayant réussi, pourquoi pas celui-ci ? En effet, la paix et le progrès ne sont jamais le but visé par ces échauffourées supposées apporter la « liberté et la démocratie » des riches.
« Malgré une mise en garde de son allié chinois, la Corée du Nord a procédé, mardi 12 février, à son troisième essai nucléaire, après ceux de 2006 et 2009, “avec succès” et “pour protéger la sécurité nationale et la souveraineté du pays”, a affirmé l’agence officielle KCNA. Peu après la condamnation par le Conseil de sécurité des Nations unies, le 22 janvier, du tir début décembre d’’une fusée Unha-3 porteuse d’’un satellite (météorologique NDLR), considéré comme une violation des résolutions antérieures de l’ONU, la RPDC avait annoncé “renforcer sa capacité militaire, y compris sa force de dissuasion nucléaire”.
Le Conseil de sécurité devait, de nouveau, se réunir en urgence mardi, Pékin, Moscou et Washington s’étant concertés depuis quelques jours. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon a condamné un essai nucléaire “profondément déstabilisateur”. “C’est une violation claire et grave des résolutions du Conseil de sécurité”, a déclaré son porte-parole. Le président américain Barack Obama a appelé à une réaction internationale “rapide et crédible” [7]. »
Qui agresse qui dans l’affaire coréenne ?
La presse internationale, propriété des milliardaires des médias à la solde, s’est aussitôt émue, participant effrontément à la psychose de guerre. Le 13 avril 2013 le quotidien Le Monde titre : « Pékin et Washington s’allient pour dénucléariser la Corée du Nord. » En réalité, le chapeau de l’article annonce plutôt que « Les chefs des diplomaties chinoise et américaine, le conseiller d’État Yang Jiechi et le secrétaire d’État John Kerry ont déclaré samedi 13 avril vouloir œuvrer ensemble à la dénucléarisation de l’ensemble de la péninsule coréenne » la Chine attestant par là que les tensions sont dues à l’occupation américaine nucléarisée au Sud de la péninsule coréenne [8].
Voilà qui est très différent. Dans le compte-rendu de la rencontre, il est admis par le représentant américain que c’est la dénucléarisation de toute la péninsule coréenne qui doit être envisagée et non pas de simplement désarmer la Corée du Nord afin de la placer à la merci de l’impérialisme américain, qui a déjà envahi et détruit le pays en 1950-1953 (presque 2 millions de morts et menace d’attaques nucléaires). Comprenez l’effroi des Nord-Coréens de voir resurgir l’assassin sous le masque du pacificateur aux dents de loup. D’autant que les Chinois, pas plus que les Coréens, ne stockent leurs armes nucléaires à proximité du territoire étatsunien, à l’inverse des américains [9].
Un État menacé a-t-il le droit de se défendre ?
Le principe en cause dans l’affaire coréenne n’est pas de savoir si le troisième de lignée de la dynastie du Parti de Kim Il Sung est un bon bougre. C’est là une question intérieure qui ne concerne que le peuple de la Corée du Nord. Les Français sont administrés par Hollande et ils s’en accommodent ; les Canadiens subissent Harper et c’est leur triste problème… Idem au Royaume-Uni et en Égypte, etc.
La véritable question est de savoir si un petit pays a le droit de se protéger et de s’armer, jusqu’à et y compris d’armes de dissuasion nucléaire, s’il est pointé du doigt par une grande puissance nucléaire surarmée – arsenal de 3 500 ogives nucléaires aux mains des États-Unis, seul pays ayant utilisé ces armes de destruction massive pour exterminer des populations civiles non-nucléarisées (Hiroshima et Nagasaki). À l’évidence, c’est le droit et le devoir d’un pays souverain de s’armer pour se protéger de ces visées.
Ne soyez donc pas surpris si demain l’Iran se questionne à propos de ces armes de dissuasion massive, voyant se dérouler ces menaces à l’encontre d’un petit pays nucléarisé, qui tient tête aux expansionnistes américains, qui d’une main interdisent aux autres de se nucléariser et de l’autre tentent de déstabiliser leur gouvernement, fomentant des invasions, cherchant à diriger leur politique intérieure et extérieure et accroissant le nombre d’ogives nucléaires à leurs frontières.
D’autant que l’Iran sait déjà qu’elle est le sixième larron de l’« Axe du Mal » désigné à la vindicte d’un criminel de guerre au lourd passé de récidiviste comme l’histoire nous le démontre depuis douze ans.
Robert Bibeau