Notre camarade Ludovic, français, musulman et membre d’E&R en Bretagne, revient sur un courant de l’Islam souvent source de fantasmes : le salafisme. Instructif petit rappel des faits…
Avant toute chose, savoir de quoi on parle ! Le terme salafisme vient de salefs salehs, qui signifie en arabe les pieux prédécesseurs. Sous cette dénomination sont regroupées les trois premières générations de musulmans - lesquelles ont connu une proximité certaine avec le message originel : en effet, le dernier pieux prédécesseur a été en contact avec le dernier compagnon ayant fréquenté et vécu avec le prophète (rien de moins !).
Ces trois générations de musulmans ont donc bien compris l’essence du message, l’esprit de l’islam et ce sont eux qui, dès le début, ont propagé l’islam dans diverses contrées. Leur capacité à créer des ponts entre les réalités rencontrées et l’idéal islamique leur a permis de donner une image authentique de l’islam et d’y faire adhérer les croyants.
Avant d’être salafiste, on est d’abord musulman… et sunnite !
Celui qui suit l’islam est musulman et les enseignements du Messager de Dieu n’invitent les croyants qu’à s’affilier à l’islam.
"Ceux qui émiettent leur religion et se divisent en sectes, de ceux-là tu (Ô Mohammed) n’es responsable en rien : leur sort ne dépend que de Dieu. Puis, Il les informera de ce qu’ils faisaient." [Le Coran, 6:159] « Mais ils se sont divisés en groupes (sectarisés), chaque groupe exultant de ce qu’il détenait ». [Le Coran, Sourate les Croyants, signes 53]
Pourtant, en Islam (comme dans les autres religions), se sont crées et développées des sectes. Ces apparitions s’expliquent par le fait que certains ont placé leurs intérêts au dessus des intérêts de l’Islam et des musulmans. Dès lors, certains gourous ont introduit des règles, ont inventé des paroles prophétiques afin de tirer bénéfice de ceux qui les suivaient. En découlèrent une modification du dogme islamique et des fondements de l’islam. D’autres personnes, sincères, se sont trompées dans l’interprétation des textes et se sont basées sur leurs inspirations propres - plutôt que sur les enseignements authentiques.
Certains disaient, par exemple, que l’ange Gabriel, qui venait rencontrer le Prophète Muhammad pour lui transmettre la parole divine, s’était trompé et aurait dû révéler le Livre de Dieu au cousin du Prophète, Ali. D’autres encore développèrent l’idée qu’une part de Dieu serait en chacun de nous. Aux États-Unis, on a même vu apparaitre un groupe prétendant être « élu de Dieu » et pouvant, à ce titre, commettre des péchés (puisque Dieu leur avait déjà pardonné)... Les exemples de ce type sont légion et on constate que dans de nombreux cas, ces déviations profitent toujours à une personne ou un groupe de personnes s’attribuant l’autorité.
Pour faire face à ces dangers, très tôt, sont apparus des spécialistes - des savants - qui ont théorisé l’islam et tiré de cet ensemble des règles - celles de l’enseignement islamique. De plus, afin de se distinguer de toutes les hérésies qui avaient vu le jour, les savants ont insisté sur l’héritage du prophète qui disait : « Ô vous les gens, je vous ai laissé deux choses, si vous vous y accrochez, vous ne vous égarerez jamais, le livre de Dieu et la Sounnah de son prophète. »
Coran et Sounna : le texte et l’enseignement
La sounna est l’ensemble des enseignements provenant du prophète de l’islam. Elle se matérialise par les ahadiths (hadith au singulier) qui sont les paroles authentiques et vérifiées du Prophète. La sounna est la mise en pratique du Coran. Le Coran étant la parole de Dieu, elle reste parfois difficile d’accès. C’est en ce sens que la sounna vient compléter le Coran (certaines orientations divines étant présentes uniquement dans les ahadiths). La sounna fait, en quelque sorte, office de décodeur et de lien vers le Livre. C’est de là que vient l’appellation sunnite. Les musulmans suivants le Coran et la Sounna (les sunnites) sont aujourd’hui majoritaires et pratiquent globalement un islam authentique, proche de celui des pieux prédécesseurs. On les appelle ahl sounna wal jama’a, ce qui signifie les gens de la sounna et du groupe.
Le sunnisme est donc l’islam authentique, suivi par la très grande majorité des musulmans, et n’est en rien comparable au dogme d’autres groupes. De grands savants ont donc propagé les enseignements authentiques et ont permis à de nombreux musulmans à travers différentes contrées de pratiquer l’islam véritable. Ces enseignements sont basés sur un dogme unique, clair. Ces savants ont également dû répondre à des problématiques dont les solutions ne se trouvaient pas clairement dans les textes, textes qui justement incitent les savants à faire preuve d’intelligence, de souplesse et d’effort d’interprétation (ijtihad, voir le hadith de muadh ibn jabal). De là sont nées les écoles de jurisprudence, parmi les plus connues : hanafites, malikites, chafeites et hanbalites (des noms de leurs fondateurs : Abu Hanifa, Malik, Chafei et Ibn Hanbal), écoles ayant les mêmes fondements, prônant la même croyance, appliquant les mêmes principes mais pouvant diverger sur les moyens à mettre en œuvre pour atteindre l’idéal islamique, du fait des environnements variables - et donc développant un autre modèle de société, différent sur la forme, mais bien identique sur le fond.
Islam authentique et courants déviants
Au début du 20ème siècle, d’autres groupes émergèrent, se différenciant des musulmans authentiques et sunnites par le dogme. Toutefois, ces groupes se proclamèrent sunnites - dans le but d’être entendus et d’apparaître crédibles aux yeux des musulmans. Ce phénomène eut lieu dans une période de l’histoire où les enseignements de l’islam s’étaient altérés et où différentes formes de déviation du dogme authentique s’étaient répandues - phénomène en réalité récurrent tout au long de l’histoire de l’islam puisque, chaque siècle, un homme ou un groupe d’hommes est amené à rénover l’islam, selon un hadith prophétique.
Beaucoup prétendaient appliquer et enseigner l’islam authentique, mais commettaient en réalité des actes contradictoires et relevant plus de la période ante-islamique - qu’on appelle la jahiliyya, l’ignorance - que de la pureté du message originel. Ces pratiques ont amené les croyants à associer d’autres divinités à Dieu. Or, l’essence même du message divin est le monothéisme, lequel se caractérise par l’adoration de Dieu seul, l’adoration incluant les demandes d’assistance (se référer à la première sourate du Coran). Également, certains musulmans se sont définis par leur appartenance à leur école de jurisprudence et non par leur appartenance à la communauté des gens de la sounna et du groupe, relayant même parfois quelques coutumes incompatibles avec l’islam.
Dès lors, certains savants ont, dans le but de recadrer et d’orienter les croyants, réinstauré une référence absolue permettant à nouveau de se distinguer des groupes déviants. Ils ont donc trouvé l’intitulé suivant : "Nous suivons le Coran et la Sounna (jusqu’ici pas de changement), selon la compréhension des pieux prédécesseurs".
L’objectif était de replacer les références authentiques à leur vraie place et de balayer toute ambiguïté entre musulmans mais aussi vis-à-vis des non-musulmans qui pourraient être désorientés et découragés face à certains problèmes complexes.
Le salafisme en France : authenticité, jihad, … et multiplicité !
Il est légitime de se demander pourquoi le salafisme, qui est porteur d’une vision authentique de l’Islam (cf. les pieux prédécesseurs), peut aujourd’hui poser problème. En France, nombreux sont ceux qui usent de cette "perche" pour argumenter une incompatibilité foncière entre islam et République française. C’est à la fois partiellement juste … et partiellement faux. Car pour traiter de la place du salafisme en France (le cas des autres pays mérite d’être évoqué séparément), il convient de préciser d’emblée qu’il n’existe pas un, mais trois salafismes (des tendances, plutôt) : le salafisme authentique, le salafisme jihadiste (salafiyya jihadiyya) et le salafisme scientiste (salafiyya ‘ilmiyya).
Le salafisme authentique regroupe l’ensemble des musulmans pratiquant l’islam en se référant au Coran et à la Sounna, selon la compréhension des pieux prédécesseurs. Ils ont pour croyance celle enseignée par la majorité des savants et ont pour fondement les principes islamiques des origines. Ils sont musulmans et sunnites avant tout, et ne se présentent comme salafi que s’ils doivent spécifier leur appartenance, face à un groupe déviant de l’islam authentique. Cependant, ils ne constituent pas un bloc unitaire et homogène, et n’ont pas tous les mêmes positions et opinions : ils peuvent être en désaccord sur beaucoup de points religieux, et peuvent avoir différentes manières de lire les textes et de pratiquer l’islam, ce qui peut se traduire par des divergences dans le choix des savants référents - certains préférant s’appuyer sur des avis plus rigides, d’autres cherchant la souplesse, selon les goûts et les affinités.
Ainsi, il se peut que des musulmans choisissent une voie ascétique, portée sur la spiritualité et le rejet du matérialisme, alors que d’autres resteront très modernes dans leur apparence, tout en étant rigoureux dans leurs principes moraux, d’autres encore seront plutôt littéralistes, attachés au texte tout en étant ouverts, etc… Ces disparités sont - comme elles l’ont été à l’époque du prophète - sources d’enrichissement et restent secondaires, dans la mesure où ces musulmans ont tous la même croyance et s’appuient tous sur les mêmes fondements.
Le salafisme jihadiste se caractérise, pour sa part, par une focalisation de son action sur le jihad, concept bien entendu partie intégrante de l’islam et bien présent dans les textes révélés, mais concept méritant quelques éclairages. En effet, le jihad est avant tout un combat spirituel contre les mauvais penchants incitant l’homme au Mal (c’est ce qu’on appelle le grand jihad, jihad voulant dire Effort). Le jihad de combat (petit jihad) est également une réalité à propos de laquelle - même si des divergences sont apparues quant à son interprétation - la majorité des savants s’accordent à dire qu’il doit intervenir en réponse à une agression (concept défensif, pas expansionniste).
Deux tendances sont représentées au sein de la sphère jihadiste : l’une s’attachant à la défense des territoires occupés et menant une lutte défensive, et l’autre menant des actions offensives. Il serait long d’exposer les sources sur lesquelles se basent certains pour légitimer leurs actions. Au niveau international, ce que nous pouvons dire, c’est que les jihadistes ont souvent été manipulés et utilisés par des forces occidentales dans des intérêts géostratégiques qui les dépassaient. Des opérations sous faux drapeaux ont également jeté le discrédit sur des musulmans aux revendications légitimes.
Revenons au contexte français - qui a vu l’apparition de « cellules jihadistes » : nous devons nous rendre à l’évidence que celles-ci étaient composées la plupart du temps de jeunes musulmans convertis depuis peu, débordant de cet enthousiasme propre aux novices et très influencés par des discours propagandistes binaires et simplistes en vogue sur le net (forums et salons Paltalk). La rhétorique du "nous" et du "eux" ("musulmans et mécréants") marqua et continue de marquer beaucoup d’esprits peu éduqués islamiquement, et peu au fait des fondements de la jurisprudence ainsi que de l’Histoire de l’islam, des règles et leçons tirées par les savants. On compte tout de même dans cette mouvance des musulmans idéologues, maîtrisant les textes et convaincus de leurs interprétations. Néanmoins, même si à une époque cette tendance a pu inquiéter, ces musulmans restent, pour l’heure, assez peu nombreux et leur influence est limitée (les musulmans trouvant massivement leur compte auprès de nouveaux savants et conférenciers exposant un projet contemporain, une dialectique de la paix et une conception de l’islam authentique).
Un islam insoluble en France : le cas particulier du salafisme scientiste
Par contre, le salafisme scientiste - aussi appelé minhaj salafi (la voie du salafi) ou islam saoudien - est beaucoup plus répandu en France. Il se caractérise par une lecture très littéraliste des textes - lecture provenant d’une seule école de pensée et de jurisprudence, par un rejet de toutes les autres écoles de pensée (en les disqualifiant) et par une méfiance constante de toutes paroles (il faudrait, par exemple, être un savant ou un étudiant du minhaj pour parler de quelque sujet que ce soit - religion, politique, social, … ; mais pour être un savant ou un étudiant, il faut bien sûr avoir étudié chez un savant ayant un lien avec les savants référents du Minhaj…). Les pratiquants de ce salafisme rejettent également tout ce qui ne serait pas culturellement islamique. Rappelons à ce propos que religion et culture sont deux choses différentes : l’islam en France n’a donc pas vocation à s’arabiser, contrairement à ce que prônent les salafistes scientistes.
Cette école n’est ni plus ni moins qu’une importation de la vision saoudienne de l’islam. Certes, on se doit de reconnaître l’apport de la grande majorité des savants d’Arabie Saoudite, lesquels se sont efforcés de travailler pour l’ensemble des musulmans. Mais, les savants saoudiens ont aussi souvent cherché – noble intention - à protéger l’islam et les musulmans d’une culture qu’ils ne connaissaient pas et dont ils avaient peur : l’Occident. D’où le caractère problématique de ce discours, tenu, cette fois-ci, en France … et la nécessité de voir émerger des spécialistes européens, à même de prendre en compte leur environnement.
En résumé, la dépendance de cet islam vis-à-vis de savants du Moyen-Orient et des finances saoudiennes (dont les intérêts géopolitiques sont étroitement liés à ceux des États-Unis) pose problème en France. D’une part, parce que l’islam n’a pas vocation à arabiser ou « saoudiser » la France. Au contraire, l’islam et les musulmans doivent s’appuyer sur ce qui est positif dans la culture existante, et développer cette culture tout en restant ancrés dans les valeurs de l’Islam - justice, partage, égalité, solidarité,… (valeurs, soit dit en passant, partagées et désirées par tous, croyants et non-croyants, épuisés par un modèle libéral financier réellement destructeur des valeurs morales et des âmes) - pour développer un modèle de société contemporain. D’autre part, parce que l’islam n’a pas de clergé, donc pas de prise sur les croyants. Les savants sont des références qui orientent, guident sans contrainte les croyants et répondent à leurs questions – mais ils n’ont pas d’autorité à proprement parler. Le salafisme scientiste est, par contre, très contraignant dans sa forme (il s’impose au pratiquant), alors que l’islam est une voie, un cadre vers la libération de l’être humain de toutes entraves et de toutes influences, même celles se réclamant authentiquement islamiques.
C’est le sens du hadith suivant : Wâbiça ben Ma`bad nous rapporte que le messager de Dieu lui a dit : « Tu es venu m’interroger sur la vertu ? » - Oui, répondis-je. « Consulte ton cœur » me dit-il, « il te renseignera. La vertu est ce vis-à-vis de quoi l’âme et le cœur sont tranquilles, alors que le péché est ce qui trouble l’âme et tracasse le cœur, en dépit de consultations juridiques successives qu’on pourra te donner. » Notons au passage que, sur certains sites internet dits salafi, le hadith est amputé de la partie : « en dépit de consultations juridiques successives qu’on pourra te donner », illustrant ainsi la volonté de ce mouvement à cléricaliser l’islam et de freiner tout esprit de réflexion. Leurs partisans prétextent que ce hadith peut être mal compris, et inciter les musulmans à se passer des références (coran, sounna selon la compréhension des pieux prédécesseurs). Cette réflexion est légitime lorsque l’on se méfie de tout et de tous. Cependant, quand le croyant est confiant vis-à-vis des textes, qu’il se sait sur le dogme authentique (on ne consulte bien évidemment pas son cœur pour le cultuel - selon la règle cité au dessus), il sera responsable des ses actes devant Dieu, qui l’aura éduqué à faire la différence entre le Bien et le Mal.
L’islam est une foi, une spiritualité, une quête de sens incitant l’Homme à chercher Dieu. Les pratiquants salafistes scientistes insistent, au contraire sur la mise en avant de l’islamité - menant ainsi à des conflits au cœur des mosquées. Ils propagent une pensée très mécanisée, en insistant beaucoup sur les règles et la forme, au lieu de comprendre les objectifs et le fond (l’esprit de l’islam).
Par ailleurs, rappelons que, d’un côté, l’islam ne peut qu’être intrinsèquement opposé au modèle capitaliste, puisqu’il rejette le matérialisme (la possession matérielle en tant que fin et non en tant que moyen) et que, de l’autre, le projet « salafiste scientiste » est largement financé par des intérêts mondialistes et capitalistes... Les livres vecteurs de cette pensée sont notamment diffusés en France (et en nombre !) grâce aux moyens saoudiens.
Enfin, les salafistes scientistes, en plus d’affaiblir la cohésion de la communauté musulmane et de ternir son image en France, ne représentent qu’un danger très limité pour le pouvoir « oligarchique » : apolitiques (ils ne votent pas), refusant toute idée de lutte et résistance contre l’impérialisme, ils interdisent par exemple le boycott, et la critique des gouverneurs musulmans (en s’appuyant sur des textes révélés mais en occultant d’autres). Tout projet de justice sociale est donc délaissé, au profit d’un cheminement strictement personnel.
Une distinction : ne pas mettre tous les wahhabites dans le même sac !
Quand on parle d’Arabie Saoudite, on pense aussi à l’islam wahhabite. Précisons d’entrée que, contrairement au terme salafiste, personne ne se fait appeler wahhabiste ou wahhabite. Par contre, on dénomme communément – et abusivement – wahhabite tout musulman réputé extrémiste, ou jugé trop dur dans sa compréhension et pratique de l’Islam.
Le terme wahhabite est en fait tiré du nom de Muhammad Ibn AbdelWahhab. Ce savant fût l’auteur de plusieurs pamphlets critiquant les pratiques déviantes de ses contemporains (allant à l’encontre du monothéisme), et diffusa de nombreux tracts expliquant les fondements du monothéisme mis à mal. Pour cet appel, il fut combattu sévèrement par des gouverneurs de la péninsule arabique, lesquels avaient tout intérêt à maintenir l’ignorance dans les rangs de la population musulmane. Le savant avait tout simplement remis au goût du jour les enseignements authentiques du monothéisme – qui est un fondement de l’islam auquel les musulmans adhèrent lorsqu’ils prononcent l’attestation de foi : j’atteste qu’il n’y a aucune divinité digne d’adoration sauf Dieu Unique.
Ibn AbdelWahhab reçu l’appui militaire d’un chef de tribu nommé Al Saoud, et leur association permis l’alliance des tribus arabes et la création d’un état (l’Arabie Saoudite), sur des fondements religieux monothéistes et originels.
On a souvent cherché à disqualifier son action. Il est, par exemple, reproché à Ibn AbdelWahhab d’avoir détruit des mausolées au sein desquels reposaient des musulmans. Pourtant, le savant ne faisait que suivre les conseils du Prophète de l’islam : « Le prophète a maudit celles qui visitent les tombes et ceux qui y construisent des mosquées et des édifices ».
D’autres encore diffusèrent l’idée qu’Ibn AbdelWahhab était un berger illettré. Il s’agissait en fait d’un véritable savant du 18ème siècle (calendrier grégorien), versé dans différentes sciences et ayant mémorisé le coran.
Les travers du salafisme inauthentique : sectarisme, distinction forcenée et esprit de domination
Cette parenthèse sur le wahhabisme refermée, revenons au salafisme inauthentique. Premier travers de ce salafisme : la volonté systématique de distinction.
En France, une immense majorité des adeptes prétendant au salafisme sont des repentis ayant connu une période d’ignorance (jahiliyya – cf. plus haut). Dès lors, lors de leur retour à la foi, il arrive qu’ils définissent leur identité, leur appartenance à l’islam par opposition à ce qu’ils étaient avant. Ainsi, la culture occidentale, que l’on peut parfois juger comme trop permissive, devient un étalon de mesure de leur islamité. Et moins ils sont « européens, français, occidentaux », plus ils sont musulmans - et tout ce qui est apparent peut, dès lors, participer de cette distinction. L’appartenance à un groupe distinct peut même être interprétée comme le prolongement d’un réflexe anté-islamique (la bande, le gang), avec toutes ses spécificités (distinctions vestimentaires, musique, ou absence de musique pour le coup, rites divers, etc…).
D’autre part, ces aspirants salafistes commettent souvent une erreur dans la compréhension du fameux hadith sur les 73 groupes - dans lequel le prophète de l’islam indique « qu’un seul groupe sera sauvé et que les autres sont damnés ». Sauf que ce pourcentage en apparence minime (1/73) regroupe plus de croyants que les 72 autres réunis (cf. l’avis des grands savants). L’autre, du coup, loin d’engendrer la méfiance et la défiance (comme dans l’esprit des salafis inauthentiques ?), devient un alter-ego.
Une autre erreur – fondamentale - provient de leur conception de l’expression : « selon la compréhension des pieux prédécesseurs ». En effet, ils confondent ici principe et modèle. La compréhension, c’est la manière de saisir le sens et la profondeur des textes, et non la manière de les mettre en pratique. L’islam propose des principes universels valables pour tous les temps, tous les endroits et tous les peuples : justice, liberté, hygiène, entretien physique etc.… Les modèles, par contre, peuvent être différents selon les époques. Prenons un premier exemple : le vêtement. Le principe de pudeur avait pour modèle, à l’époque de Médine, le qamis (vêtement long pouvant descendre jusqu’au milieu du mollet). Au Pakistan, on trouve aujourd’hui un autre vêtement respectant ce même principe. En France, en 2011, un homme n’a pas besoin de porter le qamis (modèle loin d’être unique) pour respecter ce principe. Autre exemple : le sport. À l’époque du Prophète, le tir à l’arc, l’équitation et la course de chevaux étaient encouragés. Aujourd’hui, il n’y a aucune contre-indication à la pratique du tennis, du foot ou du judo, par exemple.
Ainsi, comprendre l’islam comme les pieux prédécesseurs (et non comme les salafistes inauthentiques) ne consiste pas à importer un mode de vie correspondant à une autre époque et un autre lieu, mais bien à chercher des transpositions de principes immuables dans des modèles contemporains.
Deuxième travers du salafisme inauthentique : l’esprit de domination. Malgré les désaccords fonciers qui existent entre les différentes familles salafistes, ces divergences de vue ne poseraient pas problème si les partisans du salafisme inauthentique ne souhaitaient imposer leur vision au reste de la communauté. La subtilité se trouve ici : c’est le point de basculement dans l’extrémisme. L’extrémisme prend corps dès l’instant où ceux qui adhérent à une idée se veulent dominateurs des autres. C’est une chose de croire en la supériorité de ses principes et de sa foi : le fait d’y inviter, et non de contraindre ou même de prêcher, est cohérent - puisque le croyant cherche l’intérêt de tous. C’en est une autre de croire en sa propre supériorité (sur le plan humain).
Se penser minoritaire, mais « sur la bonne voie », se concevoir comme supérieur aux autres, vouloir imposer sa vision, et refuser de vivre, de discuter, d’échanger avec tout ce qui est autre mène à une vision binaire et à l’orgueil. Elle mène souvent la personne à, non pas mettre ses principes, mais elle-même au dessus de tout. Tout ceci étant, bien évidemment, contraire aux enseignements de l’islam (qui invite à cheminer vers un idéal en ayant conscience de ses défauts et en faisant preuve d’humilité vis-à-vis de Dieu et des hommes) et relevant, in fine, plus de la tradition satanique que de la Tradition divine...
L’esprit partisan des musulmans se réclamant du salafisme (dont la volonté de domination, avant d’être physique et violente, est d’abord intellectuelle et morale), s’attache aux enseignements d’une poignée de savants – à mille lieues, d’ailleurs, des réalités européennes et donc peu à même de donner un avis sur d’éventuelles problématiques contemporaines.
Pour finir, même si le salafisme scientiste est répandu en France, il reste très minoritaire parmi les musulmans. Le dialogue avec cette frange de la communauté musulmane étant difficile à nouer, la possibilité (et l’utilité) d’un débat est sujette à caution.
A contrario, il nous semble plus urgent et primordial de travailler à l’union des gens de valeurs, croyants ou non – et ce, conformément à la tradition du Prophète (lequel fit appel à un non-musulman pour s’échapper de La Mecque, ou envoya un groupe de musulmans en Abyssinie chez un roi chrétien reconnu comme bon, …). L’islam authentique n’est pas porteur d’autre chose que d’objectifs nobles pour tous les hommes - et pas seulement pour les musulmans. Réconciliation, donc, et action commune !