Liberté d’expression à géométrie variable. Dans l’après-midi du 19 septembre, le site de l’Express a mis en ligne un article intitulé “Bien sûr qu’il faut soutenir Charlie Hebdo ! ”.
Rédigé par Eric Mettout, cet éditorial est un plaidoyer en faveur de la liberté d’expression de l’hebdomadaire satirique. Celui-ci a provoqué la polémique en publiant de nouvelles caricatures du prophète de l’islam. A l’instar de Christophe Barbier, directeur de la rédaction, Eric Mettout, rédacteur en chef, s’engage aux côtés des dessinateurs qui revendiquent, comme ce fut le cas de Luz sur le plateau du Grand Journal, le titre de “journaliste d’actualité”.
Depuis l’affaire des caricatures danoises de 2005, relayées alors par Charlie Hebdo, l’équipe du journal satirique se voit régulièrement accusée de cibler davantage l’islam plutôt que les autres monothéismes bibliques. Pour dissiper ce soupçon, Eric Mettout a illustré son article avec trois dessins censés démontrer l’égal ressentiment anticlérical de Charlie à l’encontre des trois religions.
Problème : la troisième image n’est pas issue des archives de Charlie Hebdo. Elle provient en réalité d’un dessinateur proche de Dieudonné, surnommé “Joe Lecorbeau”.
En visant les “judéo-nazis”, le caricaturiste, qui se définit comme “anti-sioniste”, semble vouloir brocarder le gouvernement israélien composé, entre autres factions bellicistes, de l’ultra-droite religieuse. L’expression de “judéo-nazisme” ne résulte pas d’ailleurs de l’imagination fertile d’un idéologue antisémite européen : c’est un philosophe israélien, Yeshayahu Leibowitz, qui a théorisé ce concept pour dénoncer les crimes de guerre - notamment la torture - commis par le régime de Tel Aviv.
Auto-censure
Au lendemain de la publication de son article, Eric Mettout s’est visiblement rendu compte de son erreur : la troisième caricature a été remplacée, sans explication, par un véritable dessin - datant des années 70- de Charlie Hebdo, bien qu’il s’agissait alors, sans que le précise l’Express, d’une équipe éditoriale totalement différente.
Après modification :
Pour rassurer le lecteur sur le pseudo-égalitarisme de Charlie à l’encontre des religions, Eric Mettout a cru judicieux de mettre une image – plutôt sexiste et vulgaire qu’“antijuive” - à défaut d’avoir trouvé un dessin satirique à charge contre les intégristes juifs ou les militants extrémistes du “Grand Israël”.
Ironie du sort, le procédé consistant à retirer du site une caricature antisioniste -imputée initialement à Charlie Hebdo - infirme aussitôt le discours de l’Express en faveur de la liberté d’expression. Pour nourrir le débat à propos du droit légitime à la satire, Eric Mettout et Christophe Barbier auraient pu conserver cette image, quelque soit le jugement porté sur sa pertinence, pour illustrer la diversité de la caricature à la française. C’était oublier un principe tacite du débat public hexagonal : il est des sujets - tels l’islam et l’intégrisme musulman - qui sont propices à la dérision tandis que d’autres - comme la question des crimes d’Etat israéliens - qui demeurent authentiquement “intouchables”.
Bonus : la couverture médiatisée du Charlie Hebdo en date du 19 septembre 2012.
La “contre-couverture” réalisée par Joe le corbeau et partagée sur Internet.
Réponse un brin hautaine d’Eric Mettout sur Twitter :