Le propre de l’écriture d’un ouvrage, surtout d’une autobiographie, c’est de s’accorder le beau rôle. Et, sur ce plan, au moins, l’intellectuel français qui vient de commettre un ouvrage dans lequel, de connivence avec Sarkozy, il raconte comment il aurait persuadé Abdoulaye Wade d’aller en Libye, d’aider ses amis du CNT et d’inviter Kadhafi à quitter le pouvoir, n’a pas dérogé à la règle. Non plus, contrairement à ce qu’on croit, il n’a négligé ses intérêts qui convergent avec le départ du dictateur.
Bernard-Henri Lévy est né le 5 novembre 1948, en Algérie. Après avoir passé plusieurs années au Protectorat français du Maroc, sa famille d’origine juive s’installe à Neuilly-sur-Seine, en France, en 1954. Son père, André, avait fondé la Becob, une société d’importation de bois africain qui sera rachetée par le groupe Pinault-Printemps-Redoute, en 1997. Après la vente de l’entreprise, Bernard-Henri Lévy est resté actionnaire ou administrateur de plusieurs sociétés. Il est à la tête d’une société immobilière Finatrois et de production de cinéma Les films du lendemain (exemples de films produits). Il est, également, au conseil d’administration de la Société d’édition Grasset et Fasquelle et de plusieurs autres sociétés internationales qui ne sont pas toutes connues.
Cet intello français et milliardaire a été un des premiers à se rendre à Benghazi, auprès des insurgés. Il a, également, été un des premiers à constater l’étendue des dégâts causés par les forces restées loyales à Kadhafi. C’est grâce à son implication que la France, puis l’Occident, dans sa presque totalité, a compris et pris faits et causes pour le mouvement révolutionnaire. Bernard, BHL, comme on l’appelle, est donc à l’origine du virage diplomatique de la communauté internationale en faveur du Conseil National de Transition (CNT).Tout comme le romancier philosophe a été au cœur de la reconnaissance dudit Conseil par Nicolas Sarkozy.
A quelles fins ? L’activité d’homme d’affaires de Bernard-Henri Lévy continue, en tout cas, à être un vaste terrain d’investigation. En mars 1998, déjà, un journal décide d’envoyer une équipe enquêter sur la Becob, une entreprise spécialisée dans le commerce du bois, fondée par André Lévy, père de l’écrivain, et dirigée, deux années durant, par Bernard-Henri Lévy, seul aux commandes, avec sa mère. Pour savoir comment cette entreprise d’exploitation de bois de plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires a bien pu être gérée par la vedette BHL, une équipe de reporters est envoyée en Côte d’Ivoire, pour enquêter sur Sivobois, une filiale locale des Lévy.
Les journalistes d’Entrevue arrivent en plein conflit social ! A Sivobois, les travailleurs se plaignent des retards de salaires et, leurs banderoles dénoncent des conditions de travail « esclavagistes ».
Pourquoi les ouvriers ivoiriens ne sont-ils payés qu’irrégulièrement ? Combien rapportait cette filiale ? L’écrivain, improvisé forestier, s’est-il déjà rendu sur place ? Au téléphone, Bernard-Henri Lévy tente des réponses convenues. Et puis soudain, il dit qu’il arrête tout et, très en colère, il raccroche au nez.
L’article sur l’écrivain-forestier ne paraîtra jamais. Le lendemain, le rédacteur en chef du magazine, vient trouver les reporters : « Désolé, les gars mais, on ne peut pas publier cette enquête. BHL s’est plaint en très haut lieu. Oubliez tout ». Que cachent de si gênant les affaires de cette société, pour conduire l’écrivain à se mobiliser, ainsi, pour interdire toute enquête ?
Fondée en 1956, l’entreprise de la famille Lévy est, progressivement, devenue l’un des principaux importateurs de bois précieux. Elle réalise 40% de son chiffre d’affaires, en Afrique. Bon fils, Bernard-Henri est très impliqué dans la Becob, depuis le début des années 1980. Il s’occupe, d’abord, de communication interne, puis siège, très officiellement, comme vice-président du conseil de surveillance, quelques années plus tard. Pour cette raison, Bernard-Henri Lévy ne peut botter en touche et attribuer la responsabilité de la gestion de l’entreprise à son seul père. Des années durant, il a participé, au plus près, à la gestion de l’affaire. Rien, des secrets, de l’achat et de la vente de bois n’échappe au philosophe, pas même les montages fiscaux via la Suisse, qui caractérisent l’entreprise. Entre deux livres, Bernard-Henri Lévy fait office de conseiller de son patron de père.
Tout naturellement, au décès de son père, l’héritier reprend, donc, les rênes de la Becob, l’affaire familiale qu’il codirigeait, de fait, depuis plusieurs années. Pendant deux ans, de 1995 à 1997, Bernard-Henri Lévy s’efforce de se comporter en chef d’entreprise responsable.
Mais, ce dont le magazine français n’a pu témoigner, en Côte d’Ivoire, une petite organisation non-gouvernementale de protection de l’environnement va pouvoir le faire, au Gabon.
En juin 2000, le Comité-Inter-Association Jeunesse et Environnement (CIAJE) est mandaté par Forest-Monitor – une grande ONG britannique spécialisée dans la lutte contre la déforestation – pour enquêter sur l’impact des activités des entreprises forestières européennes sur la population et l’environnement local. L’étude se concentre sur trois sites d’exploitation représentatifs du pays d’Omar Bongo. L’un d’entre eux est le chantier MBoumi, où opère la Société de la Haute Mondah (SHM). Pendant quatorze ans, de 1983 à 1997, la Becob, le groupe de la famille Lévy, via sa filiale Interwood, a exploité cette concession de 170.000 hectares. Quelque 200 employés, essentiellement, gabonais, y travaillaient.
Pendant plusieurs semaines, les volontaires de cette ONG observent les conditions de travail et discutent avec les travailleurs de cette exploitation forestière. Leur rapport, intégré dans une étude englobant toute l’Afrique centrale, est accablant. Il décrit les conditions sanitaires déplorables ayant cours dans cette concession. Un rapport extrêmement sévère pour Bernard-Henri Lévy, champion des droits de l’homme et ami autoproclamé de l’Afrique noire, en déshérence. Mais aussi, sommairement, le portrait de Bernard l’africain qu’on soupçonne plus intéressé par le pétrole libyen, que par le sort des compatriotes de Khadafi.
CHEIKH BA