À trop tirer sur la corde, elle finit par casser… Et c’est ce que redoute, le général Pierre de Villiers, le chef d’état-major des armées (CEMA), d’après le compte-rendu de son audition [.pdf] devant les députés de la commission de la Défense, diffusé par la Saint-Cyrienne.
Tout d’abord, pour le CEMA, l’actualité internationale de ces derniers mois a validé l’analyse stratégique du dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN) qui a conduit à préserver un modèle d’armée complet. Cependant, les contraintes budgétaires étant ce qu’elles sont, l’effort de défense a été calculé au plus juste dans le cadre de la Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019.
Pour rappel, le budget de la Défense ne prend pas en compte l’inflation jusqu’en 2016 et restera, pour l’année prochaine, au niveau qui était le sien en 2011. À plusieurs reprises, le président Hollande s’est engagé à ne pas toucher à ces crédits. Et pour cause : en cas de nouvelle coupe budgétaire, tout l’édifice s’écroulerait.
« Le chef des armées, le Président de la République, m’a confié une mission. Il a garanti les moyens de cette mission : ce sont les 31,4 milliards d’euros pour 2015. Certes, rien que les 31,4 milliards d’euros, mais la totalité des 31,4 milliards d’euros ! C’est sur ce projet que nous sommes engagés », a affirmé le général de Villiers. « Je crains l’infiltration rampante, le grignotage progressif de nos ressources financières. J’ai besoin des ressources 2015 en temps et en heure. Cette lisibilité m’est indispensable pour maîtriser les risques et mettre en œuvre une gestion efficiente », a-t-il ajouté.
Or, l’année 2015 est cruciale pour le respect de la trajectoire financière définie par la LPM. Elle prévoit un recours – sans doute excessif – aux recettes exceptionnelles à hauteur de 2,3 milliards qui ne sont, pour le moment, pas garanties. Pour la fin de cette année, il y a un risque sur le report de charge du ministère de la Défense. Report de charges qui avait atteint 3,45 milliards d’euros fin 2013 (autant dire que pour une entreprise classique, ce serait le dépôt de bilan). « Là encore, on ne peut pas, me semble-t-il, aller plus loin ! », a estimé le CEMA.
Les contraintes financières obligent les armées à trouver de nouveaux modes de fonctionnement plus économiques. Seulement, les années passent et, à force, les marges de manoeuvres se réduisent comme peau de chagrin. Et, dans le même temps, les armées répondent toujours présentes quand elles sont sollicitées (défense du territoire, dissuasion, Mali, Bande sahélo-saharienne, Centrafrique, Irak, Ukraine, etc…).
« Oui, je le dis souvent : le costume est taillé au plus juste. Les marges de manœuvre sont inexistantes. Avec la Révision Générale des Politiques Publiques puis la Modernisation de l’Action Publique, toutes les pistes d’optimisation ont été explorées et mises en œuvre », a expliqué le général de Villiers.
Ainsi, s’agissant de la masse salariale, le CEMA a rappelé qu’ « en 10 ans, entre 2009 et 2019, nos effectifs auront diminué d’un quart ». « C’est considérable ! », a-t-il lancé. « En 2014, le ministère de la défense, à lui seul, assumera près de 60% des suppressions d’emplois d’Etat. En 2015, ce ratio augmentera encore jusqu’à 66% », a-t-il poursuivi. Aussi, « plus on avance, plus il est difficile d’identifier des postes à supprimer » a-t-il dit.
Quant au fonctionnement, là-encore, les forces armées sont « déjà en limite de rupture », a déploré le général de Villiers, avec des difficultés pour satisfaire les besoins les « plus basiques ».
« Comment peut-on envisager d’aller plus loin en matière de fonctionnement quand la hausse de la TVA notamment est prise sous enveloppe et que les coûts de l’énergie et des fluides, également pris sous enveloppe, représentent 40% des dépenses des bases de défense ? », a demandé le CEMA.
Aussi, le constat est clair pour lui. « Que les choses soient dites, il n’y a plus de gras dans nos armées, si toutefois il y en a eu. J’invite ceux qui n’en sont pas convaincus à aller voir les conditions de travail et de vie de nos soldats », a-t-il lancé. Voilà un pierre lancée dans le jardin de Christian Eckert, le secrétaire d’État au Budget, qui, en juin, estimait tout le contraire.
Sur la question des matériels, le général de Villiers se veut extrêmement vigilant. « J’ai besoin que le calendrier de l’arrivée des nouveaux équipements soit respecté ! », a-t-il lancé. « Nos avions ravitailleurs actuels, les KC135, ont plus de 50 ans. Ils datent du début des années 1960, tout comme les avions Caravelle. Qui accepterait aujourd’hui de voler dans une Caravelle ? Nos véhicules blindés actuellement déployés en RCA ont 40 ans. Nos hélicoptères Puma ont eux-aussi presque 40 ans » a-t-il détaillé.
Alors, pour le moment, la France peut compter sur « de belles armées efficaces » et donc sur un « outil militaire très réactif (…) fruit d’une culture, d’un processus décisionnel extrêmement performant, d’une préparation opérationnelle rigoureuse et aussi d’une grande expérience, acquise sur tous les fronts » a fait valoir le CEMA.
Pour cela, ces forces armées s’appuient sur « les qualités de (leurs) jeunes militaires », qui font preuve d’ « endurance et de dévouement » à l’égard de la France. « Nous avons un belle jeunesse. Elle est généreuse et mérite le respect de la Nation, sa considératon et son soutien », a estimé le CEMA. C’est ainsi que ce dernier a donné l’exemple d’une chirurgienne de 32 ans qui, en 25 mois, a participé à 5 opérations extérieures de 2 à 3 mois, « en parallèle de son travail en hôpital militaire »…
Des matériels qui s’usent plus vite parce qu’énormément sollicités en opérations (au Sahel, le taux de diponibilité des hélicoptères est passé en-dessous des 50%, selon le CEMA), des personnels à hue et à dia qui travaillent dans des conditions compliquées et à qui on demande sans cesse de nouveaux efforts… Combien de temps cela peut-il durer, si, en plus, les ressources budgétaires promises aux forces armées ne sont pas au rendez-vous en 2015 ?
« Les hommes et les femmes de nos armées, nos jeunes, risquent leurs vies au nom de la France, en notre nom à tous. En retour, nous avons un contrat moral avec eux. Ils ne comprendraient pas, comme d’ailleurs nos concitoyens, que la LPM puisse être amputée de quelconque manière, dans le contexte actuel en France et dans le monde », a expliqué le général de Villiers.
Aussi, a-t-il prévenu, s’adressant aux députés, « il n’y a pas de gras dans nos armées. On attaque le muscle, alors que la situation sécuritaire se dégrade ! C’est mon devoir de vous le dire ».