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Élection municipale anticipée de Moscou : quels enjeux ?

Le 8 septembre aura lieu l’élection municipale à Moscou. Il s’agit d’une élection de première importance pour la Russie tant sur le plan intérieur que pour l’image de la Russie à l’étranger.

Moscou, capitale politique et économique du pays, est entrée dans la difficile période de transition qui a suivi la période soviétique en étant gouvernée de 1992 à 2010 par le célèbre Iouri Loujkov, figure politique de la période eltsinienne. Nommé par Boris Eltsine en 1992 suite à la démission du maire de l’époque dont il était l’adjoint, Iouri Loujkov sera élu en 1996 (95 % des suffrages) et réélu en 1999 (69,9 % des suffrages). À cette époque, beaucoup pensent que Iouri Loujkov, très proche du Premier ministre de l’époque Evgueny Primakov, pourrait remplacer le président Eltsine, ce qui n’arrivera finalement pas. En 2003, il est encore réélu à la tête de Moscou avec 75 % des suffrages et il s’éloigne totalement de la vie politique fédérale pour se concentrer sur son royaume qu’est devenu la capitale Moscovite.

En 2004, le président russe Vladimir Poutine avait supprimé les élections aux postes de gouverneurs de région et les élections à la mairie de Moscou et de Saint-Pétersbourg pour accentuer le contrôle de l’État, et donc la sécurité nationale. Pendant cette période le pays était visé par de nombreuses attaques terroristes ; que l’on pense par exemple aux deux avions détruits par des commandos suicides (à Toula et Rostov), aux attentats dans les stations de métro de Kashirskoe Shossee et Rijskaya à Moscou, aux attaques en Ingouchie, au terrible attentat de Beslan ou encore aux prises d’otages de Mineralnye Vody ou à l’assassinat du président tchétchène, Kadyrov père.

Iouri Loujkov avait conservé son poste de maire de Moscou, mais suite à des accusations de corruption le concernant ainsi que sa célèbre épouse spécialisée dans le domaine de la construction, il sera démis de ses fonctions par le président Medvedev en 2010, avant de fuir la Russie par peur de devoir rendre des comptes à la justice russe sur le fonctionnement du système Loujkov.

Il sera remplacé par Serguey Sobianine, qui a été gouverneur de l’oblast de Tioumen de 2000 à 2005, chef de l’Administration de la présidence de la Fédération de Russie de 2005 à 2008, puis directeur de cabinet de Vladimir Poutine à la présidence du gouvernement russe de 2008 à 2010. Le premier geste du nouveau maire sera de procéder à un grand nettoyage : 98 % du personnel de la mairie et 50 % des dirigeants des organes du pouvoir exécutif seront remplacés dès 2010.

Après le retour au système des élections, pour les postes de gouverneurs et de maires des deux grandes villes du pays, ordonné par le président russe en 2012, Serguey Sobianine a démissionné deux ans avant la fin de son mandat, dans le but de légitimer sa position de maire de Moscou par le suffrage universel.

Ce poste de maire de Moscou est stratégique car la ville a été le moteur de la contestation des marais qui est apparue fin 2011 suite aux élections législatives. Des dizaines de milliers de moscovites sont descendus dans les rues durant l’hiver afin de crier leur souhait de nouvelles élections législatives mais aussi la démission du président Vladimir Poutine. Cette opposition de rue a été à la fois observée et appuyée de l’extérieur de la Russie et beaucoup ont pensé y voir les signes annonciateurs d’un mouvement de plus grande ampleur qui aurait pu entraîner la fin du régime ou signifier le début de son déclin.

Dix-huit mois plus tard, force est de constater que le mouvement n’a débouché sur rien. La nébuleuse d’opposition n’ayant réussi à choisir ni un programme commun ni un candidat représentatif parmi les deux visages qui étaient apparus comme les leaders de ces mouvements de contestation : Michael Prokhorov et Alexey Navalny.

Le premier avait en effet obtenu 7,8 % des voix à la présidentielle et un peu plus de 20 % à Moscou, Vladimir Poutine n’obtenant que 46 % des voix dans la capitale contre 63 % au niveau fédéral. Pourtant Michael Prokhorov ne se présente pas a l’élection municipale et ne soutient aucun des candidats, même pas le candidat de l’opposition de rue Alexey Navalny, que la presse française ne cesse de vouloir nous présenter comme l’opposant principal à Vladimir Poutine. Dans les sondages, Navalny, n’est pourtant crédité à ce jour que de 10 à 15 % des voix, sur ce réservoir potentiel de 20 ou 25 % de l’opposition de rue, bien loin derrière Serguey Sobianine, dont le bilan a été détaillé ici, et qui est lui crédité de 55 et 61 %.

La campagne d’Alexey Navalny, si elle est provocatrice, n’en reste pas moins un modèle d’organisation et témoigne d’une rupture nette avec les habitudes locales. Celui-ci va à la rencontre des électeurs de façon très régulière, et ses quelques centaines de militants profitent d’une clémente fin d’été pour distribuer prospectus et tracts à la sortie des stations de métro ou même dans le métro et surtout engager le dialogue avec le nouveau cœur de cible du candidat : les retraités et les habitants des quartiers périphériques. Cette campagne de terrain à l’américaine (Navalny s’inspire d’Obama) explique probablement sa remontée dans les sondages entre le début et cette fin de campagne.

Un point mérite d’être relevé dans la rhétorique de campagne du candidat de l’opposition de rue Alexey Navalny. Celui-ci s’est clairement prononcé pour la tenue d’une Gay Pride à Moscou en affirmant que « chacun avait le droit de manifester librement dans la ville et qu’on devait prendre exemple sur Jérusalem ou la Gay Pride était autorisée malgré l’ultra-conservatisme de la population de la ville ».

Cette proposition surprenante d’Alexey Navalny devrait lui faire perdre nombre de soutiens électoraux au sein de la mouvance nationaliste russe et ressemble à vrai dire au suicide politique d’un candidat qui sait que tout est perdu. Celui ci s’est par contre assuré le soutien de Nikolaï Aleksey, figure du mouvement LGBT en Russie. Par contre, lorsque l’on prend en compte l’hystérie qui règne autour de la Russie et des JO de Sotchi, dans le cadre des lois contre la promotion de l’homosexualité qui ont été votées en Russie, on peut se demander si le but recherché n’est pas d’envoyer un signal clair et fort à certains milieux en se différenciant ainsi clairement du maire actuel, qui lui affirme que « Moscou n’a absolument pas besoin de cela, et je n’en suis pas partisan ».

On peut aussi envisager qu’il s’agisse du début d’une grande campagne d’agit-prop et de provocations dirigées contre Moscou jusqu’aux JO de Sotchi, au nom de la pseudo-homophobie de lois qui ne font finalement qu’interdire la promotion de l’homosexualité au mineurs russes et non interdire l’homosexualité. Il faut rappeler que l’homosexualité en Russie avait été dépénalisée par la révolution de 1917, puis interdite par Staline et enfin de nouveau dépénalisée en 1993. À titre de comparaison la dépénalisation en France date de 1982, en Allemagne de 1994 et aux États-Unis de 2003.

On peut donc imaginer que le mainstream médiatique attende ces élections municipales avec impatience et il est possible et plausible que les résultats entraînent de vagues protestations, notamment des partisans d’Aleksey Navalny, ainsi qu’une semaine d’agitation médiatique comme c’est un peu obsessionnellement le cas en Occident à chaque élection russe. Mais malgré cela, il est quasiment certain que le résultat de cette élection semble déjà connu et les moscovites devaient élire leur maire comme les Russes ont élu leur président : au premier tour.

Les Moscovites sont irrités, il est vrai, par des problèmes essentiels que sont les bouchons, le manque de places de parking, les difficultés de logement, l’inflation des prix des produits alimentaires ou encore et peut être surtout par l’immigration et la criminalité ethnique, qui est devenue le thème central des élections.

En outre, contrairement à ce que laissent à penser les manifestations de fin 2011, qui ont au maximum vu défiler 50 ou 60 000 personnes sur une population de 15 millions, les moscovites sont à l’image de leurs compatriotes : relativement conservateurs. On estime en effet que 70 à 80 % des habitants de la capitale ne souhaitaient pas d’élections anticipées.

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