Une quarantaine de soldats de réserve de la plus prestigieuse unité de renseignement militaire israélien ont décidé de ne plus en endosser l’uniforme pour ne plus avoir à participer aux injustices commises selon eux contre les Palestiniens.
Il s’agit de l’une des plus importantes expressions d’objection de conscience depuis des années en Israël.
« Nous, anciens de l’unité 8200, réservistes mobilisés ou mobilisables, déclarons que nous refusons de prendre part à des actions contre les Palestiniens et de continuer à être instrumentalisés pour renforcer le contrôle militaire sur les Palestiniens dans les territoires occupés », écrivent 43 officiers et soldats signataires d’une lettre adressée au premier ministre et au chef d’état-major israéliens et transmise vendredi à l’AFP dans une version anonyme.
« Nous ne pouvons plus continuer à servir ce système et à dénier leurs droits à des millions de personnes tout en gardant bonne conscience », disent les signataires.
Publiée moins de trois semaines après la guerre dans la bande de Gaza, la lettre est sans lien avec elle. Mais elle est un pamphlet contre la politique globale du « régime » et les pratiques du Renseignement mises au service de cette politique.
La NSA israélienne
Il y est question de mise sous surveillance de millions de Palestiniens sans distinction, jusque dans leur vie privée.
Ces refuzniks (terme désignant des Israéliens refusant de servir) dénoncent « la persécution politique » à laquelle participe leur activité d’espionnage ; des tribunaux militaires rendant leurs jugements sans que les Palestiniens aient accès aux preuves rassemblées contre eux et des agissements montant les Palestiniens les uns contre les autres.
Ils s’en prennent plus largement à la règle militaire sous laquelle des millions de Palestiniens vivent depuis plus de 47 ans ainsi qu’à la colonisation et à l’hypocrisie d’une politique invoquant les nécessités de sécurité pour se justifier.
L’armée a nié la réalité de ces accusations et a affirmé dans un communiqué ne « pas avoir d’informations selon lesquelles des violations spécifiques mentionnées dans cette lettre ont eu lieu ».
Ce « manifeste des 43 » émane d’une unité qui, par la force des choses, sort rarement de l’ombre. L’unité 8200 est un service d’élite du renseignement militaire. Spécialisée dans la cyberdéfense, chargée des écoutes, elle est souvent comparée à la NSA (National Security Agency) américaine.
Dans un pays où l’armée joue un rôle prééminent et où l’opinion a très majoritairement soutenu la récente guerre à Gaza, la dernière manifestation marquante d’objection de conscience remonte à 2003, lors de la seconde Intifada. Vingt-sept pilotes de l’armée de l’air avaient refusé de mener des opérations de liquidation dans les Territoires palestiniens.
Ils ont perdu le sommeil
« Je pense que nous avons tous signé cette lettre pour la même raison : parce que nous n’arrivons plus à dormir la nuit », résume une des 43 dans un entretien publié vendredi dans le quotidien à grand tirage Yediot Aharonot.
Une femme parle de l’erreur d’identification qu’elle a commise et qui a conduit selon elle à la mort d’un enfant. D’autres s’émeuvent d’avoir à écouter les conversations les plus intimes de Palestiniens.
« Si tu es homosexuel, et que tu connais quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît l’homme que l’on recherche, Israël va transformer ta vie en enfer », explique un autre à titre d’exemple.
« C’est comme cela qu’on recrute des agents partout dans le monde, cette méthode du chantage se trouve dans n’importe quel manuel du renseignement de n’importe quelle armée », commente le colonel de réserve Itamar Yaar, ancien vice-président du Conseil de sécurité nationale interrogé par l’AFP.
« Les soldats sont aussi des citoyens et ont aussi une opinion politique. J’aurais préféré que cette lettre n’existe pas, mais elle est là, et c’est une chose normale », dit-il.
Un responsable sécuritaire a minimisé l’impact de ce « manifeste des 43 ».
« Ils lavent leur linge sale en public avant même de se tourner vers l’armée. C’est la preuve qu’ils sont dans une démarche d’activisme politique plutôt qu’une volonté de faire changer le système », a dit à l’AFP ce responsable sécuritaire sous couvert d’anonymat. Selon lui, ces 43 personnes représentent moins de 1 % du nombre total de réservistes de l’unité 8200.