Quatre-vingt neuf familles, qui à peine sept semaines auparavant peuplaient les rues de Gaza, ont été exterminées par Israël.
En ce dimanche 24 août, et sans préavis, un missile israélien a balayé la maison de Issam Jouda, située dans le quartier de Tal al-Zatar à l’Est de Jabaliya. L’attaque a tué l’épouse de Issam, Rawiya et leurs quatre enfants : Taghrid, Tasnim, Oussama et Mohamed.
D’après le Ministère de la Santé Palestinien, les Jouda étaient la quatre-vingt-neuvième famille gazaouie à être exterminée depuis le début des bombardements israéliens sur l’enclave côtière assiégée, le 7 juillet dernier.
Le cessez-le-feu entré en vigueur mardi dernier (26 août) pourrait certes mettre un terme à l’effusion du sang, mais il ne parviendra jamais à guérir et cicatriser les blessures béantes des familles et proches de plus de 2 100 personnes tuées, ni celles des milliers de blessés et des 100 000 restés sans abri.
En effet, entre le 7 juillet et le 21 août, l’ONU a recensé 140 familles Gazaouies qui ont été partiellement ou complètement anéanties par les attaques israéliennes.
Beaucoup ont été écrasées sous les décombres de leurs maisons. Huit membres de la famille Wahdan, à titre d’exemple, ont été tués dans leur domicile sis au camp de réfugiés de Jabaliya après qu’ils aient reçu des instructions des forces israéliennes de rester en place.
D’autres ont été sommairement exécutés en plein jour alors qu’ils tentaient d’échapper aux forces israéliennes qui sévissaient dans le quartier de Shujaiya qui a connu les plus catastrophiques des désastres. Le même sort a été réservé à plusieurs membres des familles Shamaly et al-Areer et ce, d’après un témoignage recueilli par le journaliste Max Blumenthal.
Pour sa part, le Centre Al Mezan pour les Droits de l’Homme a enregistré l’effroyable nombre de 990 personnes,dont 324 enfants, tuées à l’intérieur de leurs maisons suite aux attaques israéliennes. Ce chiffre représente approximativement la moitié de l’ensemble des personnes tuées dans l’offensive israélienne.
Tout sauf un accident
L’offensive qu’a connue Gaza cet été, caractérisée par le ciblage systématique de familles entières s’inscrit dans le cadre d’une stratégie militaire délibérée qui ambitionne de terroriser la population civile dans le but de l’assujettir et de briser sa volonté à résister à la conquête israélienne. Ces derniers jours, Israël a intensifié cette pratique en rasant des tours d’habitations résidentielles.
Mais le massacre de masse des familles fait également partie de la destruction israélienne continue de la Palestine.
Génocide
Michael Ratner, Président Emérite du Centre de Droit Constitutionnel (CDC), affirme que les actes israéliens contre Gaza dépassent les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. C’est un génocide estime-t-il, en ajoutant que sa voix adhère à la clameur grandissante de ceux qui voient que le massacre qui se déroule à Gaza fait partie d’un processus d’anéantissement et de destruction systématique en cours .
Dans une déclaration faite à The Electronic Intifada, Ratner a estimé : « Ce sont des violations manifestes des conventions de Genève et des crimes de guerre. Vous ne pouvez pas considérer cela comme une attaque isolée sur Gaza car il faut remonter à l’histoire du Sionisme qui traçait et détruisait plus de 500 villages en 1947-1948 » faisant ainsi référence à la Nakba, le nettoyage ethnique prémédité de 750 000 natifs Palestiniens par les milices sionistes qui cherchaient à établir un état d’exclusivité ethnique pour une majorité Juive.
« Si vous analysez la situation d’un point de vue historique, il vous sera difficile d’échapper à la conclusion de l’auteur et historien israélien Ilan Pappe qui l’a qualifiée de ‘’génocide progressif’’ » a souligné Ratner.
Ratner a par ailleurs noté que la réponse commune à ce type d’accusations est qu’Israël n’a pas assez tué de Palestiniens pour que ses actions soient qualifiées de génocide. Toutefois, « Vous n’êtes pas obligés de tuer un grand nombre de personnes pour commettre un génocide » explique-t-il.
En effet, l’Article 2 de la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide définit le génocide dans les termes suivants (caractères gras ajoutés) :
Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
(a) Meurtre de membres de groupes
(b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
(c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle
(d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe
(e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe
Israël n’a pas à tuer des millions de Palestiniens pour devenir coupable de génocide, ni il doit commettre toute les atrocités susmentionnées, bien qu’il soit indéniablement coupable des points (a), (b) et (c). Il doit juste commettre un de ces crimes avec l’ « intention » de « détruire » les Palestiniens, « totalement ou partiellement » en tant que « groupe national, ethnique, racial ou religieux. »
Le passé est présent
En sa qualité d’état colonial guidé par le Sionisme ou le nationalisme Juif, Israël a, depuis sa création, passé chaque année à détruire graduellement les communautés autochtones Palestiniennes et à expulser ses habitants dans le but de consolider et de maintenir une majorité démographique Juive dans la Palestine historique, un objectif qui, par sa nature, exige le déplacement forcé et l’effacement des Palestiniens. Ce processus se poursuit chaque jour dans l’actuel Israël qui planifie de déplacer avec la force des dizaines de milliers de Bédouins du Naqab (Néguev) afin de « judaïser » leur terre.
Gaza en particulier, où 80% de la population sont constitués de réfugiés nettoyés ethniquement de leurs villages devenus aujourd’hui Israël, a été soumise à des massacres périodiques depuis la création d’Israël. La fréquence de ces massacres s’est intensifiée depuis 2006 parce que, contrairement à la Cisjordanie, la résistance armée à Gaza contre le colonialisme israélien est loin de se calmer.
« Ce n’est pas que les gens se trompent en disant qu’Israël commet des crimes de guerre. C’est juste qu’il faut se placer dans le contexte des 70 dernières années » souligne Ratner. « Posez-vous la question suivante : Que fait Israël à part essayer de rendre la vie des Palestiniens impossible et les pousser à céder et à quitter leur terre ? »
Dans son éloge infâme de 1956 après l’assassinat d’un colon israélien par des réfugiés Palestiniens de Gaza, promu ensuite au poste de chef d’État-major de l’armée Israélienne, Moshe Dayan a candidement décrit la politique israélienne envers Gaza en affirmant : « Pourquoi devons-nous déplorer leur haine brûlante envers nous ? Depuis huit ans maintenant, les Palestiniens se sont réunis dans les camps de réfugiés de Gaza et ont vu de leurs propres yeux comment nous avons transformé leur terre et leurs villages dans lesquels ils ont vécu et leurs ancêtres avant eux, en nos maisons. »
Il a poursuivi : « Nous sommes une génération de colonies et sans le casque d’acier et les armes nous ne parviendrons jamais à planter un arbre et à construire une maison… C’est notre choix d’être prêts et armés, durs et violents, sinon l’épée de Damoclès tombera sur nos propres têtes et ce sont nos vies qui en paieront les frais. »
Plus tard dans la même année, sous le leadership de Dayan, des soldats israéliens ont procédé à des exécutions massives à Khan Younis et Rafah. Ils avaient rassemblé tous les mâles âgés de plus de 15 ans, les ont alignés dans la rue pour que chacun en témoigne, les ont frappés puis ont tiré sur eux, tuant ainsi des centaines. Ce massacre avait pour objectif d’écraser et d’étouffer la résistance.
Au fil des années, beaucoup de responsables israéliens ont partagé le point de vue et l’attitude de Dayan, plus particulièrement Arnon Soffer, surnommé aussi le « compteur des Arabes » en raison de sa fixation compulsive sur la menace posée par les bébés Palestiniens.
Principal architecte de la politique israélienne à Gaza suivant le « désengagement » unilatéral en 2005 du Premier Ministre de l’époque Ariel Sharon, Soffer a une fois dit sur l’enclave côtière : « Si nous voulons rester en vie, nous devrons tuer et tuer et tuer. Toute la journée, chaque jour. » Et cette prédiction cauchemardesque est la réalité d’aujourd’hui à Gaza.
La différence entre l’époque de Dayan et aujourd’hui est qu’Israël a la capacité et la force de volonté de poursuivre sa conquête génocidaire dans l’impunité absolue, grâce notamment à l’arsenal de missiles Hellfire et les bombes anti-bunker que les USA fournissent ainsi qu’une « communauté internationale » disposée à tolérer une agression israélienne sans limite.
Incitation
Au début de ce mois, Moshe Feiglin, vice-président du parlement Israélien, la Knesset, a présenté une proposition détaillée pour la concentration et l’extermination des Palestiniens à Gaza. Empreint d’intention génocidaire manifeste, Feiglin a nié l’existence même du peuple Palestinien en le définissant d’ennemi car la majorité de ce peuple est de confession Musulmane.
Peu de temps avant l’assaut sur Gaza, le législateur israélien Ayelet Shaked, membre de plus en plus populaire du parti de l’extrême droite Habeyit Hayehudi (Jewish Home) et partenaire de haut niveau dans la coalition dirigeante de Netanyahu, a appelé au massacre des mères Palestiniennes afin de les empêcher de donner naissance à des « petits serpents. »
L’appel clair et sans équivoque au génocide lancé par Shaked semble avoir été, dans une certaine mesure, mené contre les 89 familles à Gaza qui ont complètement été oblitérés ainsi que contre les nouveau-nés qui n’ont pas survécu après qu’Israël ait attaqué les centrales électriques qui alimentaient leurs couveuses.
Et même si ce n’était pas le cas, l’incitation en elle-même devrait entrainer des poursuites judiciaires.
L’Article 3 de la Convention sur le Génocide stipule que « L’incitation directe et publique à commettre le génocide » et « La complicité dans le génocide » sont des délits punissables.
Feiglin et Shaked reflètent un état d’esprit enraciné et omniprésent dans la société israélienne et dans les médias sociaux, parmi les foules dans les rues qui scandent « Mort aux Arabes » et parmi les soldats israéliens. Ni Shaked ni Feiglin n’ont été censurés et de ce fait, leurs opinions ont reçu un appui remarquable et phénoménal sur les médias sociaux.
Et avant d’envoyer ses troupes à Gaza, le Commandant de la brigade Givati de l’armée israélienne, le Colonel Ofer Winter a écrit à ses hommes en leur rappelant que leur engagement était au nom de la « Nation Juive d’Israël » pour « anéantir » un « ennemi qui diffame » Dieu.
Il demeure donc inutile pour quiconque de donner des ordres plus explicites. Les soldats israéliens en direction de Gaza s’y rendent avec la profonde haine ethnique des Palestiniens qu’on leur a inculquée au fil du temps.
Complicité
« Le langage est un élément constitutif important. Nous en avons été témoins au Rwanda lorsqu’on a appelé sur les ondes de la radio de tuer les Tutsis » souligne Ratner qui fait référence aux émissions de la Radio Télévision Libre des Mille Collines, soutenue par le gouvernement Rwandais.
« Les mots qui ont été utilisés par les législateurs Israéliens fomentent les attaques génocidaires stupéfiantes contre le peuple Palestinien. Ceux qui siègent au parlement et qui encouragent cette tendance sont tous complices de tous ces crimes » a-t-il précis en ajoutant que le même constat s’applique aux responsables US qui continuent de submerger leurs homologues israéliens avec des fournitures inépuisables d’armes visant les civils Palestiniens.
Il est à noter que dans la politique américaine, tout comme en Israël, nier l’existence même du peuple Palestinien est devenu très à la mode ces dernières années.
« Chacun des membres du Congrès qui continue de voter en faveur de l’aide militaire destinée à Israël est complice des crimes contre l’humanité, de génocide et de crimes de guerre » soutient Ratner qui conclut : « La responsabilité de ce qu’Israël est en train de faire incombe principalement aux États-Unis. »