Dans cette période de repli identitaire, le philosophe catholique Pierre Manent, dans Situation de la France (Éditions Desclée de Brouwer), jette un pavé dans la mare en proposant aux musulmans une sorte de contrat social.
Polémiques garanties.
Qui est Pierre Manent
Philosophe, disciple de Raymond Aron, dont il fut l’assistant au Collège de France, Pierre Manent, 66 ans, est directeur d’études honoraire à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Catholique, il est l’un des fondateurs de la revue Commentaire. Spécialiste des grands penseurs libéraux français du XIXe siècle, il a beaucoup écrit sur l’histoire politique, intellectuelle et religieuse de l’Occident. Il est notamment l’auteur de La raison des nations, Les métamorphoses de la Cité et Montaigne, la vie sans loi.
A vous lire, on a l’impression que vous vous accommoderiez volontiers du communautarisme. On se trompe ?
J’essaie de partir de la situation présente : il se trouve qu’une certaine communautarisation est déjà présente, et il ne faut pas qu’elle se transforme en communautarisme. La meilleure façon d’éviter cette transformation, à mon avis, ce n’est pas de se donner pour tâche de dissoudre la communauté musulmane, mais de lui accorder une reconnaissance telle qu’elle aura envie de participer à la vie nationale et n’ira pas chercher refuge dans le communautarisme. Nous sommes dans une situation de défiance des musulmans à l’égard de la communauté nationale, et d’une défiance d’une partie de la communauté nationale à l’égard des musulmans.
Que proposez-vous pour sortir de cette impasse ?
Nous posons légitimement des conditions à la participation des musulmans à la vie commune, en interdisant par exemple par la loi la polygamie ou le port du voile intégral dans l’espace public. Mais il y a aussi un moment où nous devons consentir à ce qu’ils vivent selon leurs mœurs. Certains ne voient pas de possibilité d’une vie commune si les musulmans n’adoptent pas très largement les moeurs occidentales et leur liberté illimitée. Cette espérance est vaine. Donnons-nous donc des ambitions moins irréalistes.
Vous balayez par exemple les polémiques sur les repas dans les cantines scolaires…
C’est un faux problème qui n’a d’existence que par le désir de certains acteurs politiques de donner l’impression qu’ils font quelque chose, alors qu’ils ne font rien. L’islam pose de grandes questions, et sur certains points nous devons avoir des positions très strictes, voire autoritaires. Mais il est inutile de faire un test de laïcité de cette question des menus scolaires, qui peut être réglée par du simple bon sens. Pourquoi susciter des motifs de friction quand il est facile de tenir compte des demandes des uns et des autres ?
Sur quel autre sujet proposez-vous de faire un geste ?
La question des relations entre les hommes et les femmes est beaucoup plus délicate. Faut-il faire de la mixité une sorte d’impératif qui ignore toute exception ? Je n’en suis pas sûr, et je serais disposé à concéder des accommodements sur la question des horaires de piscine pour les enfants et adolescents dans le cadre scolaire. Si les familles musulmanes souhaitent que les garçons et les filles aient des horaires distincts, ça me paraît d’autant moins inconcevable que, quand j’étais jeune, les enfants et adolescents des deux sexes étaient scolarisés séparément. La règle est la mixité, mais il peut y avoir des accommodements raisonnables.
Et lorsque des femmes musulmanes refusent d’être examinées par un homme médecin à l’hôpital ?
Là, pour des raisons fonctionnelles et de principe, la mixité doit être imposée. Dans la dispensation des soins, le souci de l’être humain malade ou souffrant neutralise la différence des sexes. C’est un domaine de la vie humaine, peut-être le seul, où la pudeur est en quelque sorte suspendue le temps des soins.
On est donc loin de la charia que Pascal Bruckner vous accuse de préconiser !
C’est une diatribe qui n’a pas de rapport avec ce que je dis. Il faut faire des gestes de confiance et d’amitié, en faisant toutefois en sorte qu’ils ne soient pas interprétés comme le signe d’une complaisance illimitée. La différence entre l’acceptable et l’inadmissible ne passe pas entre la tête nue et le foulard, mais entre le foulard et le voile intégral. Autant il faut être intransigeant dans l’interdiction du voile intégral, autant on peut avec le foulard chercher des accommodements, en fonction du contexte. Et veiller à ce qu’un accommodement ne soit pas l’annonce d’une concession suivante.