Les Palestiniens ne se sont pas jetés d’eux-mêmes dans l’arène syrienne. Ils y ont été traînés de force. Voici comment et pourquoi les Palestiniens et leurs 14 camps de réfugiés sont devenus des cibles stratégiques dans la bataille pour la Syrie.
Je suis allée à Yarmouk pour la première fois, quelques jours après que 20 Palestiniens du camp aient été tués, le 2 août 2012, dans le premier bombardement significatif du camp.
Les habitants m’ont montré les dégâts causés par le premier mortier qui a atteint le toit d’un petit building près de Tadamoun, un faubourg de Damas où les rebelles et les forces de sécurité s’affrontent quotidiennement.
Alors que les voisins accouraient pour voir ce qui s’était passé, une seconde bombe est tombée dans la rue, tuant et blessant des dizaines de personnes.
Les grands titres des médias étrangers laissaient entendre que le gouvernement syrien bombardait Yarmouk, mais pour les Palestiniens du camp, ce n’était pas certain du tout. Certains disaient que les mortiers avaient été tirés par des rebelles à partir des quartiers voisins. Quoiqu’il en soit, on ne pouvait être sûr de rien, il aurait pu tout aussi bien s’agir de bombes égarées.
Yarmouk, qui abritait autrefois un million de Syriens environ et 160 000 réfugiés palestiniens, était un oasis de paix lors de ma visite cet été.
Le contraste avec Tadamoun, Yalda et Hajar al-Aswad qui sont occupés par les rebelles et que j’ai traversés à l’aller et au retour, était saisissant : ces nouvelles zones de conflit sont jonchées de bâtiments et de voitures brûlés, de débris de devantures de magasins, de tas de cailloux dans les rues et de barrages improvisés.
Ma seconde visite à Yarmouk
Un an et demi plus tard, en mars 2014, je suis revenue à Yarmouk. Le camp était méconnaissable et les photos que nous en voyons ne rendent pas compte de l’étendue des dégâts.
J’ai été saluée, à l’entrée du camp, par des Palestiniens armés appartenant au groupe des "forces volontaires" créé pour protéger Yarmouk et chasser les combattants rebelles qui s’infiltrent dans le camp. Le groupe est chapeauté par les Comités Populaires Palestiniens pour la Libération de Yarmouk.
Quand je leur ai demandé d’où ils venaient ils m’ont répondu sans hésiter, l’un après l’autre : "Safed, Luba, Haïfa, Tibérias, Jérusalem, Acca", bien qu’ils soient en réalité tous trop jeunes pour avoir connu ces villes. Ce sont les villes d’où leurs parents viennent. C’est là qu’ils ont l’intention de retourner, un jour.
Il n’y avait qu’un Syrien parmi eux. Il a grandi à Yarmouk et il se considère comme un Palestinien.
Ce que ces combattants me racontent, je ne l’ai jamais lu dans les médias dominants, anglais ou autres. Ce qui leur est arrivé est terrible : des milliers de combattants islamistes ont envahi et occupé Yarmouk le 17 décembre 2012, et les Palestiniens comme les Syriens ont dû fuir.
Ces combattants, me disent-ils, ont systématiquement détruit le camp, assassiné les gens, pillé les maisons, les hôpitaux - tout ce qui leur tombait sous la main. Pour eux, les rebelles n’auraient pas pu capturer le camp sans l’aide du Hamas, et ils sont convaincus que les supporters du Hamas sont toujours dans le camp et sont maintenant des membres du Front Al-Nusra, AknafBeit al-Maqdes, Ohdat al-Omariyya, Ahrar al-Yarmouk, Zahrat al Mada’en et autres groupes rebelles qui occupent le camp. Ils affirment que le Hamas a aidé financièrement des Syriens, qui avaient fui d’autres zones de conflit, à venir s’installer à Yarmouk.
"Ils ont loué leurs services", a dit l’un d’entre eux.
Tous les réfugiés avec qui j’ai échangé dans les trois camps que j’ai visités en Syrie, montrent le Hamas du doigt. Tous les officiels du Hamas ont quitté le pays au début du conflit, mais pas les simples Palestiniens affiliés au Hamas. Et pour les Palestiniens des camps, ceux qui s’allient avec les rebelles ne peuvent être que "des gens du Hamas".
La difficulté de savoir qui fait quoi a permis aux leaders politiques du Hamas de rejeter l’accusation d’avoir aidé les rebelles islamistes dans les camps.
J’ai compris ce qu’il en était quand un officiel du Hamas m’a confié, à l’automne 2011, qu’ils avaient "retiré quelques personnes" de ces endroits parce qu’elles manifestaient de plus en plus de sympathie envers l’opposition syrienne.
Mais revenons aux combattants palestiniens de Yarmouk.
Le dernier bastion de l’ALP
L’un d’entre eux me parle des membres de l’Armée de Libération de la Palestine (ALP) qui ont été assassinés avant l’occupation de Yarmouk.
Tous les réfugiés palestiniens en Syrie doivent rejoindre l’ALP à 18 ans pour faire un service militaire obligatoire de 18 mois. L’entraînement est assuré uniquement par l’ALP mais les armes et les installations sont fournies par l’armée syrienne. Autrefois. l’ALP avait aussi des bases en Égypte, Irak, Jordanie et Liban et leur mandat était de coopérer avec le gouvernement qui les accueillait - aujourd’hui la seule base qui reste à l’ALP dans tout le monde arabe, est la Syrie.
Je suis allée au quartier général improvisé de l’ALP pour en savoir davantage. L’État-major de l’ALP a été obligé de quitter temporairement Moadamiyah, une banlieue de Damas occupée par les rebelles dans la Ghouta occidentale. J’y ai rencontré le général Hassan Salem et le général Nabil Yacoub, deux officiers confirmés qui sont sous les ordres directs du commandant de l’ALP, le Major Général Tariq al-Khadra.
La mission de l’ALP est de "libérer la Palestine" et les généraux affirment "ne jouer aucun rôle dans la défense des camps [Palestiniens] pendant le conflit syrien." Et cela semble vrai.
Mais en 2012, l’ALP a été entraînée dans la crise syrienne contre sa volonté. Le 5 janvier, le Major Basil Amin Ali a été assassiné par un assaillant non identifié à Aarbin – à l’est de Jobar dans la banlieue de Damas – pendant qu’il réparait sa voiture sur le bord de la route.
Le Colonel Abdul Nasser Mawqari a été tué par balles dans le camp de Yarmouk le mois suivant, le 29 février.
Une semaine plus tard, le 6 mars, le Colonel RidaMohyelddin al-Khadra – un proche du commandant de l’ALP, le Général Khadra – a été assassiné à Qatna, 20km au sud de Damas, alors qu’il rentrait chez lui en voiture.
Le 5 juin, le Brigadier Général de l’ALP, Dr. Anwar Mesbah al-Saqaa, a été tué rue Aadawi à Damas par des explosifs placés sous son siège. Il venait de son domicile de Barzeh et conduisait sa fille à l’université. Elle et le chauffeur ont tous les deux été blessés.
Une semaine plus tard, le 26 juin, le Colonel Ahmad Saleh Hassan a été assassiné à Sahnaya qui se trouve aussi dans la banlieue de Damas.
Le Général Abdul RazzakSuheim, son fils, et un soldat qui leur servait de garde du corps ont été tués le 26 juillet dans la ville de Yalda occupée par les rebelles dans le voisinage de Yarmouk – une semaine avant que les premiers mortiers ne tuent 20 habitants du camp.
Le 11 juillet, les combattants de l’opposition ont attaqué l’ALP et ont kidnappé et tué 14 soldats palestiniens qui rentraient pour le week-end au camp de Nairab en provenance du camp d’entraînement de Mesiaf, 48km au sud-ouest de Hama. Selon les généraux de l’ALP que j’ai interviewés, les soldats ont été divisés en deux groupes – la moitié a été fusillée et l’autre moitié a été torturée avant d’être décapitée.
Beaucoup des Palestiniens que j’ai interviewés m’ont parlé du chauffeur de la camionnette de l’ALP – qui n’était pas soldat. Ahmad Ezz était un jeune homme du camp de Nairab à Alep. Les rebelles l’ont épargné – momentanément – puis ils l’ont attaché au volant d’un véhicule plein d’explosifs et lui ont ordonné de rouler vers un checkpoint de l’armée syrienne.
Selon de nombreux médias arabes, à la dernière minute, Ahmad a brutalement dévié de sa route. Les rebelles ont fait sauter la charge et Ahmad est mort mais les soldats syriens ont été épargnés.
Les habitants du camp de Nairab sont venus en masse aux funérailles d’Ahmad et cela en dit plus long sur ce que les Palestiniens pensent du conflit syrien que la plupart des incidents "controversés". Comme le dit Mohammad, un jeune Palestinien dont la famille vit à l’extérieur de Yarmouk, dans une banlieue voisine – et qui fut le premier à me parler d’Ahmad – "Pour nous, il s’est comporté comme un héros en sauvant des soldats [Syriens]."
Ce sentiment n’est pas surprenant. Après tout, la majorité des réfugiés palestiniens ont suivi l’entraînement dispensé par l’ALP sous les auspices des forces armées syriennes.
Les médias internationaux ont tendance à considérer que les événements de Yarmouk sont représentatifs de ce qui arrive aux Palestiniens en Syrie, mais c’est loin d’être le cas. Il y a environ 14 camps de réfugiés dans le pays et chacun d’entre eux a une expérience différente du conflit syrien.
"Camp Jolie"
Ensuite je me rends au camp de Jeramana. C’est un petit camp aux abords de Damas qui se fond dans le vaste quartier de Jeramana. Le camp comme le quartier dans son ensemble fourmillent de réfugiés venus d’autres camps ou de régions de Syrie touchées par le conflit.
Jeramana est paisible malgré les mortiers, les roquettes et les rebelles des villes voisines de BeitSaham, Jobar et EinTerma qui brisent le silence de temps en temps. Mais, comme les militants essaient régulièrement de rentrer de force dans le camp, les habitants de Jeramana ont une "force volontaire" comme à Yarmouk – cette fois dirigée par des hommes appartenant à 3 factions palestiniennes : le Commandement Général du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP-CG – dirigé par Ahmad Jibril), Fatah Intifada et as-Sa’iqa. Un de ceux qui m’attendaient à l’entrée du camp avait eu le bras cassé dans une récente escarmouche avec les rebelles.
C’est le camp qui est devenu célèbre en octobre 2009 quand Angelina Jolie est venue y rencontrer des réfugiés palestiniens qui avaient fui la guerre d’Irak. A l’entrée de Jeramana, il y a un monument dédié aux martyrs du camp tués par les mortiers tirés des quartiers voisins. Des drapeaux syriens flottent à côté des drapeaux palestiniens.
En avançant dans le camp, je tombe sur des dizaines d’enfants portant des tenues nationales et des drapeaux palestiniens et syriens – l’un d’eux porte un portrait du président syrien Bashar Assad – qui se préparent à participer à la cérémonie de Yom al-Ard (Jour de la Terre) qui commémore la journée de 1976 où Israël a confisqué des milliers de dunams de terre palestinienne. Ils me gratifient d’une répétition impromptue avant d’aller sur scène.
Je les suis et, en tournant le coin, qu’est-ce que je vois ? Sous une grande tente de toutes les couleurs qui abrite la foule venue aux célébrations de Yom al-Ard, il y a un podium flanqué, de part et d’autre, de posters géants de Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, de l’Ayatollah Ali Khamenei, le leader suprême de la République Islamique, de l’Ayatollah Ruhollah Khomeini, son prédécesseur, et d’Assad.
Les festivités qui d’ordinaire ont lieu au camp de Yarmouk, ont été organisées par l’association pour l’Amitié Palestino-Iranienne qui existe depuis au moins 10 ans. L’événement n’est pas politique, cependant. Son but est de faire honneur aux enseignants volontaires des camps en leur offrant des cadeaux et en leur décernant des prix.
Les drapeaux syriens qu’on voyait partout aiguisaient ma curiosité. Un habitant du camp m’a dit : "On en voyait rarement avant la crise." Selon lui, deux raisons expliquent ces drapeaux : "Il s’agit de manifester notre solidarité – nous pensons maintenant que si la Syrie tombe, c’en est fini de la Palestine – et peut-être aussi notre loyauté parce que certains en doutent."
En 2012, toutes les factions politiques palestiniennes – à l’exception du Hamas – ont signé deux lettres/déclarations pour proclamer leur neutralité dans le conflit syrien. On ne s’attend donc pas à les voir soutenir explicitement le gouvernement syrien.
Le soutien syrien ne se relâche pas
L’État syrien continue de soutenir les réfugiés palestiniens de toutes sortes de manières : dans le camp de Jeramana, les Syriens ont installé un magasin qui leur fournit des produits de première nécessité– lentilles, confiture, haricots, sauce tomate, yoghourt, etc. – avec des rabais importants pour les habitants du camps et les personnes déplacées. Une vieille femme est assise devant un comptoir de fortune dans un autre endroit du camp, et elle distribue, en échange de quelques sous, du pain subventionné par l’État. (A Yarmouk, j’ai aussi assisté à une distribution de pain et de sandwiches à la confiture fournis par l’État, à des réfugiés qui attendaient à un point de distribution d’aide humanitaire de l’UNRWA.)
Sur la grande place du marché il y a des fruits et des légumes en abondance. La population du camp s’est multipliée par quatre ou cinq depuis le début de la guerre, mais les habitants de Jeramana s’adaptent aux nouvelles réalités. Au moins ici, ils ont encore une maison.
À la différence de Yarmouk, il n’y a pas de présence visible de l’UNRWA – l’agence de l’ONU dédiée aux réfugiés palestiniens – d’ailleurs j’apprends qu’ils n’ont pas de bureau ici. Les Palestiniens d’autres camps – et les Syriens – affluent à Jeramana à cause de la guerre, et donc ce sont des "comités" locaux qui leurs donnent de la nourriture presque chaque jour. La camionnette d’un comité arrive avec le repas de midi – elle apporte aux nouveaux arrivants du riz et avec de la viande fait maison dans d’énormes chaudrons.
Il y a au moins 14 camps de réfugiés palestiniens, officiels et non officiels. Chaque fois que je parle avec des humanitaires ou de simples citoyens palestiniens, je leur demande où en sont les camps. La variété des réponses montre que la situation sur le terrain ne cesse de changer, surtout dans les camps occupés ou entourés par les rebelles où des confrontations ont lieu entre les forces des militants et des Palestiniens – ou avec l’armée syrienne à l’extérieur des camps.
Rien que dans la périphérie de Damas, il y a les camps de Husayniyya (les rebelles l’ont occupé, ont chassé la population et l’ont détruit), Yarmouk (occupé par les rebelles avec encore 18 000 civils dedans), Seyyeda Zeinab (pas de rebelles), Jeramana (pas de rebelles), Khan Danoun (pas de rebelles), Khan Shieh (partiellement occupé par les rebelles, avec encore quelques civils) et Sbeineh (détruit à 70 % selon les rapports).
À Alep, deux camps ont beaucoup souffert – Handarat, que les habitants ont fui il y a longtemps, est tombé, comme la plus grande partie du camp de Nairab. Dans les deux camps, des volontaires palestiniens armés se battent contre les rebelles.
Le camp de Daraa a été complètement détruit et il n’y a plus de civils depuis longtemps. Le camp de al-Ramel à Latakieh a résisté à deux violents assauts en 2011 et pour le moment ça va. Il y a aussi le camp de Al Wafiddine près de Douma, dont personne ne parle et dont personne ne semble rien savoir. Les camps de réfugiés de Homs et de Hama où il n’y a pas de rebelles, sont prospères – ce qui est étonnant car ces provinces étaient le berceaux de l’opposition antigouvernementale.
Puis je me rends au camp de Homs pour me rendre compte par moi-même.
C’est le seul camps où il y ait un bureau de Hamas qui fonctionne à peu près. Le groupe résistant et tout son leadership a quitté la Syrie en 2011, aussi les représentants du Hamas dans le camp n’ont aucune responsabilité officielle réelle.
J’interroge un officiel du FPLP-CG progouvernemental sur la présence du Hamas dans le camp, et il me répond : "Le groupe du Hamas qui est ici est différent. Nous avons un accord de coopération pour maintenir la paix dans le camp." Je lui demande s’il peut organiser une réunion avec les représentants du Hamas et moi. Il donne quelques coups de fil devant moi, mais ils refusent tous "parce qu’ils ne veulent pas avoir de problème avec leurs chefs."
Homs douce Homs
Il y a une grande différence entre le camp de Homs et ceux de Yarmouk et de Jeramana : ici, il n’y a pas d’hommes armés dans les rues. L’artère principale est pleine de magasins et on doit se frayer un chemin dans la foule dense des Palestiniens qui vaquent à leurs occupations. Il ne s’y passe pas grand chose – les Palestiniens de Homs ont la "neutralité" chevillée au corps.
Ma principale visite à Homs a été pour l’hôpital Bissan qui doit son nom à une ville de Palestine et qui est administré par le Croissant Rouge Palestinien (PRCS). Le directeur de Bissan est Mahmoud Darwish a seulement quatre tableaux accrochés aux murs de son modeste bureau – deux portraits du défunt président de l’OLP, Yasser Arafat, un de Bashar Assad et une carte de la Mosquée Al-Aqsa à Jérusalem.
Bissan s’est engagé à rester neutre au début du conflit syrien et, de ce fait, soigne aussi bien les combattants pro-gouvernementaux que les anti-gouvernementaux.
"Ce qu’ils font ne nous regardent pas." L’hôpital se trouve dans un quartier syrien où il y a eu des affrontements – Bissan traite aussi les soldats de l’armée syrienne.
Quand j’ai interviewé Darwish, les visiteurs qui étaient là sont restés avec nous. La discussion a pris un tour politique quand chacun a voulu exprimer son opinion. Selon l’un d’eux, la raison pour laquelle le camp a réussi à rester en dehors du conflit est que "entre Baba Amr (qui est environ à 1,5km) et le camp, il y avait l’armée syrienne qui a empêché les rebelles d’envahir le camp."
Un autre m’a dit que "le dialogue a joué un grand rôle dans la sauvegarde du camp. il y a eu beaucoup de dialogue ici. Des leaders palestiniens se sont investis dans les efforts de réconciliation entre les rebelles et le gouvernement syrien."
Le Hamas revient dans la discussion. Les hommes rejettent unanimement les discours de prêcheurs islamistes sectaires comme Yusuf Qaradawi et d’autres "qui n’ont aucun regret pour les morts syriennes." Mais l’un d’eux ajoute que "la section du Hamas de ce camp a refusé de s’impliquer dans la crise syrienne. Les officiels du Hamas de ce camp habitent ici avec leur familles et ils ont grandi ici. A Yarmouk, certains d’entre viennent de loin, parfois même de Gaza."
Darwish intervient pour dire que le camp a intérêt à maintenir la paix.
"Nous (Palestiniens) sommes traités comme des Syriens en Syrie ; nous avons les mêmes droits que les autres citoyens... nous faisons nos études avec eux...Très peu de Palestiniens ont été entraînés dans le conflit – seulement quelques exceptions."
J’ai demandé s’il arrivait à l’armée syrienne d’entrer dans le camp de Homs, comme les médias internationaux l’en ont accusée. Je pose cette question dans tous les camps que je visite. Et la réponse a été un "non" catégorique.
Les ONG soutiennent la "non intervention"
De retour à Damas, je suis allée voir les dirigeants du Croissant Rouge Syrien (SARC). Cette association est la branche syrienne du Comité de la Croix Rouge Internationale (ICRC). Elle est neutre et entend le rester afin de pouvoir officier dans les zones contrôlées par les rebelles comme par le gouvernement.
À Yarmouk et dans d’autres camps, le Croissant Rouge Palestinien (PRCS) devait prendre la direction des opérations de secours, mais les rebelles ont pillé leurs stocks et détruit leur matériel et la SARC a dû fournir des ambulances, des médicaments, et des travailleurs sociaux pour répondre aux besoins. Les travailleurs sociaux de la SARC, qui se trouvaient à Yarmouk lors de la visite, ont aidé à l’évacuation de plusieurs habitants qui devaient recevoir un traitement spécifique. Certains malades ou blessés sont transférés au PRCS, mais la plupart sont soignés dans des hôpitaux syriens.
J’ai demandé au Dr. Abdul Rahman Attar, le président de la SARC, si l’armée syrienne était jamais entrée dans des camps palestiniens où il y avait encore des civils.
"À mon avis, non" m’a-t-il répondu.
"Ce sont les Palestiniens qui contrôlent Yarmouk, pas les Syriens" a ajouté Attar. "Les Syriens nous aident, c’est tout."
Chaque fois que je pose cette question, j’ai la même réponse. L’armée syrienne ne rentre pas dans les camps sauf quand tous les civils ont fui – comme c’est le cas de Daraa et de Handarat. Alors là, l’armée y entre pour combattre les rebelles.
Dr. Shaker Shihabi est le directeur du PRCS en Syrie et il est membre du conseil d’administration de l’organisme qui chapeaute le PRCS depuis Ramallah, en Palestine. Le PRCS gère trois grands hôpitaux en Syrie : Bissan à Homs, l’hôpital Yaffa à el-Mezzeh à Damas, et l’hôpital Palestine dans le camp de Yarmouk. Il gérait aussi de plus petites cliniques à Nairab, Sbeineh, Khan Danoun et Douma mais elles ont été détruites par la guerre.
Le PRCS est une des rares ONG qui opèrent encore dans la partie du camp de Yarmouk occupée par les rebelles. Ils dirigent la seule installation médicale non-rebelle qui fonctionne dans le camp, l’hôpital Palestine.
"Il ne reste plus que deux docteurs et quelques volontaires, ici. Nous avons perdu deux docteurs et cinq membres du personnel dans la guerre – ils ont été tués. Le dernier, Diab Muhanna, un assistant pharmacien, a été tué par balle il y a un mois, devant l’hôpital" a dit Shihabi.
L’accès aux soins à Yarmouk s’est encore détérioré quand "environ huit voitures et six ambulances ont été volées (par les rebelles qui occupaient le camp), ils ont volé tout notre stock de médicaments et de fournitures médicales."
Au début de l’année, le PRCS a aidé à l’évacuation de "plus de 3000" civils de Yarmouk. On ne peut pas quitter le camp sans l’accord du gouvernement syrien. "Ils ne veulent pas que des rebelles en profitent pour s’échapper" explique Shihabi.
Les problèmes d’alimentation
"La faim" me dit-il, est un gros problème dans le camp et, tout en supervisant la distribution aux civils des colis de nourriture de l’UNRWA et d’autres ONG, Shihabi m’explique que la situation s’est quand même un peu améliorée depuis février-mars 2014 avec "l’ouverture par les deux camps opposés des points de passage vers Yalda et autres quartiers. Avant cela, le [kilo de] riz valait 15 000 lires et maintenant il vaut 500 lires."
Mon voyage à Yarmouk coïncide avec l’arrivée d’une camionnette de nourriture de l’UNRWA dans le camp. L’année dernière, l’agence de l’ONU a bien alerté inlassablement la communauté internationale sur la famine qui régnait dans les camps palestiniens, mais sans donner de détails.
Par exemple, ce n’est pas tant le manque de nourriture qui causait la famine que son prix prohibitif et la difficulté de s’en procurer. Il y a des populations fragiles dans le camps qui ne peuvent pas se battre pour leur survie, comme les enfants, les personnes âgées et les familles monoparentales à l’exemple de cette femme qui m’a expliqué que son mari avait disparu au début de la guerre et qu’elle devait s’occuper seule de ses deux petites filles.
À Yarmouk, il y a toujours eu de la nourriture qui entrait en contrebande en provenance des quartiers voisins contrôlés par les rebelles, mais les vendeurs ont profité de la guerre pour augmenter terriblement le prix des denrées de première nécessité.
Et il y a d’autres problèmes. A Yarmouk, un travailleur social du PRCS m’a dit : "Au début, les rebelles prenaient aux gens la plus grande partie de l’aide humanitaire qu’on leur avait distribuée. Mais les civils se sont constitués en comités de défense et la prédation a diminué."
Pendant que j’interviewais deux personnes qui venaient de recevoir de la nourriture, deux femmes dont une avec un enfant, se plaignaient au représentant de l’UNRWA que les rebelles leur avaient volé leurs colis de denrées la semaine précédente et lui demandaient de leur en donner d’autres en remplacement. Il a d’abord refusé, alléguant qu’il devait traiter tout le monde de la même manière, mais finalement, peut-être à cause de la présence des médias, il a accepté.
L’UNRWA distribue approximativement 400 colis de nourriture chaque jour quand ils sont à Yarmouk. Mais, la plupart du temps, des affrontements armés les empêchent d’aller à tous les points de distribution du camp. Le jour de ma visite, sa camionnette de nourriture ne contenait que 100 colis, et pendant tout le temps que j’ai passé dans le camp, je n’ai jamais vu plus de quelques dizaine de civils faire la queue pour ces colis.
Pourtant le porte-parole de l’UNRWA a proclamé sur tous les médias que 18 000 civils bénéficiaient de leur aide alimentaire à Yarmouk. C’est tout simplement faux. L’UNRWA n’a pas eu les moyens financiers ni logistiques de répondre aux besoins des Palestiniens pendant ce conflit. Ils contribuent certes à l’éducation et distribuent de la nourriture et des médicaments, mais partout à Yarmouk, Jeramana ou Homs, il y a aussi, sur le terrain, des comité palestiniens ad hoc qui fournissent l’aide nécessaire.
Le représentant de l’UNRWA en charge de la distribution de nourriture dans le camps de Yarmouk me dit une chose intéressante : "Le gouvernement syrien fait de son mieux pour faciliter nos opérations. Il ne limite pas le nombre de colis [de nourriture] que nous amenons au camp."
Selon lui c’est surtout grâce à Kinda Chammat, la ministre syrienne des Affaires Sociales.
Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
Pourquoi les choses ont-elles si mal tourné pour les Palestiniens de Syrie ? C’est pourtant le seul pays arabe où les Palestiniens ont les mêmes droits que leurs hôtes, à l’exception de la citoyenneté et du droit de vote.
Pendant le conflit syrien, les réfugiés palestiniens des camps sont devenus les cibles des rebelles dans tous les endroits où ils avaient accès. Mais pourquoi ? Quel intérêt stratégique y avait-il à entrer dans les camps ?
Ces questions en suscitent une autre : les Palestiniens ont-ils été entraînés dans la guerre pour des raisons politiques – pour les forcer à rompre leur relation privilégiée avec le gouvernement syrien et arracher la cause palestinienne à la Syrie ? Ou y ont-ils été entraînés parce que de nombreux camps étaient situés dans des zones stratégiques comme Yarmouk qui est sur le chemin de Damas, ou Handarat qui permet d’approvisionner Alep ? "Un peu des deux !" ont répondu toutes les factions politiques que j’ai interrogées.
Mais d’abord, il faut corriger quelques erreurs d’informations. Contrairement à ce qu’ont raconté les médias dominants, les réfugiés palestiniens n’ont pas participé à des manifestations significatives contre le gouvernement syrien ni en faveur de l’opposition syrienne. Pendant toute la crise, les Palestiniens se sont efforcé de rester neutres et en dehors du conflit. Les plus grandes manifestations contre le gouvernement n’ont jamais compté plus de quelques centaines de personnes et ont souvent été le fait de Syriens déplacés qui étaient venus s’installer dans les camps.
En fait, la manifestation palestinienne la plus importante du conflit a eu lieu à Yarmouk en juin 2011, après que des Palestiniens aient été tués et blessés par les forces de sécurité israéliennes pendant la Journée de la Naksa à la frontière avec le plateau du Golan.
Les événements qui ont eu lieu à Yarmouk ce jour-là sont controversés. Il y a eu des affrontements dans le cortège de funérailles qui rassemblait une foule immense que ces meurtres avait mise fort en colère. Les médias étrangers ont accusé la Syrie d’avoir poussé les Palestiniens à participer à la manifestation de la Naksa en négligeant une chose essentielle : le gouvernement syrien, comme son homologue libanais, avait annulé la manifestation de la Naksa – probablement à cause des morts et des blessés qu’Israël avait faits au cours du mois précédent pendant les manifestations du Jour de la Nakba près de la frontière.
Les Palestiniens qui participaient à la procession funéraire à Yarmouk en voulaient surtout aux leaders des diverses factions palestiniennes qui avaient encouragé les incidents de la Naksa au lieu de les empêcher. Ensuite les interprétations divergent. Certains accusent le Commandement Général du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP-CG) pro-syrien d’avoir tiré sur le foule, mais le fait est que trois membres du FPLP-CG ont été tués ce jour-là et que leurs bureaux ont été incendiés.
Maintenant un scoop. Un officiel du Hamas que j’interrogeais sur le contexte m’a donné une version inattendue des événements.
Selon lui "Des combattants de l’Armée Libre Syrienne (ALS) se sont rendus dans les bureaux de Ahmad Jibril – dans le complexe de Khalesa – pendant les funérailles et ont tiré sur ceux qui étaient là".
Il n’absout pas pour autant le FPLP-CG de son rôle dans la crise syrienne. Il reproche au groupe de Jibril de n’avoir pas respecté le pacte de neutralité que les Palestiniens avaient signé au début. Quoiqu’il en soit, le FPLP-CG a assuré la garde des abords des différents camps palestiniens pour, selon eux, les protéger de l’infiltration des rebelles. Leurs détracteurs disent que leurs actions ont au contraire provoqué des affrontements et attiré les rebelles dans les camps.
Mais au bout du compte, seul le Hamas a refusé de signer la déclaration palestinienne de neutralité – le FPLP-CG l’a signée comme toutes les autres factions.
Consensus
Il n’est pas douteux que la décision du FPLP-CG de défendre les camps palestiniens a contrarié les autres groupes, à l’époque. Mais aujourd’hui les politiciens palestiniens semblent s’être complètement alignés sur la position de Jibril sur le conflit syrien.
Toutes les factions – ainsi que les réfugiés palestiniens avec qui j’ai parlé – sont d’accord sur le fait que les rebelles ont trahi leur promesse de laisser les Palestiniens en dehors du conflit.
Selon Maher Taher, un membre du bureau politique du FPLP de George Habash (un groupe différent du FPLP-CG), "Tous les groupes palestiniens ont essayé de maintenir la paix à Yarmouk. Nous avons conclu des accords, mais ils [les rebelles] ne les respectent pas. Nous avions convenu que les groupes armés quittent le camp pour que les Palestiniens puissent y revenir. Le gouvernement syrien s’est montré coopératif et nous a même donné les moyens de nourrir les Palestiniens du camp. Mais au dernier moment, les rebelles ont rompu l’accord."
Même l’ambassadeur de Palestine en Syrie, Anwar Abdul-Hadi, qui est sous les ordres de l’Autorité Palestinienne, tient le même discours que le FPLP-CG, en ce moment.
"Nous leur avons demandé de laisser les Palestiniens tranquilles mais les rebelles ont dit : "On est en Syrie !" et ils ont refusé. L’armée syrienne nous a promis de ne pas entrer dans les camps et le gouvernement syrien a tenu parole. Nous ne cessons de demander aux rebelles de partir, mais nous n’avons pas obtenu satisfaction à cause du [Front] Al-Nusra, de Jabhat al-Islamiyya et du Hamas."
Hamas, j’ai demandé ? "Oui" a-t-il dit. "Hamas, Hamas, Hamas, Hamas."
Il dit peut-être ça parce que ça l’arrange. Cela fait des années que la faction dominante du Fatah qui contrôle l’Autorité Palestinienne essaie de torpiller le Hamas.
"Les rebelles" continue Abdul-Hadi, "ne cessent d’empêcher la distribution d’aide humanitaire pour mettre le gouvernement syrien sous pression en affamant les gens." Au cours des premiers mois de cette année, "tous les groupes [palestiniens] réunis ont envoyé 12 000 colis de nourriture et évacué 4 000 Palestiniens. Et tous les quelques jours, les rebelles attaquaient pour interrompre les opérations."
Abdul-Hadi m’explique la stratégie des rebelles : "Les rebelles ont tué des officiers de l’ALP pour intimider les Palestiniens et les forcer à aider la révolution syrienne. Et ils ont accusé l’armée syrienne de ces meurtres. La cause palestinienne est la cible de cette crise. Ils pensent qu’en occupant les camps palestiniens en Syrie et en divisant les Palestiniens, ils oublieront la Palestine."
"Avant la guerre" admet-il, "le Fatah était opposé à l’état syrien. Mais depuis, la relation de l’Autorité Palestinienne avec la Syrie et l’Iran s’est améliorée."
Anwar Raja, le responsable des relations publiques du FPLP-CG a beaucoup à dire sur la réaction des autres factions palestiniennes au début de la crise syrienne.
"Nous avons alerté les Palestiniens en 2011 et en 2012 sur les rebelles qui venaient occuper Yarmouk, et nous les avons alertés de plus belle quand les rebelles ont pris le contrôle des secteurs de Tadamoun, Hajar al-Aswad, Yalda. Nous leur avons conseillé de constituer des groupes de défense armés mais ils ne nous ont pas écoutés" regrette Raja.
Il explique pourquoi les autres factions ont changé d’avis : "On a tous compris maintenant – Palestiniens comme Syriens – de quoi il retournait en fait. On s’est rendu compte qu’il s’agissait d’un plan étranger pour détruire l’état et diviser la société. Du coup, nos cerveaux se sont remis à fonctionner. Même les gens simples et sans éducation ont changé d’avis. Au début, ils ne comprenaient pas ce que se passait – il a fallu 18 mois pour que tout le monde comprenne ce qu’il en était. Les gens ont bien vu que ce conflit ne leur apportait rien – au contraire ils ont tout perdu.”
De plus en plus déterminés... à ne pas s’impliquer
Quand les pays arabes se sont soulevés contre leurs gouvernements autoritaires en 2011, les réfugiés palestiniens – comme beaucoup de Syriens qui soutenaient les mouvements de protestation pour arracher davantage de liberté à leur gouvernement – ont cru en des jours meilleurs.
Il ne fait pas de doutes que certains se reconnaissaient dans les aspirations de l’opposition syrienne. Elles reflétaient l’ambition palestinienne de retrouver leur liberté et un meilleur système de gouvernement.
Mais entre mes deux séjours dans les camps – en 2012 et en 2014 – la vision des Palestiniens a changé. La population, dont une grande partie a été déplacée maintes fois, s’est lavée les mains de la "rébellion" syrienne. Elle s’est sentie exploitée et malmenée par les uns et les autres mais ce sont les rebelles qui leur en ont fait le plus voir.
La neutralité est leur mantra désormais. Et comme tous les civils syriens, les Palestiniens veulent vivre en paix.