Le Mondial est censé être un évènement rassembleur. Mais l’émeute meurtrière de mardi révèle une fois de plus les problèmes sociaux et les difficultés économiques du Brésil.
« Les affrontements ont cessé. Des jeunes parlent de "guerre". Une odeur nauséabonde s’échappe de bennes à ordures enflammées. On ne peut avancer plus loin dans les ruelles obscures. L’électricité est coupée sur toute la colline. Une détonation lointaine. Puis le silence. », voilà le portrait de Copacabana dressé par un journaliste de l’AFP après les émeutes.
Un danseur populaire pris pour un gangster
Mardi après-midi, le danseur Douglas Rafael da Silva Pereira venait voir sa petite fille de quatre ans dans une favela de Copacabana, à Rio de Janeiro. À 25 ans, il était danseur dans une célèbre émission de la chaîne nationale TV Globo. Il faisait la fierté de son quartier.
Les circonstances de son décès restent floues. Il se serait retrouvé dans un échange de tirs entre l’Unité de police pacificatrice (UPP) et des trafiquants de drogue. Alors qu’il essayait de s’enfuir, des policiers l’ont pris pour un membre du gang. Selon les proches de la victime, le danseur aurait été battu à mort par les policiers.
Les habitants face aux forces spéciales
La nouvelle s’est vite répandue et les habitants du quartier sont descendus dans les rues pour s’en prendre à l’UPP, l’unité de police déployée depuis 2009 pour pacifier Rio de Janeiro. Les habitants, armés de pierres et de bouteilles, ont alors fait face aux forces spéciales, armées de mitrailleuses et de pistolets automatiques.
Les échanges de tirs se sont soldés par la mort de Mateus, 27 ans, déficient mental tué d’une balle en pleine tête. « Ma plus grande révolte, c’est que j’ai entendu de la bouche d’un policier qu’ils allaient tuer un jeune pour faire un exemple. Et ils l’ont fait ! » enrage une jeune manifestante. « L’un d’eux m’a traitée de pute et de salope, en disant que les défenseurs des droits de l’Homme défendent les bandits. N’ont-ils pas de mère ? Les favelas doivent s’unir et descendre dans la rue pour dire que nous voulons la paix, mais pas de cette police assassine. Je dis aux touristes : "ne venez pas pour la Coupe du monde !" », poursuit hors d’elle la jeune femme.
Le calme est finalement revenu dans la soirée de mardi.
« La population est mécontente »
Dans une interview accordée à swissinfo.ch, le professeur brésilien Carlos Braga explique en partie les manifestations par l’insatisfaction des habitants. « À partir du moment où les gens payent des impôts, ils deviennent aussi beaucoup plus attentifs aux priorités et aux dépenses du gouvernement. Et ils exigent davantage », a-t-il expliqué. « Il est facile de comprendre, même au pays du football, qu’une partie de la population est mécontente que tant d’argent soit dépensé pour des stades », a ajouté le professeur en économie internationale.
Selon Carlos Braga, le pays manque cruellement d’infrastructures accessibles à tous les citoyens. Et la Coupe du monde n’y changera pas grand-chose. « La Coupe du monde est une fête, un événement sportif qui montrera la sophistication de certains domaines, comme celui du marketing. D’un autre côté, penser que la Coupe du monde va faire une énorme différence en matière d’infrastructures est trompeur », a-t-il précisé. « D’une manière générale, l’expérience montre que les coûts sont plus élevés que les bénéfices économiques », a ajouté le professeur.
Les tensions éclatent depuis des mois
L’émeute meurtrière survenue hier est loin d’être un cas isolé. Le manque d’infrastructures, les inégalités sociales, les dépenses colossales pour organiser le Mondial… Tous ces problèmes sont mis en évidence par les émeutes et les manifestations qui éclatent depuis des mois.
Il y a une semaine, la police de Bahia s’était mise en grève. L’absence de policiers dans les rues de la ville a engendré 39 homicides et de nombreux pillages. La présidente Dilma Rousseff a été contrainte d’envoyer l’armée et des policiers d’élite pour sécuriser Salvador de Bahia. La ville va accueillir six matchs de la Coupe du monde.
Il y a un an, un mouvement de protestation avait éclaté au Brésil. Protestants contre la crise, de nombreux manifestants s’en prenaient à l’organisation de la Coupe du monde. « Nous avons déjà des stades, il ne reste plus qu’à construire un pays autour », pouvait-on lire sur les panneaux des manifestants.
Hésitants entre ces critiques et l’amour du football, 67 % de la population soutenait quand même l’organisation du Mondial, 29 % des citoyens étaient contre. « Nous sommes contre le Mondial parce qu’il masque les problèmes du pays », avait déclaré Leonardo de Melo, un musicien de 23 ans.
Même Pelé, la légende du football s’est dit inquiet concernant la gestion des aéroports brésiliens. « Tout le monde veut venir au Brésil pour voir cette Coupe du Monde. Mais hier je suis revenu ici et à l’aéroport c’était le chaos. La façon dont sont gérés les aéroports et comment nous allons recevoir les touristes m’inquiètent vraiment », a-t-il déclaré.
Élections présidentielles en octobre
Les citoyens brésiliens pourront exprimer leur avis en octobre prochain dans l’isoloir. Ils devront alors choisir entre accorder un second mandat à Dilma Rousseff ou placer l’un de ses concurrents à la tête de l’État. Nul doute que le bilan du Mondial, qui se déroulera du 12 juin au 13 juillet, sera décisif pour le gouvernement en place.
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