De l’Armée Nationale Populaire algérienne, au tout début de l’ère Boumédienne, salué par les youyous frénétiques, du Bataillon San Marco à Venise à celui de l’Armée Populaire Chinoise fêtant, l’an dernier, son soixantième anniversaire en passant par les habituels ’’Trooping the Colour’’ londoniens, 14 juillets parisiens et splendides "Retretas del 2 de Mayo" madrilènes, et j’en passe encore, les défilés militaires occupent une place importante parmi mes souvenirs les plus émouvants, spectacles de la discipline poussée jusqu’à l’impeccabilité.
Pourtant, en ce matin du 19 avril 2010 à Caracas, me hâtant vers l’Arc de Triomphe ouvrant le Paseo de los Proceres, j’ai le sentiment que la journée sera vraiment très spéciale. Un déluge s’est abattu sur la capitale durant la nuit percée de feux d’artifice et les pelouses parallèles à l’immense avenue, labourées par les roues des véhicules lourds, sont transformées en un immense bourbier.
Allègrement, je me dis qu’il en était ainsi à Paris aux matins des 14 juillet 1790 et 8 juin 1794, les Parisiennes ayant leurs robes blanches crottées jusqu’aux mollets, quand soudain l’Etre Suprême avait daigné écarter les ténèbres afin que rien ne vint souiller l’azur céleste… Et c’est ce qui se passe ici : il fait déjà une chaleur intense et les militants en chemise rouge distribuent à l’envi, socialistement, gratuitement, des bouteilles d’eau fraîche. A onze heures, les deux côtés du Paseo ont été comblés par le Peuple, les tribunes par ses représentants et leurs hôtes étrangers. En bus, des délégations du Parti et de ses différentes missions sont venues de tout le pays, en casquettes et chemises rouges décorées du portrait du Commandant, mais aussi du Che, de Fidel Castro, de Simon Bolivar… de slogans révolutionnaires ou du simple nom de leur organisme.
Déjà une caravane de bus blancs débarque les officiels au pied de la tribune présidentielle, laissant présager la proche arrivée de celui que tous attendent ; arrivée qui se produit avec une précision militaire, précédée d’un escadron de motards. Il est là, dans son uniforme de commandant de parachutistes, tendant, du véhicule, le bras vers le Peuple qui lui répond en un immense cri d’amour.
Et je comprends soudain que cette fête sera celle de l’Amour ! Certes, au cours des célébrations que j’ai évoquées, un élément sentimental était toujours présent et je me souviens, debout à Saint James Park au passage de la Reine entourée du galop de ses Life Guards, d’un brave homme au regard quasi extatique s’écriant ’’The Queen ! Look at the Queen’’. Si je lui avais demandé ’’Why do you love the Queen so much ?’’ il n’aurait sans doute su que répondre ’’Well… well… because she is the Queen !’’.
Quant au passage du président de la République Française sur les Champs Elysées, il ne donne lieu qu’à un tumulte où les applaudissements sont souvent recouverts par les sifflets. On se souvient que, paradoxalement, le fameux Bicentenaire de la Révolution, le 14 juillet 1989, fut l’inauguration d’un dispositif destiné à écarter le Peuple des manifestations officielles et patriotiques, désormais fouillé individuellement, filtré dès son arrivée sur les Champs Elysées où il est parqué, cloisonné entre des barrières, filmé du haut des toits où il peut distinguer une armée de tireurs d’élite et de surveillants. Sans compter, on le devine, tout ce qu’il doit y avoir de mouchards et d’indics à l’intérieur même des barrières.
A la différence des chefs d’Etat de l’Europe occidentale, tous champions en démocratie, le commandant Chavez est un ignoble dictateur militaire, gouvernant par la terreur policière, vivant dans l’angoisse d’un tyrannicide. C’est du moins là ce que prétend la propagande des dits "champions en démocratie". Mais ici, sur le Paseo de los Proceres, tout le monde circule librement derrière des barrières qui n’ont d’autre but que de maintenir l’ordre contre les débordements d’enthousiasme. Aucune surveillance, aucune camera, aucun tireur d’élite mais, tous les dix ou quinze mètres, un soldat de la police militaire, son Kalachnikov sans chargeur, même vide pour donner le change !
Le Peuple qui se presse aux barrières pour acclamer le Commandant a de multiples et fortes raisons de l’aimer. Depuis une dizaine d’années, le Venezuela est le théâtre d’une véritable opération de réhabilitation populaire passant par l’alphabétisation par les missions Robinson à la santé des masses par les soins dispensés gratuitement par les missions Barrio Adentro.
Justement, avant-hier, le Commandant célébrait le 7ème anniversaire de ses dernières, en présence de l’ambassadeur cubain, présence justifiée par celle des milliers de médecins envoyés par Fidel Castro pour aider ceux du pays-frère en un geste magnifique de solidarité. Surtout, Hugo Chavez a littéralement hissé le Venezuela sur la scène de l’Histoire à laquelle les pays d’Amérique Latine et des Caraïbes n’avaient jamais eu qu’un accès très intermittent, "banana republics" dans la terminologie "gringa", pays de coups d’Etat stériles, de "narcotraficantes" et de "negritos" cireurs de bottes dans l’imagerie européenne. S’inscrivant dans l’œuvre de Simon Bolivar, poursuivant celle de Fidel Castro, Hugo Chavez a définitivement balayé ces clichés immondes et anachroniques pour faire du Venezuela l’élément moteur du réveil de ces peuples, mieux, l’exemple et la référence pour tous les peuples de la Terre soumis à l’oppression et au lent processus de génocide capitaliste. Je ne suis pas sûr que tous ces Frères et Sœurs en chemise rouge aient pleinement compris l’envergure de la Révolution Bolivarienne. Ils mesurent ses bienfaits à l’once de leur réhabilitation sociale, de leur dignité nationale retrouvée. Sont-ils conscients de la mission historique et universelle de l’exemple donné par Caracas ?
A la tribune ont pris place, à côté du Commandant, les chefs d’Etat des pays de l’ALBA, c’est-à-dire des pays "latinos" qui ont rejoint le Venezuela dans sa mission de libération et d’unité continentale : Raul Castro, Evo Morales, Leonel Fernandez, Rafael Correa, Daniel Ortega et l’Argentine Cristina Fernandez. L’Hymne national retentit : ses paroles évoquent celles de notre Marseillaise, notre propre Révolution inspiratrice de Bolivar.
Les discours d’Hugo Chavez sont des paroles d’amour… amour du Peuple, amour de la Justice. Ce n’est pas un "dirigeant" qui vient, du haut de sa splendeur, inspecter le travail des autres avec des salutations hypocrites et condescendantes… Non, on n’imagine pas Hugo Chavez dire "Casse-toi, pauv’ con !" à l’un de ces ouvriers, employés, paysans venus à lui en Frères, en Camarades. Il s’adresse à eux par leur prénom, faisant un compliment aux jolies filles, racontant quelque souvenir personnel, poussant même la chansonnette sous leurs regards attendris… et puis il redevient le militaire, efficace et concret, interrogeant, sans jamais se départir de sa gentillesse, sur les résultats obtenus, sur les méthodes employées, afin d’améliorer… de tout améliorer : les conditions de travail, le rendement, la qualité… tout ce qui peut contribuer à la prospérité du Peuple, à la grandeur de la Nation.
Le discours d’aujourd’hui ne fait pas exception avec cette particularité que cet amour dont rayonnent les paroles d’Hugo Chavez dépassent les limites de Paseo, les limites mêmes du territoire national pour embrasser tous les peuples frères représentés ici, tous les peuples frères – car tous les peuples sont frères – qui dans le Monde combattent la tyrannie mondiale de l’Oncle Sam.
"On nous accuse avec perversité de nous armer en préparation de la guerre. Agressés comme nous le sommes par l’impérialisme yankee, sans cesse menacés, et avec tout le droit que nous donne le fait d’être une république indépendante, ne faisons que nous préparer à défendre jusqu’à l’ultime millimètre de cette patrie sacrée. Ici, nous sommes unis en une seule chose, civils et militaires. Le Peuple et ses Forces Armées garantissant l’indépendance de Venezuela. Jamais le Venezuela ne sera une colonie yankee !"
Jamais, j’en suis sûr, sûr que si jamais les mercenaires de luxe de Washington s’aventuraient aux frontières de ce pays, ce magnifique peuple rassemblé ici se lèverait en masse pour lui infliger un nouveau Vietnam !
Debout dans son véhicule blindé, le général Celso Canelon, chef de la 3ème Division d’Infanterie, salue au nom des "douze mille combattants socialistes, anti-impérialistes et révolutionnaires accompagnés du glorieux peuple révolutionnaire en ses différentes expressions culturelles et sportives, ainsi que des représentations des pays amis", au cri de "Patria socialista o muerte !", autre souvenir du temps où les Français méritaient de s’appeler ainsi, la devise "La Liberté ou la Mort" volant au-dessus de leur forêt de baïonnettes pour tomber comme la foudre sur l’ennemi abasourdi ! … Ou la Mort ! Certes, car tout homme doit mourir un jour. Rien ni personne ne peut par contre l’obliger à se soumettre, à passer son existence dans la crainte des coups de gueule et de pied de son maître ! Et qu’est-ce que la Mort, disait Robespierre, sinon "le début de l’Immortalité".
Le défilé commence par un rassemblement d’athlètes Vénézuéliens, parmi eux des "handicapés physiques" sur leur chaise roulante. Les notions d’handicap et de réhabilitation sont d’ailleurs incompatibles avec le Socialisme, car la réhabilitation suppose qu’un citoyen pût être "dévalorisé"du fait de certaine incapacité physique que l’on nomme "handicap" dans une société capitaliste où la "valeur" de l’individu se mesure à ce qu’il peut rapporter, menacé d’exclusion si la dite incapacité physique diminue drastiquement cette ‘"valeur". Les athlètes qui défilent sont tous égaux, tous frères en la Patrie socialiste.
Suivent des délégations des populations indigènes ou, pour être plus clair, des Indiens de l’Amazonie. Et je sens que c’est là un des points très forts de ce défilé. Ces gens qui défilent en dansant sous les acclamations fraternelles du Peuple, ces gens-là sont des survivants, les survivants du plus grand holocauste de l’Histoire moderne, même si on voudrait qu’il n’en soit qu’un "détail" sur lequel il est de bon ton de glisser, mais un holocauste qui se poursuit à l’instant même, indissociable de la destruction de la forêt amazonienne qui est vitale à ces populations, vitale, aussi, d’un point de vue écologique, pour la population mondiale. Ces Amazoniens qui passent devant moi sont des Vénézuéliens à part entière, jouissant pleinement de la protection du commandant Chavez.
Qu’en est-il de ceux qui n’ont pas ce privilège ? Qu’en est-il, par extension et parce que tous les hommes sont frères, des pygmées de la forêt équatoriale africaine dont mon ami – oui, mon ami et j’en suis fier ! – l’acteur Dieudonné nous raconta qu’il en trouva une femme, dans le fond du jardin de son père, donnant son sein desséché à son enfant mort ? L’engagement de la République Bolivarienne du Venezuela à protéger, comme il se doit, sa propre population amazonienne, mais encore toute cette région, tant la population que la faune qui l’abrite, dépasse de bien loin le seul intérêt national pour réaffirmer la qualité de ce pays et de son chef, Hugo Chavez, de bienfaiteurs de l’Humanité.
En dansant s’avancent des groupes folkloriques représentant toutes les régions du Venezuela. On retrouve un symbolisme commun au folklore européen, notamment la présence des "Arbres de Mai", connus en Allemagne comme en Espagne, pères des Arbres de la Liberté de notre Révolution. Certains costumes sont exactement semblables à ceux du folklore basque.
Le défilé militaire commence par des détachements des unités d’élite ou d’instruction des pays d’Amérique Latine et des Caraïbes représentés ici par leurs chefs d’Etat. La plupart exécutent l’ "Exerzierschritt", dit en France "pas de l’oie" par le vulgaire ; portent un uniforme de style prussien rappelant l’origine des formateurs de ces armées au début du XXème siècle. A ma très heureuse surprise, un détachement de l’Armée Libyenne, un autre de l’Armée Algérienne rappellent l’alliance du Venezuela et des pays musulmans. Il manque les youyous des femmes arabes pour créer l’ambiance d’un défilé militaire en pays arabe mais, puisque ce jour est placé sous le signe de l’Amour, mon propre cri de "Tahya el Jezaïr !" exprime celui que tout vrai révolutionnaire et patriote français porte à ce grand peuple d’outre-Méditerranée que l’Etre Suprême, à travers une histoire souvent tragique et douloureuse, lui donna pour Frère.
Et s’il me vient le regret de l’absence en ce jour en ce lieu de nos Casoars, Crinières Rouges et Képis Blancs, c’est à l’évidence que cette absence n’est nullement imputable au choix du commandant Chavez mais uniquement au fait que l’Armée Française ne soit plus celle de Robespierre et de l’Empereur, mais celle, réduite au rôle de mercenaire au service d’intérêts étrangers, yankee pour tout dire, qui depuis trop longtemps manque les occasions historiques, le bicentenaire d’Austerlitz certes, mais plus encore celui, passé totalement sous silence et on conçoit bien pourquoi, du 9 novembre 1799, autrement dit du 18 Brumaire ; de jeter son sabre sur les plateaux de la balance politique et sociale de la France, de sortir de son isolationnisme de Grande Muette pour répondre au désespoir du Peuple Français, livré à la misère et à l’indignité sous la tyrannie alternée de la Gauche-caviar et de la Droite qu’il est un pléonasme de dire réactionnaire, deux faces d’une même pièce, la vassalité yankee. Un bataillon mixte des Armées de Terre et de l’Air biélorusses termine le défilé des "invités". Il s’arrête au pied de la tribune présidentielle pour se livrer à une brillante démonstration de maniement d’arme, reprend sa marche sous les acclamations admiratrices.
Un escadron de Hussards Rouges ouvre celle des Forces Armées vénézuéliennes. Détachements des Trois Armées, garde bolivarienne, écoles militaires, unités régulières suivies des milices universitaires, ouvrières, paysannes. Du matériel agricole flambant neuf passe conduit par des hommes en armes et en uniforme, illustration d’un régime où le travailleur est soldat, où le soldat ne cesse d’être citoyen. A la différence des pays capitalistes, le travailleur vénézuélien n’est pas antimilitariste : ces troupes qui défilent ne sont pas, avec son argent, mises au service d’intérêts étrangers ou même de la répression anti-sociale. S’il devait lâcher le marteau et la faux pour saisir le fusil, le travailleur vénézuélien saurait que ce serait pour défendre le sol de la Patrie en même temps que les acquis de la Révolution socialiste bolivarienne du Commandant Hugo Chavez.
Certaines unités sont composées exclusivement de femmes : dans son discours du 17 à la mission Barrio Adentro, le Commandant avait exprimé son peu de goût pour les uniformes qui masculinisent la femme : ici, comme en Chine dans le bataillon féminin de la Garde, en mini-jupe rouge et bottes et béret blancs, l’allure martiale n’enlève rien à la féminité. Au pas gymnastique, en camouflage intégral, à la cadence de "Patria socialista o muerte" passent les unités des Forces Spéciales, suivies par les troupes mécanisées : véhicules lance-missiles sol-sol et sol-air, amphibies, chars de combat lourds et légers, transports d’infanterie d’assaut, artillerie, logistique…
Le vrombissement des moteurs de véhicules terrestres est absorbé par celui des moteurs à réaction car, après quelques hélicoptères, viennent les Chasseurs, en particulier les K-8 récemment achetés à la Chine et dont l’un est aux mains de la première femme-pilote de l’aviation vénézuélienne. Accompagnés des clameurs admiratrices du Peuple, ils frôlent les cimes frémissantes des arbres pour monter en flèche et en tonneaux dans l’azur radieux.
Les regards redeviennent horizontaux lorsqu’un bruit de galop annonce la cavalerie composée de Hussards Rouges chargeant lance au poing suivis par d’autres cavaliers dont l’uniforme rappelle celui de la Canadian Mounted Police…
Le véhicule blindé du général Celso Canelon revient se placer face au Commandant-président qui félicite l’organisateur de ce défilé parfait en tous points.
Techniquement le plus impressionnant, le plus spectaculaire de tous ceux que j’ai vus ? Il est difficile, à ce niveau, d’utiliser un superlatif. Le plus émouvant, c’est certain, ne serait-ce que pour tous les symboles qu’il offrait : ceux de l’unité d’un Peuple, de son Armée, de son Chef, les drapeaux nationaux devenus aujourd’hui ceux de la Liberté des Peuples d’Amérique Latine, jusqu’ici tant méprisés, tant humiliés, qui aujourd’hui, grâce à Hugo Chavez sortent de l’ombre et revendiquent leur rôle dans l’Histoire ; tendant leurs bras aux peuples musulmans, à tous les peuples qui, comme le Vénézuélien, marchent vers leur libération et l’accomplissement de leur mission historique.
Je crois que c’est là le miracle, le mystère au sens véritablement métaphysique de ce jour : le réveil de la conscience historique d’un peuple, en l’occurrence le Peuple Vénézuélien, l’exemple que Caracas donne pour la seconde fois. La première avec Simon Bolivar à l’Amérique Latine, le seconde, avec Hugo Chavez, au Monde entier.
Tahir de la Nive