Historien français et rabbin vivant en Israël, Alain Michel est l’auteur de Vichy et la Shoah, enquête sur le paradoxe français, dont les idées sont largement reprises par Éric Zemmour. Il plaide pour que s’ouvre un « débat historique » sur la question, jugeant que le l’historiographie de la Shoah est figée en France.
Éric Zemmour reprend vos idées au service d’un ouvrage très politique et idéologique – Le Suicide français. N’est-ce pas gênant pour l’historien que vous êtes ?
Je ne suis pas responsable de l’utilisation que l’on fait de ce que j’avance, à partir du moment où l’on ne déforme pas ce que j’écris. Le livre d’Éric Zemmour reprend ses idées, ses approches, et cela ne me concerne pas. Je n’aurais pas fait la présentation de cette manière-là, concernant le chapitre sur la France de Vichy. Zemmour parle comme le polémiste qu’il est. Mais il respecte globalement l’approche qui est faite dans mon livre. Je n’ai pas à censurer quelqu’un en raison de ses idées tant que cela reste globalement dans le consensus démocratique.
Peut-on dire, comme Éric Zemmour, que « Pétain a sauvé 95 % des juifs français » ?
Non, ce n’est pas Pétain mais le gouvernement de Vichy. Cette politique – approuvée par Pétain – a été essentiellement menée par Pierre Laval, secondé par René Bousquet. Pétain était quelqu’un qui avait un vrai fond d’antisémitisme, qui n’existait pas, à mon sens, chez Laval et Bousquet. L’expression de Zemmour est maladroite. Il aurait fallu dire « entre 90 et 92 %», et contrairement à ce qu’affirme Serge Klarsfeld, je ne pense pas que l’on puisse attribuer ces chiffres à la seule action des « Justes parmi les nations », mais principalement à la politique appliquée par le gouvernement de Vichy, qui a freiné l’application de la solution finale en France.
Existe-t-il une doxa paxtonienne (du nom de Robert Paxton, historien américain dont les recherches sur la France de Vichy font référence), comme le répète Éric Zemmour ?
Oui, je pense qu’il a tout à fait raison de ce point de vue-là, malheureusement. Depuis le début des années 1980, il est très difficile d’exprimer des idées sur le plan historique qui vont à contre-sens de la pensée de Paxton. Certains chercheurs ont arrêté de travailler sur le sujet, car le poids de cette doxa les empêchait de travailler librement. C’est un problème sur le plan de la recherche historique. On peut être en désaccord sur ce que j’écris dans mon livre – considérer que la vérité est plus du côté de Paxton ou Klarsfeld – mais le débat historique doit être libre. Il ne l’est pas aujourd’hui en France.