Venezuela : ruptures du storytelling
5 août 2017 20:24, par KhemViktor DEDAJ :
Au Venezuela (comme ailleurs), la différence entre une dictature de droite et une dictature de gauche est la suivante : sous une dictature de droite, les opposants "disparaissent". Sous une dictature de gauche, les opposants passent tous les soirs à la télé et dans tous les médias internationaux pour dénoncer la dictature.
Comme toujours, vous commencez par soulever un sourcil. Alors voici un test : citez-moi une seule dictature de droite. J’entends par là un régime de droite que les médias qualifient de dictature. L’Arabie Saoudite ? Raté. l’Arabie Saoudite n’est pas une « dictature » mais un « royaume », et elle n’est pas « de droite » mais « théocratique ». (*) Autre exemple ?
Vous séchez, et c’est normal.
Au Venezuela (comme ailleurs), la question de « qui est qui ? » est ignoré, sauf pour un des « qui ». Comme si le contexte n’avait aucune importance, comme si la nature de l’adversaire d’un processus ne déterminait pas le cours du processus. Annoncer 100 morts lors de manifestations sous-entend une foultitude de choses, aussi fausses les unes que les autres. Cela sous-entend que tous ces morts sont des « opposants ». Cela sous-entend qu’il n’y a aucun représentant des forces de l’ordre parmi les victimes. Ce que cela ne sous-entend pas, par contre, c’est la petite entorse à l’étique journalistique – qui me paraît éminemment volontaire – qui consiste à ne pas trop insister sur l’identité de ces morts. Car cela démontrerait une chose : rarement un gouvernement aura fait preuve d’autant de retenue devant des violences systématiques, des violences qui cherchent à faire des victimes. Et rarement les forces de l’ordre d’une dictature (qu’elle soit instaurée ou en devenir) n’auront compté dans leurs propres rangs autant de victimes sans une réaction, disons, « déterminée ».
Cela sous-entend aussi que le nombre est « exceptionnel » (sinon, pourquoi en parler ?). Alors qu’on parle d’un pays qui a vu – mais c’était pendant la démocratie douce et bucolique d’antan – des manifestations se solder par des milliers de morts, fauchés à l’arme lourde par l’armée de l’époque. Cela sous-entend qu’on n’a jamais découvert des dizaines de charniers dans la Colombie voisine - dont certains contenaient jusqu’à 2000 cadavres – sous le règne d’une classe qui y est encore et toujours au pouvoir et qui - ô ironie – trouve le gouvernement vénézuélien peu fréquentable.