La construction ou la constatation politique de l’hostilité supposée ou véritable dans l’autre est difficilement repérable. Si l’on s’en tient au fait que cette stigmatisation conditionne le repérage possible de la manifestation du politique, en tant que décision discriminatoire, dans le monde, alors la France, précaire d’une opposition jadis inhérente au concept de politique, est dans sa dimension strictement intra-étatique dépourvue des conditions d’une réflexion philosophico-politique sur la qualité et la vision du politique en France. A la guerre communicationnelle et démocratique, où le statut de l’opposant comme le pense Schmitt (homme transparent) doit être, autant que faire se peut, juridiquement maintenu dans les catégories du droit public européen d’autrefois, et pas volontairement et ontologiquement dégradé dans les catégories du droit pénal, s’est substituée un apparent consensus sans ennemis où l’opposition démocratique, pauvre de ses moyens d’expression et d’existence, lutte dans le néant sans que lui soit reconnue sa qualité d’ennemi essentielle. La supposée résistance que l’opposant porte dans son discours est minimisé par l’inintérêt que porte le pouvoir à son endroit. Car la dégradation du statut traditionnel de l’opposant politique, qui permettait au pouvoir de se construire contre cet autre, même pénalement reconnu, a laissé place à un autre type de statut. L’opposant politique n’est plus l’ennemi contre lequel le pouvoir mène ses troupes, pas plus qu’il n’est le criminel que l’on emprisonne par prévention, mais est le silence de la chose qui n’existe pas, la chose ignorée, l’objet d’un mépris qui ne se dit pas. A vrai dire, j’ai toujours pensé que le parlementarisme démocratique était l’expression sinon la forme, malgré ses faiblesses et parfois ses impasses, la plus accomplie de l’Etat, à condition que l’inimitié réelle soit à la base des joutes parlementaires qui en alimentent son contenu, et que ces joutes, par conséquent, défendent d’authentiques visions. Or la valeur intrinsèque d’une opposition politique se mesure à sa diffusion médiatique ; de cette diffusion dépend son seul droit à être. Au droit à être s’est substitué le fait à être ; le fait que l’on décide de montrer et le fait que l’on décide de cacher. Or le dire sur le fait et sur le fait d’expression doit se prémunir de l’encadrement moral du fait qu’il dit, et de l’exclusion faussement juridique des oppositions que les diseurs jugent contraires à leurs principes.