La théorie clouscardienne d’une gouvernance manœuvrière et d’une omnipotence du Capital sur le désir n’a jamais été révisée, bien qu’elle présente, à mon sens, des signes d’obsolescence conceptuelle. L’idée qu’un régime économique qui a déjà confisqué ses capitaux et ses moyens de production au travailleur, puisse également œuvrer à confisquer à l’individu la volonté autonome qui le rend propriétaire de son désir constitue, en soi, une extension hardie du marxisme.
Clouscard postule qu’une modélisation du désir par le Capital tout-puissant engendre la pulsion d’achat, oriente le besoin, façonne le goût, délègue la volonté individuelle au plébiscite du groupe, et la décision de groupe à la tyrannie du marché. Cette idée qu’une emprise du Capital et qu’un empire libéral soient capables d’engourdir le jugement sur le temps long, de tromper à ce point la vigilance et l’auto-détermination du désir, voire même de plonger le sens pratique dans un coma artificiel à durée illimitée, est une proposition victimaire et datée du consumérisme : elle ne tient compte ni des ressources du libre-arbitre, ni des mécanismes psychiques de rejet, ni des résistances à la séduction.
Cette théorie néo-marxiste du diktat du Capital sur le désir place les instances inhibitrices et castratrices du surmoi, celles qui régulent la pulsion en société, sous l’emprise, sous l’empire d’une entité sans visage, sans morale : la magie performative du Capital. Michel Clouscard a beau être un penseur inspiré, le pouvoir d’intervention qu’il prête au Capital sur la sphère du désir, me semble relever de la prophétie auto-réalisatrice.
Lorsque les bières Budweiser ont confié à un travesti (Dylan Mulvaney) leur image publicitaire, les ventes se sont dramatiquement effondrées : les acheteurs virils qui buvaient leur bière devant le match de foot ont rejeté la manipulation du marché et exprimé une aversion pour cette tentative d’émasculation de leur rituel, prouvant ainsi que le désir est un enjeu du libéralisme, mais en aucun cas son jouet.