Après le carnaval médiatique, place à la politique. La rumeur d’une candidature à la présidentielle du journaliste Éric Zemmour se précise, comme l’ont fait d’autres personnages de la société civile avant lui. Celui qui dit tout haut ce que les Français pensent tout bas sur l’immigration (afro-maghrébine), l’islam, la délinquance, la sécurité et tous les sujets qui animent les repas du soir ne devrait pas réunir les signatures nécessaires pour se présenter, mais il espère sans doute un bon coup de com’ pour doper ses ventes de livres.
L’intérêt d’une candidature Zemmour, coincé entre Le Pen, Dupont-Aignan et les républicains n’est pas utile. Les courants de « droite » auront déjà leur candidat et un programme, des militants et des structures de campagne, éléments qui manqueront fatalement au journaliste. Alors pourquoi (et pour qui) entrer en campagne électorale ? Pour comprendre de qui Éric Zemmour est le nom, on peut se référer à l’excellent essai de Youssef Hindi, L’Autre Zemmour , paru chez Kontre Kulture. Un ouvrage refusé par plusieurs éditeurs, pourtant bien argumenté et très incorrect envers le polémiste préféré des médias, qui nous permet de mieux cerner l’oeuvre du personnage.
Disons-le tout de suite, Youssef Hindi le Marocain entend rendre les coups à Zemmour l’israélite, ce dernier s’étant fait une spécialité dans les leçons d’intégration et de civisme envers les immigrés d’Afrique du nord. Hindi nous rappelle le parcours du personnage, ses origines berbères, l’histoire tumultueuse du clan Zemmour, ses diatribes anti-système de façade. Entre ses anniversaires de gala fêtés avec Mélenchon, Cambadélis et autres joyeux drilles, son enfance dorée en école privée confessionnelle où on chantait paraît-il l’hymne national (!), ses réunions communautaires à la synagogue de la victoire et son soutien sans faille à la politique atlantiste, on a effectivement du mal à comprendre en quoi Zemmour serait un rebelle. Il est certes intégré par ses affaires jûteuses et ses contrats TV, mais son patriotisme est à relativiser.
Hindi nous rappelle que Zemmour est salarié de C-News où il est omniprésent, fait contradictoire pour quelqu’un qui se prétend anti-système. Son principal employeur est le milliardaire pro-israélien Bolloré. Il combat l’islamisme mais se fait plus discret sur les autres communautarismes, dont le sien. Zemmour a toujours soutenu les actions de l’OTAN, les agressions d’Israel en Palestine ; il dénonce les terroristes en omettant que les jihadistes furent armés par les occidentaux pour combattre Bachar el-Assad et Saddam Hussein.
Pour l’assimilation, Youssef Hindi nous relate les effets des lois de la révolution, le décret Crémieux beaucoup plus tard. Les Français juifs seraient des modèles de citoyens patriotes et altruistes quand les Français musulmans seraient des salafistes masqués, des trafiquants et des cas sociaux : une vision très caricaturale de la société française que même le rassemblement national relativiserait.
Si Éric Zemmour n’a pas connu l’école publique qu’il incite à plus d’audace pour « intégrer », votre narrateur peut témoigner des discriminations qui y régnaient il y a quelques décennies dans le Xème arrondissement de Paris. Repas communautaires sans porc à la cantine, collège fermé le samedi pour raison religieuse, insultes envers ceux qui y trouvait quelque chose à redire (« Sales goys », etc.), rejet de la culture traditionnelle française pour des gens qui dessinaient des drapeaux israéliens sur les tables de cours, et même petite délinquance (trafic de disquettes piratées, vols de scooters pour les pires). Dans les années 1980, ce n’était pas les afro-maghrébins qui semaient la pagaille dans les collèges de l’est parisien ; ce n’étaient pas eux non plus qui s’orientaient vers des métiers manuels et mal payés que les Zemmour et compagnie ne voulaient pas pratiquer.
Si la crise de l’intégration et de la citoyenneté sont d’abord les effets du mondialisme et de la dénationalisation de l’hexagone, la délinquance et le terrorisme sont aussi les conséquences du désengagement de l’État et du manque de courage politique. On voit mal en quoi Éric Zemmour pourrait y remédier : libéral de droite, communautariste et coupé du peuple qu’il prétend défendre, il serait bien inspiré de se remettre en question avant de donner des leçons de civisme aux autres.
Libres à certains patriotes de le suivre et de lire ses bouquins (Mélancolie française est d’ailleurs digne d’intérêt), mais son attitude pro-israélienne, son obsession de l’islam et ses références néo-conservatrices ne font pas de lui un éveilleur de peuple, encore moins un réconciliateur. Relancer le civisme et la conscience collective, c’est contraire à l’ultra-libéralisme des amis de Zemmour (Valeurs actuelles, Le Figaro...), on ne peut allier la recherche du profit pour quelques uns et la fraternité pour tous. Le Zemmour de l’ombre nous dissuade de suivre celui des médias ; la campagne pour l’élection présidentielle se jouera sans lui, à moins que ses employeurs le mandatent pour justement couler les vrais candidats souverainistes, ce qui est peut-être le véritable moteur de sa démarche...
À ne pas manquer chez Kontre Kulture,
L’Autre Zemmour de Youssef Hindi !
(avec une préface d’Alain Soral)