En espérant se tromper, le spécialiste des maladies infectieuses appelle à la prise en compte du scénario noir d’un Sars-CoV-2 échappant régulièrement aux vaccins.
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Autant de mutations, est-ce inédit ?
Yves Lévy : C’est au contraire très banal et ça rappelle à tous ceux qui ont combattu le SIDA dans les années 1980 et 1990 la confusion et le désespoir qui régnaient alors. Lorsque les premiers antirétroviraux sont arrivés, des médicaments incapables de bloquer complètement la réplication du virus, des mutants sont apparus chez les patients. Parfois, en huit jours seulement ! La recherche de nouveaux médicaments visait à contrer ces mutants : il a fallu mettre au point des bithérapies puis des trithérapies, aujourd’hui heureusement efficaces.
Les variants rendent-ils les vaccins inefficaces ?
L’urgence absolue est de vacciner les plus fragiles avec les vaccins dont on dispose pour les protéger contre la maladie. Comme les anticorps induits par ces produits sont dirigés contre différentes régions du virus, on peut penser qu’ils vont rester en partie efficaces. Un article vient de montrer que les anticorps induits par le vaccin de Pfizer-BioNTech pourraient neutraliser, en laboratoire, le mutant anglais. Ça pourrait être moins vrai avec le variant sud-africain. Cependant, cela pose la question à long terme de la nécessité d’adapter les vaccins aux mutations déjà apparues ou à venir. Il faut donc nous préparer à l’éventualité de devoir revacciner de façon régulière. Et donc, sans doute, à mettre au point de nouveaux vaccins, comme nous le faisons chaque année pour la grippe. Au VRI, nous travaillons sur des vaccins de deuxième génération qui incluent déjà les mutations des variants actuels afin d’induire, en même temps, des anticorps et des cellules tueuses, la deuxième ligne de défense de l’organisme. On espère un effet protecteur sur le long terme.
Dans La Provence, le virologue Jean-Michel Claverie dit qu’une vaccination lente et non massive peut favoriser l’émergence de variants. Ça vous inquiète ?
L’effet démontré des vaccins utilisés actuellement est de prévenir les formes graves de l’infection. Nous n’avons pas encore la preuve scientifique qu’ils diminuent la transmission du virus, même si c’est probable. Aujourd’hui, le principal problème que rencontrent les États est celui de la production mondiale, insuffisante pour couvrir 7 milliards d’individus. Certains se plaignent des lenteurs de la vaccination dans notre pays ; cela a demandé des efforts logistiques qu’il faut saluer. On pourrait rappeler que le vaccin est un bien public mondial et qu’en Afrique moins de 6 000 habitants ont été vaccinés. Or le virus n’a pas de frontières et continuera de circuler partout. Il est urgent d’ouvrir des lignes de production et de développer de nouveaux vaccins pour revacciner si besoin et contrer les variants.
Si le vaccin n’est pas durablement efficace, comment l’immunité de groupe pourra-t-elle être atteinte ?
La notion d’« immunité de groupe », qui s’installerait naturellement après que le virus a touché un grand nombre d’individus et qui empêcherait sa circulation, est illusoire. C’est ce qu’on observe aujourd’hui à Manaus au Brésil, où les personnes se réinfectent alors que 60 % de la population avait été préalablement infectée. L’immunité de groupe n’a été décrite qu’après des campagnes de vaccination massives. Et il faut souvent des décennies pour y parvenir avec des vaccins très efficaces induisant une immunité à long terme. Faute de recul, nous ne savons pas encore, pour le Sars-CoV-2, quelle est la durée d’efficacité des vaccins.
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Quand retrouvera-t-on une vie normale ?
Les décideurs doivent envisager tous les scénarios, des plus optimistes aux plus pessimistes en espérant que ces derniers ne se réalisent pas. Je me méfie de la pensée magique selon laquelle le virus va se fatiguer à l’été et le vaccin forcément bloquer la transmission de l’épidémie, même si on l’espère tous. Cependant, il faut aussi se préparer à l’hypothèse d’un scénario plus pessimiste selon lequel le virus circulerait encore pendant plusieurs années. Si tel était le cas, nous devrions apprendre à coexister avec lui ; et d’ores et déjà s’adapter au moyen de nouvelles armes. J’espère vraiment me tromper mais il faut y réfléchir, comme un pays se dote d’un bouclier nucléaire en souhaitant qu’il ne serve jamais. Et comme l’arme nucléaire, le vaccin est aussi un enjeu de souveraineté.
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